Chaque mois, le Frac Bretagne de Rennes invite ses visiteurs à explorer la richesse de la documentation à travers l’événement « Tournez les pages« . Il permet de découvrir une grande variété de formats, du catalogue d’exposition au livre d’artiste, tout en abordant des thématiques diverses. Unidivers a assisté au dernier rendez-vous de 2024 mercredi 18 décembre, nommé « Quand les femmes s’y collent ».
Le collage : un art hybride et accessible
Le rendez-vous animé par Élisa Gay Arrieta, chargée des publics au Frac Bretagne, a été enrichi par un atelier de collage qui a beaucoup plu aux participants, qui alternaient entre l’activité créative et l’écoute. Élisa a débuté avec la présentation du collage qui dépasse le cadre d’une simple activité manuelle : c’est un art hybride qui manipule les éléments visuels pour déconstruire les significations initiales et reconstruire de nouveaux récits. Autrefois perçu comme une forme d’expression amateur, il est devenu un véritable outil de création, particulièrement prisé par les femmes artistes. Cette technique leur a permis de contourner les obstacles imposés par une histoire de l’art souvent dominée par des figures masculines. Le collage ne nécessite pas de compétences techniques complexes, ce qui le rend accessible à tous. Il n’y a pas de « syndrome de la page blanche » ici chaque élément découpé trouve sa place dans la recomposition de l’image. Le faible coût des matériaux nécessaires – principalement des journaux, des magazines et autres images préexistantes – a permis à de nombreuses artistes de s’exprimer malgré des ressources limitées.
Le rôle des femmes dans l’histoire du collage
Le collage, particulièrement significatif dans le parcours des femmes artistes, leur a offert un moyen de créer un espace d’expression souvent inaccessible. Grâce à cette pratique, elles ont pu s’approprier des images existantes et proposer de nouvelles lectures du monde, parfois engagées et souvent subversives. Plusieurs ouvrages et artistes nous ont été présentés dont Hannah Höch, une artiste allemande et figure centrale du mouvement dada. Ce mouvement artistique radical, né en réaction à la Première Guerre mondiale, rejette les normes esthétiques et les valeurs sociales traditionnelles en privilégiant l’absurde, le hasard et la subversion. Dada utilise des techniques telles que le collage et le photomontage pour déconstruire les images et les idées établies.
Hannah Höch a révolutionné l’art du collage en introduisant le photomontage, une technique qui déconstruisait les images pour créer des compositions nouvelles et radicales. Ses collages, parfois provocants, utilisaient des images de personnalités politiques dans des contextes déstabilisants, mettant en lumière sa critique des hiérarchies sociales et politiques. L’un de ses collages emblématiques, présenté à l’atelier, « Cut with the Kitchen Knife Dada Through the Last Weimar Beer-Belly Cultural Epoch in Germany », 1919–1920, déconstruit l’histoire du dadaïsme en quatre parties distinctes. Il révèle de multiples références : des figures politiques, des artistes dada et des messages critiques. Des termes comme « propagande dada » et « persuasion dada » illustrent son usage du collage pour véhiculer un message politique clair.
Hannah Höch a également exploré des matériaux peu conventionnels, comme des ustensiles de cuisine pour découper ses collages, une manière de déconstruire et réinventer les théories politiques et sociales de son époque. Après la Seconde Guerre mondiale, son travail fut redécouvert et elle créa même un livre pour enfants, Picture Book, (édité par The Green Box, Berlin, en 1945) proposant des récits poétiques et fantastiques, loin de l’héritage nazi. Hannah Höch reste ainsi un exemple puissant de l’utilisation du collage pour défier l’ordre établi, mêlant critique sociale et innovation artistique.
Une autre figure du collage présentée est Linder Sterling, née en 1954 près de Manchester. Elle grandit dans une ville marquée par la crise économique, à une époque où le mouvement punk fait son apparition à Manchester en 1976. Cette génération adopte le principe du ‘Do-It-Yourself’ (que l’on traduit par : fait le toi-même), utilisant des objets trouvés et des matériaux de récupération pour créer. Linder, quant à elle, s’inspire des revues anciennes et utilise le photomontage pour créer des œuvres audacieuses et transgressives. Son travail, politiquement engagé, remet en question les représentations traditionnelles de la beauté féminine et dénonce l’aliénation des femmes. L’ouvrage Linder : femme / objet (publié en 2013 chez Paris Musées) explore l’approche féministe unique de Linder Sterling, en mettant en lumière son approche artistique radicale.
Un art à redécouvrir
Aujourd’hui, le collage est enfin reconnu comme une pratique artistique à part entière. Il fait partie intégrante des écoles d’art et des grandes collections. Plus qu’une simple technique, il est devenu un moyen puissant de redéfinir le monde, de déconstruire les images et de créer des récits nouveaux. Comme l’a souligné Élisa Gay Arrieta : « Le collage permet de briser les conventions, de refuser le beau, de démanteler les images pour en créer de nouvelles.»
À travers des événements comme « Tournez les pages« , le Frac Bretagne continue de promouvoir cet art accessible et profondément créatif. Le collage, à la fois intime et politique, est un outil puissant pour raconter de nouvelles histoires, notamment celles des femmes qui, à travers cette pratique, réinventent sans cesse leur place dans l’histoire de l’art.
« Tous les mois, je me dis ‘il faut que je vienne’ et systématiquement, j’ai autre chose. Cet après-midi, j’avais rien. Alors voilà. Aujourd’hui, je fête mes 63 ans ici ! » Chris.
Une pratique ouverte à tous
Le collage est une pratique artistique populaire, tant dans les écoles qu’auprès du grand public. Elle permet de s’exprimer librement, sans les contraintes des techniques plus complexes comme la peinture ou le dessin. Le processus créatif est immédiat et accessible : découper, coller, créer. Pour les adultes, c’est aussi un moyen de renouer avec la créativité de l’enfance. « Dimanche, une femme du groupe a pu expérimenter après 40 ans sans faire de collage, ça lui a fait plaisir », a déclaré Élisa Gay Arrieta. Ce retour à la pratique permet de retrouver une forme de liberté créative, sans jugement.
« J’avais bien aimé « tourner les pages » sur la poésie aussi, sur les livres des poètes qui sont réservés. Vraiment, ça a été très, très bien.» Odile
« Tournez les pages » est un rendez-vous gratuit (réservation recommandée), il se déroule chaque mois avec une thématique proposée en deux dates proches, offrant au public l’occasion de découvrir de nouvelles facettes de l’art et de l’histoire à travers les livres, les images et les pratiques artistiques.
Les dates des prochains rendez-vous ne sont pas encore annoncés, mais au mois de janvier, le rendez-vous sera consacré aux calendriers, et en février, l’amour sera mis à l’honneur. Restez attentif à la sortie de la programmation !
Frac Bretagne, 19 avenue André Mussat, 35011 Rennes
Horaires d’ouverture : mardi – dimanche, 12:00 – 19:00 (fermé le lundi, 25.12, 01.01, 01.05)
Pour réserver : accueil@fracbretagne.fr