Le 15 octobre 2015, le gouvernement finlandais a annoncé le financement d’un groupe de recherche dédié à l’expérimentation du revenu de base ou allocation universelle à l’échelle nationale. Le revenu de base ? Un droit pour chaque individu à un revenu inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres. Cette interrogation confirme la volonté affichée récemment par la Finlande de porter à son terme ce qui pourrait être une véritable révolution sociale.

 

Et si à vous aussi on donnait 1000 € par mois sans travailler, qu’en feriez-vous ? C’est là, en substance, la question à laquelle les Finlandais pourraient être confrontés d’ici peu.

Information surprenante mais vraie : la Finlande se lance sur la voie de l’allocation universelle – une promesse de campagne de la majorité centriste élue en avril dernier. Mais plutôt que se jeter corps et âme dans le projet, le gouvernement a préféré prendre le temps de la réflexion et s’en remettre un groupe de recherche. Objectif ? Déterminer les critères d’une première expérimentation du revenu de base à l’échelle nationale. Constitué pour parti de chercheurs de l’université de Tampere, pour parti de membres de l’Institut de Recherche économique et du think-tank TÄNK, il aura jusqu’à 2017 pour pousser ses réflexions avant que le projet ne soit effectivement mis en œuvre.

Novus ordo seclorum
Novus ordo seclorum

Mais au fait, le Revenu de Base (RDB), c’est quoi ? Pensé dès la Renaissance et ayant depuis revendiqué des modalités pratiques diverses et variées, le principe reste pourtant simple. Il s’agit purement et simplement de distribuer à chaque citoyen, de sa naissance à sa mort, un même revenu. Le tout sans distinction d’âge, de situation sociale ou de santé, et surtout sans contrepartie (de travail, vous l’aurez compris). En économie, on le résume à trois mots : inconditionnel, forfaitaire et universel. En bref, une petite révolution. Juha Sipilà, le chef du gouvernement finlandais, espère le fixer à près de 1000 € : une mesure phare pour lutter contre la précarité croissante dans le pays. La Finlande peine en effet à sortir de la récession. Et si elle dispose d’un des PIB/hab parmi les plus élevés de l’Union européenne, elle n’en est pas moins touchée par un chômage important. Comme dans l’hexagone, il touche plus de 10 % de la population.

Le pari de l’allocation universelle est que l’insertion sociale ne peut se construire sur la contrainte mais sur la confiance placée dans les bénéficiaires de ce nouveau droit. Une utopie, sans doute, pour tous ceux qui n’accordent aucune confiance aux individus et pensent que seule la contrainte de « gagner son pain à la sueur de son front » est le meilleur garde-fou contre la paresse. Un pari sur l’intérêt et la nature humaine pour tous ceux qui pensent au contraire qu’un individu préférera toujours cumuler ce revenu à un autre salaire, surtout quand ce salaire correspondra à un travail qu’il aura librement choisi. (Jacques Marseille, L’Argent des Français)

Mais plus encore que la décision gouvernementale, c’est peut-être le soutien des Finlandais à cette mesure qui invite à relancer le débat sur le revenu de base. De fait, selon un récent sondage, plus de 70 % des Finlandais sont en effet favorables à l’expérimentation du RDB. Les implications d’une telle décision sont conséquentes. De la réforme de l’Etat-Providence à notre relation au travail en passant par l’organisation économique, ce sont autant de pans de notre société qui s’en trouveraient transformés. Comment le finance-t-on ? Se superpose-t-il ou non à l’ensemble des allocations et aides de l’Etat préexistantes (CAF, RSA, PPE, retraites, etc.) ou vient-il en complément de celles-ci ? À quel niveau faut-il le fixer ? Mais surtout comment réagirions nous si du jour au lendemain tout un chacun recevait un tel revenu sans condition ni obligation de travail ? Quelle société se dessinerait-elle si le travail devenait un choix et non plus une nécessité ?

in hoc signo vinces
In hoc signo vinces

Voilà en somme les questions auxquelles les Finlandais auront à répondre. D’autant plus pertinentes qu’elles resurgissent alors que jamais le travail n’a été autant interrogé que de nos jours. Redevenu précaire pour beaucoup, voire aliénant (quid de sa reconnaissance sociale quand il ne garantit plus à tous une vie décente et une identité ?), il est pourtant érigé en devoir partout. Il suffit de penser au « Travailler plus pour gagner plus », à ces faux projets de réalisations individuelles et collectives, à ces comparaisons vides de sens sur le nombre d’heures faites ici et travaillées là, au salarié devenu médiatiquement moins un homme qu’un coût pour la société, à l’absence d’une vision globale et prospective sur l’avenir du vivre-ensemble et le sens d’une vie réussie pour les êtres humains, etc. Chômage oblige – chômage chronique, chômage structurel, chômage systémique – le travail n’est plus aujourd’hui qu’un droit bancal de plus en plus difficile à traduire en fait.

Un revenu d’existence très bas est, de fait, une subvention aux employeurs. Elle leur permet de se procurer un travail en dessous du salaire de subsistance. Mais ce qu’elle permet aux employeurs, elle l’impose aux employés. Faute d’être assurés d’un revenu de base suffisant, ils seront continuellement à la recherche d’une vacation, d’une mission d’intérim, donc incapables d’un projet de vie multi-active. (Jean-Pierre Mon, Pour une conditionnalité transitoire)

La précarité, l’austérité et la compétitivité sont devenues les rouages d’un fonctionnement perverti de l’économie moderne du travail. Aussi est-il est urgent de nous interroger sur leur avenir à l’heure où la délocalisation et l’automatisation d’emplois entiers risquent d’entraîner leur disparition. Il y aura-t-il assez de travail pour nous tous dans le monde qui se dessine au gré de la mondialisation ? Rien n’est moins sûr. Le cas échéant, que fait-on ? Si le travail est devenu trop rare pour être équitablement partagé, comment garantit-on à chacun la reconnaissance de la société et le droit de participer à sa construction, ses travaux, sa vie, ses idées ? Comment relie-t-on à nouveau travail, citoyenneté, épanouissement personnel et collectif ?

revenu de baseEn France, à faire le consensus au sein de la classe politique, on trouve en ce moment davantage un recours à l’impôt qu’au revenu universel. De fait, le chiffre est récemment réapparu : seuls 46 % des Français acquittent l’impôt sur le revenu. D’où, à gauche comme à droite, le retour d’un hypothétique impôt universel – soi-disant un symbole de citoyenneté. Le débat sur le niveau de revenu des Français et la reconquête effective de la citoyenneté à travers une telle mesure comptent pourtant bien peu d’émules chez les défenseurs de l’universalité. Le symbole avant tout, communication politique oblige…

Aussi, si la question de la participation de tous à l’effort national mérite d’être posée, celle de la reconnaissance et de la réalisation sociale de l’individu comme de son épanouissement psychologique et créatif le mérite également. Car sans elle, point de sentiment d’appartenance positive à une communauté citoyenne, voire simplement humaine. Offrir à chacun la possibilité d’une existence sociale déstressée grâce au revenu de base est susceptible de constituer l’une des réponses. C’est du moins une voie que la Finlande a aujourd’hui le courage d’emprunter.


Site du Mouvement pour un revenu de base en France

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Thomas Moysan
Thomas Moysan est rédacteur en chef des Décloitrés, revue biannuelle de Sciences Po.

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