Dans un village corse perché loin de la côte, le bar local est en train de connaître une mutation profonde sous l’impulsion de ses nouveaux gérants. À la surprise générale, ces deux enfants du pays ont tourné le dos à de prometteuses études de philosophie sur le continent pour, fidèles aux enseignements de Leibniz, transformer un modeste débit de boissons en “meilleur des mondes possibles”. Mais c’est bientôt l’enfer en personne qui s’invite au comptoir, réactivant des blessures très anciennes ou conviant à d’irréversibles profanations des êtres assujettis à des rêves indigents de bonheur, et victimes, à leur insu, de la tragique propension de l’âme humaine à se corrompre.

Un ouvrage qui présente en exergue une citation de saint Augustin intrigue. La lecture de cet intéressant roman ne nous a pas laissé sur notre faim. Romanesque, narré dans une langue poétique et sèche, le style est dense mais accrochant. Hélas, certains passages se désagrègent pourtant sous le poids de leurs ambitions…

Il s’agit d’une chute. Point de Rome, celle d’un village corse. Au pays des clos, du repli, de l’insularité, des blessures et révoltes. Le titre n’en est pas moins un artifice : la transposition dans nos jours d’un traumatisme qui a eu lieu dans la première moitié du Ve siècle. D’où un mélange d’actions au traitement moderne et une méditation intemporelle sur le tragique.

Cette conjugaison se manifeste au travers de trois versants : la description de la place de quatre hommes dans leur société, la dimension mystique de leurs destins, la splendeur et la décadence de leurs actions.  Le pourrissement que connait le destin de ces hommes s’avère une évidente métaphore du déclin que connait la France depuis le XXe siècle.

Malgré l’adoption d’un pessimisme un peu trop en vogue, ce livre est loin d’être une somme de pleurnicheries. De fait, le lecteur se prend bien souvent à rire. Franchement. Un pessimisme guéri par un rire salvateur. Toutefois, on regrettera un bien maladroit saupoudrage de références historiques.

David Norgeot

Actes Sud Littérature
Domaine français
Août, 2012 / 11,5 x 21,7 / 208 pages
ISBN 978-2-330-01259-5
prix indicatif : 19,00€

« J’IMAGINE QU’ILS VIENNENT DE DÉCOUVRIR DOULOUREUSEMENT que les mondes sont mortels mais ils n’arrivent pas encore à y croire et, pendant l’hiver 410, dans la cathédrale disparue d’Hippone, ils écoutent Augustin, l’évêque qu’ils aiment, le leur confi rmer en une phrase limpide et cruelle : “Le monde est comme un homme : il naît, il grandit et il meurt.” Car, de la chute de Rome il faut d’abord tirer un enseignement sur l’effrayante fugacité des mondes dont l’épée d’Alaric vient alors d’apporter la preuve incontestable et brutale.
Rome n’est donc ici que l’un des multiples noms portés par le monde et je voulais poser à mon tour, avec ce roman et dans les termes qui sont ceux du roman, la question : qu’est-ce qu’un monde ? Chaque personnage a le sien, qui le sépare irrémédiablement des autres. Il y a un très vieil homme qui a traversé tout le XXe siècle à la poursuite de l’Histoire sans jamais la rattraper ; une jeune femme qui ramène à la lumière des vestiges enfouis et ne veut pas laisser la vie s’éteindre ; deux amis d’enfance qui reprennent le bar de leur village et cheminent côte à côte vers le désastre. Mais chacun d’eux répond à sa manière à la même question. En chacun d’eux se manifeste la présence ou l’absence d’un monde, avec les éléments qui en assurent la cohésion provisoire autour d’un centre de gravité trop fragile, et chacun d’eux, puisque un monde, quelles que soient son ampleur ou sa durée, doit naître, grandir et mourir comme un homme, vient porter témoignage à sa manière des origines et de la fin. Si Rome n’est que l’un des multiples noms portés par le monde, j’aimerais pouvoir penser que ce roman est exactement ce que son titre indique : un sermon sur la chute de Rome qui fait écho à ceux que prononça Augustin dans la cathédrale disparue d’Hippone pour consoler ses fidèles d’avoir survécu à la fin du monde. »

Jérôme Ferrari

 

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