S8JFOU faisait paraître Op·Echo le 21 septembre 2022. Ce précieux artiste de la scène française de musique électronique, dont l’univers s’inspire de l’electronica et du sound design à l’anglaise, s’est donné la contrainte de composer ce nouvel album avec seulement deux extensions du fameux logiciel de MAO Ableton Live. Un travail qui veut démontrer la puissance de l’outil informatique pour transmettre des émotions en musique, et qui y parvient haut la main.

S8JFOU publiait un nouvel album le 21 septembre 2022. Op·Echo est une œuvre à contraintes, conçue avec seulement deux outils digitaux, un synthétiseur et un delay. Une performance technique, déclinée sur scène en live audiovisuel avec l’artiste Simon Lazarus, qui confirme le talent et l’inventivité créative de ce musicien français de musique électronique.

S8JFOU (prononcé suis-je fou) est un personnage intrigant qui cultive le mystère. « Je m’appelle Billy, je n’ai pas d’âge, je suis né sur la route et je réside dans la forêt dans les Pyrénées. » Il se livre davantage au sujet de son parcours musical. « J’ai commencé la musique électronique à l’entrée au collège, sur l’ordinateur familial. Quelque temps plus tôt, j’avais découvert l’album de Saycet, One Day At Home, en colonie de vacances, lors d’une boom en 2006. C’est un des albums qui m’a introduit à une musique électronique mélancolique et texturée. »

Le projet S8JFOU prend forme en 2013 et sort un premier album en 2016. Sur scène, c’est à Nantes qu’il fait ses premières apparitions, notamment aux soirées Modulations du club CO2, autour de la pratique du live analogique et/ou modulaire, sans ordinateur donc. Ses débuts sont remarqués, il passe en 2017 au fameux festival Astropolis à Brest, et la presse spécialisée écrit régulièrement à son sujet.

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© Ivan Le Pays

Ancien graffeur, musicien indépendant, bâtisseur de synthétiseurs, constructeur de cabane studio ou de voilier, concepteur de logiciels musicaux, son profil touche-à-tout ne manque pas de fasciner. Il partage une grande partie de son travail gratuitement sur un site Internet généreusement fourni ainsi qu’une longue liste de morceaux ou d’albums qu’il apprécie, parmi lesquels des œuvres de Squarepusher (« l’un de mes papas »), Daniel Johnston, Floating Points, Bjarki ou encore de Tryphème, Voiron ou BBB/Nouveau Monica, pour les références françaises. 

On y trouve également une biographie évoquant son apprentissage autodidacte de la musique et sa fuite de la civilisation pour se construire une cabane dans la montagne et vivre en autonomie énergétique. Il y mentionne sa passion dévorante pour les synthétiseurs et les machines, qu’on nomme « hardware » dans le jargon, et comment il en est « revenu », retournant à la composition sur ordinateur pour des raisons de sobriété de matériaux et guidé par une philosophie du libre partage des outils digitaux. « Je voyais les gens qui vivaient de la musique avoir des studios remplis de machines, les artistes que j’admirais utiliser des outils rares sur scène. J’ai vraiment cru que ces outils pouvaient avoir un son différent et que ce que tu possédais pouvait créer ton identité sonore. En réalité, si tu donnes un mauvais ciseau à bois à un bon menuisier, la première chose qu’il va faire c’est l’aiguiser, ensuite il n’y a plus de différence dans son travail. » 

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© Romulo

Délaissant les outils analogiques, excepté pour ses performances live, S8JFOU se trouve une nouvelle passion. « J’ai découvert avec Max MSP que la même chose était possible avec l’ordinateur sans passer par la soudure et les matériaux physiques. Et alors j’ai redécouvert mon ordinateur, et aussi Ableton car Max MSP est imbriqué dans Ableton sous la forme de Max For Live », explique-t-il.

Op·Echo est son sixième album (septième en comptant « un album un peu secret nommé Plogoff ») et le résultat de ce cheminement : un album conçu avec seulement deux plug-ins du logiciel de MAO Ableton Live, Operator et Echo. « C’est un exercice que j’avais déjà expérimenté avec le morceau “Analog Things” de l’album Cynism. J’avais aimé n’utiliser que ces deux outils : c’était une façon de fouiller le son plus proche de la recherche sonore pure, presque comme de la science. J’avais envie de me prouver que je n’avais pas besoin de grand-chose pour fabriquer une musique qui m’anime et qui soit emplie d’émotions. Et enfin je voulais comprendre davantage de choses dans le sound design », commente-t-il.

Car pour S8JFOU, la contrainte permet de stimuler l’inventivité. Elle « oblige à utiliser ce dont on dispose à un pourcentage énorme de leur potentiel. Si on n’a que ça, on doit trouver le moyen de parvenir à nos fins par des chemins inhabituels. Ça mène toujours à des surprises. Et la contrainte oblige aussi à comprendre en profondeur les outils, donc à progresser dans la connaissance ».

Son choix s’est arrêté sur ces deux programmes en particulier pour leur versatilité. « Ils absorbent en eux une quantité immense de possibilités, et d’autant plus quand ils discutent ensemble », résume S8JFOU. Plus technique, il explique : « Operator est un synthé FM et la synthèse FM est ce qui existe de plus puissant en termes de possibilité sonore. On peut aussi utiliser Operator sans faire de FM, il possède des filtres qui ont un gros caractère, plusieurs types de distorsions intégrées, du bitcrush, du mixage panoramique, de l’aléatoire, et une grande puissance de jeu avec un clavier midi. Echo est un delay qui reproduit la bande magnétique mais qui possède aussi une magnifique distorsion, une simple reverb, un filtre, des possibilités de modulation et d’aléatoire, de la reproduction de noise issus d’outils analogiques. Et on peut utiliser toutes ces choses-là indépendamment ».

