Interview exclusive de Trey Spruance par Thierry Jolif pour Unidivers.

Unidivers : La musique n’a donc aucune part dans votre conversion à l’Orthodoxie ?

 Trey Spruance : C’est encore une très longue histoire… Environ un an avant ma conversion j’ai rencontré quelqu’un qui ce faisait connaître sous le nom de Anonymous 13. Elle est maintenant none dans un monastère en Roumanie, elle est d’origine roumaine et c’est une grande musicienne, à cette période elle jouait de la musique, c’était ma petite amie, elle a vécu trois ans chez moi, ce fut une période vraiment très fructueuse. C’est à cette époque qu’elle a commencé naturellement à se tourner de nouveau vers l’Orthodoxie. Elle traversait quelque chose de très douloureux, elle avait besoin d’être soigner de cela, naturellement elle se tourna vers sa patrie spirituelle alors que nous avions le même intérêt profond pour les mêmes sujets, l’ésotérisme et tout ça. Maintenant je peux dire, c’est de l’avoir vu guérir après avoir traversés des voies différentes, d’avoir rencontré les gens qui l’ont aidé qui m’ont permis de ne pas, je ne peux pas dire, « me perdre » mais, enfin, de ne pas être, oui, perdu spirituellement, enfermé dans des limbes intellectuelles. J’ai fait la même expérience avec mon père spirituel. Donc la question du rapport de sa guérison avec la musique, puisque la musique est notre vocation me vient à l’esprit car c’est par elle, à cette époque, que je me suis retrouvé confronté au chant byzantin, de même pour elle, en Roumanie, sa particularité, pour les moines et spécifiquement pour le chant roumain byzantin, ce fut son talent musical, elle a été très importante pour la renaissance de ce chant, mais ce fut également un combat, il lui a fallut du temps pour ajuster les choses, elle n’est pas une « diva » mais elle en a le talent, alors, une jeune moniale qui doit apprendre à tout le monde le chant byzantin et les moniales agées qui guident le coeur à aller au-delà, mais c’est une bonne relation. Ce fut ça mon introduction, par la musique à l’orthodoxie, toute l’énergie du chant, l’harmonie, entendre le vrai sens de l’harmonie qui prend place de le cycle liturgique…

 UD : Alors, finalement, l’Orthodoxie aura été une guérison de quelque chose de très sec et intellectuel vers quelque chose qui soit plus « du coeur » ?

TS : Pour ma moi il s’agit de deux catégories tout à fait différentes… Je vois une profondeur au centre de la musique, une profondeur au centre de ce que signifie l’harmonie, ce que j’ai toujours recherché et que la musique orthodoxe incarne, qu’elle incarne idéalement si ce n’est toujours dans l’exécution mais en tout cas elle sait toujours où est la profondeur… je ne fais que recevoir ça, je me sens très passif face à la musique orthodoxe, dans un contexte orthodoxe je n’ose pas…

 UD :Que pensez-vous des différents groupes « d’indignés » de par le monde ?

TS : Tout d’abord je pense que comme tout le monde le fait généralement il convient de juger de ces mouvements de protestation selon leur « mérite », il y a un discours articulé, et vous décidez si cela vous semble correct et si vous le suivez

… Ce que j’aime à propos de ce mouvement c’est qu’il n’y a pas besoin de cela, les gens descendent dans la rue et disent simplement « c’est inacceptable », « on ne peux plus accepter ça », pour moi c’est suffisant ! Je suis content de voir ça, parce qu’il s’agit de gens de différents milieux, ça n’a rien de spécifiquement de « gauche » ou de « droite », dès lors j’aimerais peut-être voir ceci grandir encore. D’un autre côté je ne suis pas du genre à croire en la révolution, du tout… je ne crois pas que la société progresse et qu’elle ait jamais réellement progressé. Pour moi s’il y a quelque chose de fixe même si nous ignorons ce que c’est, même si nous n’avons pas à le définir, mais nous savons que c’est quelque chose d’éternel et que nous y enracinons notre société humaine alors nous pouvons avoir une certain stabilité, c’est comme avoir un compas, vous savez où est le nord, en l’absence de cela personne n’est capable de se mettre d’accord sur « où est le nord », c’est le chaos alors même avec une révolution si vous n’avez aucun accord sur le « nord » immanquablement vous aurez encore plus de chaos. Donc ça me concerne un peu, je veux croire que les humains par quelque chose comme l’esprit humain pourraient s’accorder sur ce « compas »… mais, je ne suis pas certain qu’ils puissent y arriver par eux-mêmes, je ne peux pas moi-même, alors je ne sais pas trop si je peux croire tous ceux qui crient afin de réaliser ça… Toutefois, ça doit être fait, Wall Street doit tomber, essentiellement je suis d’accord avec tout cela, je suis un supporter de cette idée : juste dire « assez », assez avec cette violence faite à la race humaine, c’est insultant en plus d’être blessant et destructif c’est vraiment insultant d’être traité de la sorte, les riches et les pauvres… tout ça devient vraiment intolérable !

