America
, America ! Une nouvelle Amérique ? Créer un nouveau magazine quand on évoque la disparition inéluctable de la presse papier est un défi qui ne semble pas effrayer François Busnel et Éric Fottorino. Avec la revue America ils veulent s’attacher à déchiffrer et comprendre l’Amérique qui a élu Trump à sa tête. Un premier numéro réussi et prometteur. L’Amérique comme vous ne l’avez jamais lue…

revue AMERICA
C’est une bizarrerie. Une incongruité même. Une revue, un « Mook » (contraction de magazine et book), se crée en annonçant la fin de sa parution trimestrielle dans quatre ans. Voici donc le numéro un sur seize. Quatre ans, c’est le début d’un bon vieillissement d’un vin de Bordeaux. Mais c’est aussi la durée du mandat présidentiel aux États Unis.

C’est à ce mandat, débuté en janvier de cette année, que François Busnel, ancien rédacteur en chef du magazine Lire, animateur-producteur de l’émission littéraire La Grande Librairie, et Éric Fottorino, créateur de la revue Le 1 ont décidé de porter une attention particulière à travers notamment le regard des écrivains. : « Les écrivains nous entraînent dans un autre monde, le vrai très probablement ». On connaît le goût particulier et les relations amicales avec les grands auteurs actuels d’Outre Atlantique du directeur de la nouvelle publication. Ce dernier ne pouvait rester insensible à la nomination d’un « clown » dont Marc Dugain dresse un superbe portrait édifiant et déglinguant.

Une fois le concept compris, on ne s’étonne pas de trouver au cœur de cette nouvelle revue America, une longue interview de Toni Morrison, prix Nobel de Littérature et auprès de laquelle l’animateur télévisuel a réalisé plusieurs entretiens. Cette fois, l’écrivaine, devenue soutien tardif, mais affirmé d’Obama, explique notamment comment le racisme est né pour différencier les « pauvres blancs » des « pauvres noirs » en divisant économiquement une masse de citoyens identiques au départ dans leurs revendications.
AMERICA
Cet entretien passionnant donne ainsi le ton à ce magazine qui veut comprendre l’Amérique actuelle de Trump, les raisons de son élection et le malaise profond qui en résulte. Que l’on ne s’y trompe pas, America n’est pas une revue militante de combat contre la nouvelle administration américaine. C’est surtout une revue d’explications, de compréhension. À l’exception d’un texte de Augustin Trapenard comparant le Donald présidentiel avec le colérique Donald de Walt Disney, pas d’articles caustiques ou satiriques, mais des sujets de fond comme cette enquête de Sylvain Cypel auprès de la « ceinture de rouille » dans le Michigan et l’Ohio, à l’écoute de cette classe blanche moyenne déclassée, jusqu’alors soutien inconditionnel du Parti Démocrate. Des propos sont recueillis sur la perte de repère due à la mondialisation, sur les aides accordées aux seuls « feignants », sur un retour à une nation indépendante et forte. Tout ce mal-être s’accompagne d’un racisme anti-islamique certes, mais surtout de la discrimination blanc-noir, dont on comprend que l’Amérique ne s’est pas encore affranchie. Cette différenciation raciale écartée, de nombreux articles semblent transposables dans notre pays en cette période électorale ébouriffante. On découvre comme « chez nous », un tissu social défaillant entre des grandes villes à la population cultivée, prospère (plus de 80 % des habitants de Manhattan ont voté Clinton) et un monde « rural » déclassé, confronté au chômage, à la délinquance.

Dans une interview de Barack Obama, qui donne ses goûts littéraires et sa conviction qu’il est nécessaire de lire des ouvrages de fiction pour rester paradoxalement en phase avec les réalités, la revue America nous apprend que ce racisme a été sous-estimé par l’ancien président des États Unis, installé dans son optimisme sur un monde futur obligatoirement meilleur. À ce titre l’évocation d’une soirée du 21 octobre 2016 à la Maison-Blanche, où la victoire d’Hillary Clinton, ne faisait aucun doute est édifiante. Ou encore la sidération de Toni Morrison, prostrée pendant plusieurs heures à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle.
AMERICA
Le pari de America est d’être quand même optimiste en faisant confiance à l’intelligence, à la culture : une nouvelle inédite de F. Scott Fitzgerald bientôt reprise dans un recueil de textes inconnus, un très bel article consacré à Moby Dick et à Melville, non reconnu de son vivant, mais dont le génie est loué unanimement aujourd’hui, une liste d’ouvrages de référence dédiée à Los Angeles superbement évoquée par Alain Mabanckou, rappellent au lecteur que la littérature est le meilleur vecteur de la résistance à la sottise, à l’ignorance, aux préjugés. Les écrivains seront donc les passeurs d’histoire d’America, les « mémorialistes de cet étrange règne ».

Comme le bien connu « XXI », la revue America est en plus un bel objet qui va bien au-delà du magazine que l’on jette après lecture. Témoin de la qualité de son contenu, America a vocation à être conservé (la tranche des 16 parutions dessinera très probablement une carte des États Unis) comme des livres d’histoire contemporaine, que l’on reprendra dans quelques mois, quelques années, pour constater les analyses justes, erronées, mais raisonnées de cette étonnante année 2017. En sachant qu’un dicton dit que ce qui se passe « là-bas » arrive chez nous quelque temps plus tard. On peut, simplement espérer qu’effectivement à la fin des quatre prochaines années America n’ait plus de raison d’être. Cela signifiera simplement qu’un nouveau président des États Unis sera élu. Meilleur que celui-là. Ou « moins pire ».

Mook Revue America, 19€ en kiosque et en librairie, 196 pages. Parution trimestrielle pendant quatre années.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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