La production de musique sur ordinateur nécessite une maîtrise informatique qui peut paraître pour le moins obscure aux novices. Elle est pourtant bien souvent le fruit d’une pratique et d’un apprentissage autodidactes. S8JFOU pousse cette logique au point de rapprocher son univers musical inspiré des musiques électroniques anglaises — l’electronica, le break, le sound design — des recherches scientifiques françaises du Groupe de Recherche Musicale (GRM) sur la synthèse sonore, ou des démarches expérimentales de l’Ouvroir de Musique Potentielle (OuMuPo, héritier de l’OuLiPo qui a d’ailleurs largement fait usage de contraintes informatiques dans ses créations littéraires). 

Mais, à l’image de ce qu’on entend de cette scène anglaise parfois appelée IDM (Intelligent Dance Music) dont un des représentants les plus notoires est le célèbre Aphex Twin, la complexité des sonorités dans l’œuvre de S8JFOU est toujours au service de l’émotivité de la musique. « C’est mon seul but dans la musique. L’émotion », affirme-t-il. Op·Echo est composé de 11 morceaux relativement courts (entre 2 et 5 minutes), minimalistes mais aux sonorités texturées. Le kick (grosse caisse), au sens traditionnel du terme, en est à peu près absent. Lui sont privilégiées des rythmiques syncopées, parfois effrénées, mais étouffées, et qui ne prennent jamais le dessus sur le travail harmonique des nappes. Le résultat est une musique introspective, ambient par ses mélodies atmosphériques, noise par ses triturages sonores, braindance par ses tressaillements rythmiques.

Publié, comme les albums précédents, en autoproduction, Op·Echo est pressé en vinyles et CD. Il est aussi vendu en format digital au prix symbolique d’un euro. Précisons que les ventes en digital sont reversées au soutien de la population ukrainienne. « On est un certain nombre à avoir des amis là-bas, ou réfugiés ici, ou bien même de la famille. La guerre n’a pas le même aspect quand on sait que nos amis s’y battent pour que tout ce qu’ils ont connu depuis l’enfance ne disparaisse pas à jamais. On envoie l’argent qu’on récolte directement à nos amis. Je dis nous car on s’organise avec la maison d’édition Croatan Edition pour mettre en commun nos revenus. Par exemple, ce post témoigne de ce qu’ils ont pu faire grâce à ces dons », commente S8JFOU.

Pour défendre Op·Echo sur scène, le musicien s’associe avec un ami plasticien, Simon Lazarus. Graffeur à l’origine, ce dernier développe désormais un univers visuel à travers les technologies et le numérique. Ce projet de live audiovisuel ambitieux se voit soutenir par les agences de booking et management AFX et Parapente Music, plusieurs salles de spectacles (Stereolux à Nantes, Antipode à Rennes, La Carène à Brest, Le Tetris au Havre), ainsi que par le festival Maintenant (Rennes).

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© Romulo

Les deux complices artistiques conçoivent une performance captivante, dans laquelle le matériel du musicien (le logiciel Max For Live et différents programmes de sa conception, un synthétiseur modulaire, un contrôleur MIDI, une trompette et un petit synthétiseur) dialogue avec celui de l’artiste visuel (plusieurs logiciels, une tablette de dessin numérique et un contrôleur MIDI) par OSC (open sound control), un protocole de communication entre dispositifs multimédia. S8JFOU a conçu des programmes pour Max For Live « qui envoient des informations très précises à Simon, que je peux déclencher avec à peu près tout ce que je veux dans Ableton, que ce soit la rythmique, l’intensité sonore en décibel, de l’aléatoire, etc. Il va alors réfléchir à ce qu’il peut faire des informations que je lui envoie, pour que ce soit cohérent et intéressant visuellement. Le chemin inverse est aussi possible : parfois c’est Simon qui crée du son en se mettant à dessiner ».

Cette idée de dialogue, donc d’œuvre commune, est renforcée par la mise en scène du live, où musicien et dessinateur se font face. Ils rompent ainsi avec le dispositif scénique traditionnel qui place les artistes de mapping dans l’ombre, et pendant un temps, on ne distingue pas clairement qui contrôle quoi. « On a volontairement créé le flou. Mais on a travaillé pour rendre intelligibles nos interactions à des moments précis du live. Au moment où Simon se met à dessiner et que ça produit du son, j’arrête presque totalement de jouer pour le regarder faire, on le voit distinctement dessiner, ça apparaît à l’écran et ça crée le son. À d’autres moments, c’est Simon qui me laisse jouer sur des formes et des couleurs, lorsque la musique s’adoucit et qu’il est plus facile pour l’auditeur de dissocier les choses. »

La musique introspective de S8JFOU se fait alors contemplative, trouvant dans la projection vidéo et l’univers visuel de Simon Lazarus, entre symbolisme et abstraction, un nouveau moyen de s’exprimer, d’interpeller. Devant cette aventure musicale animée en images qui mêle savoirs techniques et artistiques, le public reste tout ouïe, les yeux grands ouverts.

Après avoir présenté ce live audiovisuel aux festivals Astropolis (Brest), Scopitone (Nantes) et Maintenant (Rennes), S8JFOU et Simon Lazarus seront au festival Piano Is Not Dead au Havre le 26 novembre 2022. S8JFOU sera aussi à Paris le 1er décembre, invité par Sonorium pour une rencontre et une écoute de l’album Op·Echo, et le 10 décembre à Nantes pour une master class au Stereolux.

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Jean Gueguen
J'aime ma littérature télévisée, ma musique électronique, et ma culture festive !

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