UD : Trey, penses-tu qu’il existe réellement une forme d’énergie spirituelle dans la musique, et en particulier dans la tienne ?

TS : D’une certaines façons j’espère que non parce qu’en général lorsqu’il y a des énergies spirituelles dans la musique ce ne sont pas les bonnes, je sais que pour moi dans le passé il y a eu beaucoup de travaux diaboliques, le mieux qui puisse être fait c’est de vider tout cela, je ne peux pas dire que j’y sois parvenu… si je me dresse ici et que je déclare que je parviens à transmettre de bonnes énergies je ne serais qu’un menteur, ce n’est pas à moins d’en décider. Ce que j’essaie de faire c’est de me concentrer sur le style et la forme, en particulier lorsque nous jouons sur scène ; lorsque je regarde en arrière, être capable d’apporter un certain sourire au public, c’est vraiment le moment le plus pur auquel je puisse parvenir… avoir le contrôle sur ce genre de chose c’est vraiment une autre histoire…

UD : Quel est le poids de ta propre spiritualité dans la musique de SC3, tu as étudiés en profondeur l’ésotérisme, particulièrement l’ésotérisme musulman avant de te convertir à l’Orthodoxie… ?

TS : A ce point c’est très bien que je puisse parler de ça, c’est certainement le seul moment ; le seul « lieu » où je puisse le faire car d’habitude je n’en parle pas… Habituellement je garde ça à un niveau très personnel, même dans la musique… nous avons travaillé sur des symboles, sur des idées très vastes, très nombreux et de ce fait nous avons un grand nombres d’auditeurs très différents et qui se concentrent sur ces choses, et c’est merveilleux d’une certain manière, et parfois, ce n’est pas si merveilleux que cela parce que chacun apporte ces idées propres et nous pouvons nous sentir un peu irresponsables… D’une certaine manière je suis parfois entravé par ce que le musique reflète de moi-même et par ce qu’elle me fait, c’est pour cela que je préserve un peu plus de ce qui est, actuellement, intensément personnel. Mais maintenant je peux dire que cette étude très intensive, l’ésotérisme musulman, tout ça… sur lequel je me suis penché pendant une très longue période, douze ans… cette façon de faire était très sèche, c’était comme une terre aride, très intellectuelle à partir de laquelle rien ne pouvait pousser, toutefois cette étude, froide, détachée, très intellectuelle de l’ésotérisme musulman aura certainement brisé quelque chose qui m’a amené à pouvoir concevoir la théologie… d’une façon ultime la théologie elle même, cette rupture avec un rationalisme dur… il y a douze ans de cela je n’aurais certainement pas été capable de lire les Pères comme je le fais aujourd’hui… Une réponse très convenue, non ? Mais vraiment c’est ce qui m’a permis de comprendre la balance entre le coeur, l’intuition et l’intellect… c’est quelque chose de très important…

Compte-rendu du concert d’APAtT et Secret Chiefs Three à L’Antipode, le 17 octobre 2011, qu’Unidivers avait annoncé dans ses pages. Une réjouissance sonore et spirituelle ! Et félicitations à l’Antipode pour la pertinence de sa programmation qui ne se dément pas.

