Le pourfendeur du piratage musical et patron d’Universal Music, Pascal Nègre, n’a pas résisté à commettre un livre en 2010. Si quelques langues malveillantes affirment qu’il a eu recours à un plumitif dont la profession n’est pas si éloignée de son patronyme, doit-on bouder pourtant le plaisir de lire cette auto-hagiographie ? C’est chose faite. Le résultat est de fait sans contrefaçon, mais ne résout par pour autant la question des nouveaux usages des consommateurs et du piratage.

Quelques soient les points de vue d’une personnalité réputée égocentrique, il convient de faire le tri dans les propos exposés par Pascal Nègre. En pratique, Sans contrefaçon constitue un documentaire sur les coulisses de l’industrie musicale. D’emblée, on notera que le style peu musical de l’ouvrage n’a pas grand intérêt.

La première partie, consacrée à la carrière de l’auteur, frise la caricature : admirez le héros de l’industrie du disque ! Reconnaissons-lui toutefois une progression et une constance bien rares dans ce milieu. Pascal Nègre sait naviguer en eau trouble avec un regard intelligent sur son métier et son évolution. Malheureusement, il se complait dans une « peoplisation » des plus lassantes (je suis l’ami de…. et de… et de…).

Cela étant, son analyse de l’évolution de son métier de producteur recourt heureusement à une comparaison entre Universal et ses concurrents riche de nombreux exemples de succès et d’échecs. Dans cette partie, Pascal Nègre se révèle plus ouvert. Il n’hésite pas à remercier ses collaborateurs en dévoilant leurs parcours. L’enseignement et la conclusion qu’il en tire sont d’autant plus décevants.

Il a raison d’affirmer que le peuple français aime critiquer ce qui est « commercial », notamment la variété. Il avoue du reste oublier lui-même de temps en temps l’approche artistique pour remplir les tiroirs-caisses. Toutefois, lorsqu’il décrit les différents postes de dépense de la production d’un disque, il oublie malheureusement de parler de l’évolution des méthodes marketing et de leurs coûts qui explosent. Tout comme des postes plus discrets qui rapportent beaucoup. Il omet enfin de parler du dispositif de matraquage qui a permis, avec le soutien d’une radio qui y croyait, d’imposer des artistes qui vendaient peu (Obispo ou Calogero par exemple). Oui, une carrière est aussi une question de chance. Mais ces méthodes ont aussi des revers, bien connus dans le monde cruel du marketing.

Quant à la monoculture musicale d’une grande partie des employés des labels – qui est sans commune mesure avec l’ouverture de leurs patrons aux parcours plus hétéroclites – elle n’est jamais évoquée. Enfin, si l’auteur esquisse un parallèle avec l’industrie du cinéma (florissante malgré le piratage comme le montrent des chiffres d’entrées records), il ne va pas au fond des choses. Pourtant, les chiffres publiés plaident en faveur d’une urgente remise en cause de méthodes devenues obsolètes à l’ère du numérique. D’autant plus que l’analyse du numérique de Pascal Nègre contient de pertinentes remarques, notamment au sujet des écueils de la licence globale et de Deezer.

À ce sujet, il faut rappeler qu’Universal a passé accord à l’été 2011 avec le principal concurrent de Deezer. Spotify repose sur un modèle freemium : l’écoute gratuite des musiques est précédée de publicités qui incitent les internautes à contracter un service premium qui coûte 10€/mois. Toutefois, Spotify a accusé une perte de 60 millions de dollars en 2011 et vient le mois dernier de lever 100 millions de dollars pour prolonger un type d’offre soumis à une concurrence grandissante. Le 13 novembre, Google a lancé dans plusieurs pays – dont la France – Google Musique, un service de téléchargement et de stockage de musique en ligne. Quant à Apple, un service de streaming gratuit, complémentaire de la vente de musique sur iTunes, devrait voir le jour en 2013.

A notre avis, le fond du problème tient toujours dans le back catalog de ces différentes plateformes qui n’est pas exploité correctement pour diverses raisons à repenser : répartition des droits entre artiste, producteur et propriétaire des masters, accord sur le prix. Qui plus est, il n’est pas sûr que le client lambda accepte de devenir captif d’une plateforme, quand bien même Spotify affiche une bonne représentation sur smartphones, radio connectés, pc, tv connecté et même automobiles.

Dans ce cadre, l’interprétation de Pascal Nègre des DRM et de la vision déployée par Apple et Microsoft laisse d’autant plus songeur que les calculs et chiffres qu’il présente semblent sujets à caution. Aussi brillant gestionnaire soit-il, Pascal Nègre peine à remettre en question sa filière et son modèle économique. Reste qu’on ne peut que saluer ses efforts pour tenter de rendre viable une évolution qui semble, tout au moins pour notre part, mal adaptée.

Oui, la profession de producteur et l’industrie du disque sont nécessaires pour que des artistes puissent vivre de leur art. Mais à faire l’autruche sur les nouveaux modes de consommation de la musique et à rester obnubilé par des « indicateurs » de performance, Pascal Nègre semble oublié l’homme à qui on a donné un jour la chance de diriger un label puis une entreprise. Ce, à une époque où le piratage existait déjà, certes sous une autre forme. Il oublie également le consommateur qu’il fut à ses débuts, celui qui jouissait d’un généreux budget dans sa petite radio locale ; il en parle curieusement avec froideur.

Sans contrefaçon est au final un ouvrage susceptible d’aider intelligemment à comprendre les défis de l’industrie musicale et à échafauder des alternatives qui contentent consommateurs, mélomanes, artistes et producteurs. Mais la problématique, comme l’avenir reste largement ouverte.

Didier A. et Nicolas R.

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