 L’organisateur des tournées des Anglais de APAtT et des Américains de SC3 se fait appeler Madame Macario et dénomme les concerts qu’il organise « les folles soirées de Mme Macario ». En fait de « folies », Rennes croit avoir tout vu et n’aura, finalement, jamais rien vu… Tout dépend de l’orientation et de l’énergie… Ce 17 octobre 2011, à L’Antipode, les présents furent servis ! Du dadaïsme électro-choc de APAtT aux extrémités orientalo-métal des Secret Chiefs Three…

 APAtT est un collectif originaire du nord de l’Angleterre, c’est tout dire, et ne rien dire ! Ne dire rien d’une entité musicale qui se joue, précisément, des onomatopées tant verbales que musicales ce serait le mieux ! Les mots sont toujours de trop face à une telle assurance sonore ! Cette entité a digéré tant sur le mode intellectuel, aussi sérieux que franchement rigolard (avec une énergique pointe d’ironie), tous les courants musicaux « post-modernes » (de Throbbing Gristle à John Zorn en passant par la variété « froide » et dansante  des années quatre-vingt – Propaganda autant que Partenaire Particulier – jusqu’au jusqu’au-boutisme genre « metal ») et les assumant tous en les poussant dans leurs derniers retranchements. APAtT a offert au public rennais une prestation de pure désorientation. Une prestation hors-norme et hautement réjouissante, à la hauteur de celles que tous espéraient et parfois expérimentaient lors desTransmusicales passées – avant que celles-ci ne deviennent le haut lieu du lieu commun musical (et avant de décider de faire raquer les journalistes en leur monnayant leurs accréditations – 68€ les 2 jours !). Disons, pour les connaisseurs, que APAtT c’est un peu comme les français de D.D.A.A mais puissance 10 000 (pour preuve le final infra-basse+larsen qui n’avait d’autre but que de faire fuir le public pour cause « d’oreilles-qui-saignent »…) !

Le même sentiment resurgit lorsqu’on y pense, durant la prestation des Secret Chiefs Three… Du moins pourrait-il resurgir si l’intensité de l’instant nous en laissait l’occasion ! Les Américains surexcités ont su reconcentrer l’attention d’un public un peu atterré par le set dada de APAtT avec leur extrême dynamique synergétique ! SC3 c’est, en mode musique électrique énervée, la « conspiration des contraires » dont saint Grégoire de Nysse fait le mode de la création divine originelle. Tout d’abord, SC3, ce sont sept entités musicales en une…

Lors d’une conversation privée, Trey Spruance, le pivot axial de cette multi-entité, m’a conforté dans cette idée que ce projet correspond parfaitement à l’idée d’une « union sans confusion » ! Dès lors, à travers des mégatonnes de décibels, le public de L’Antipode a expérimenté l’électrique conjonction de l’Extrême-Orient et de l’extrême occident !

Nous avons été transmutés en point conjoncturel énergétique, neutrino humain mû par une obscure et encore inconnue puissance à la fois entropique et néguentropique. Traversés par la suave souplesse de sonorités et rythmes arabiques soufis, transfigurés par la puissance innervée des expérimentations sauvages d’un occident sublimement éperdu.

Ultime et désespérée danse de Saint-Guy, illuminée par les odes et orgues électrisées d’un Orient tout aussi défait, et autant fantasque que fantasmé, nous avons dansés en sueurs sur les sept corps-incarnations d’idées électrisées reliant tout ce globe globalisé-divisé…

Une méta-physique (très physique) qui ne dit rien (musique nue sans parole) nous a tout dit en parole-vibrations dans le corps ! Une alchimie authentiquement « dé-mondialiste » qui, contrairement aux illusions de métissage « ethnic » ou « world music », met du côté de l’Orient traditionaliste l’extrême électricité solaire et l’obscure dynamique résurrectionnelle sur la face de l’Occident (avec, par exemple, l’exaltante reprise spiritualisé de Ennio Morricone) !  Shazad Ismaïly (extraordinaire bassiste) nous avouera après le show avoir eu, durant leur performance, la sensation de chevaucher un cheval sauvage sur le dos duquel il aurait lu son livre favori… !

Le secret des chefs est sans doute de relier et réconcilier la tête et le coeur dans l’alchimie électrique du « secret séjour du coeur » (Heiddeger) !

Thierry Jolif

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Thierry Jolif
La culture est une guerre contre le nivellement universel que représente la mort (P. Florensky) Journaliste, essayiste, musicien, a entre autres collaboré avec Alan Stivell à l'ouvrage "Sur la route des plus belles légendes celtes" (Arthaud, 2013) thierry.jolif [@] unidivers .fr

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