Dans toutes ces images, quelque chose se chuchote de la solitude, une question s’esquisse quant à la forme à donner à sa vie.  (Dominique Baqué)

Depuis neuf ans, l’exposition grand format inscrit la photographie dans l’espace public rennais. Cette année, la Ville de Rennes a convié une photographe française, Corinne Mercadier. Elle offrira son univers onirique au regard de tous place de la Mairie du vendredi 20 septembre au dimanche 20 octobre 2013. Présentation détaillée par l’artiste.

 

U.D. –  Vous exposez 40 photographies sur la place de l’hôtel de ville à Rennes. Quel est le fil conducteur entre ces 6 séries réalisées entre 1992 et aujourd’hui ?

Corinne Mercadier – L’exposition montre des photographies choisies parmi Paysages, 1992-94, Où commence le ciel ? 1995-1996, Une fois et pas plus 2000-2002, Longue distance 2005-2007, Solo et Black Screen 2011-2012.
Je voudrais tout d’abord parler du fil conducteur de l’exposition, ce qui relie les images prélevées dans ces six ensembles. Pour monter cette exposition, nous avons sélectionné des photographies capables de voisiner malgré leurs différences. Nous avons élaboré un ordre qui s’appuie sur la résonance de thématiques ou formes avec à la fois un souci de continuité et de rupture pour créer un rythme spécifique au plein air, sur une place aux multiples accès.
Quant au fil conducteur entre les séries, il est produit par ma vie et la vie de l’œuvre. Certainement un regard sur le monde, sur les autres et sur moi, un regard sur l’art, des circulations particulières entre rêverie et action, la façon d’utiliser les techniques.
Les projets que j’élabore évoluent au moment même de la réalisation, ils se modifient au fil de chaque étape de création : du dessin préparatoire à la fabrication des objets qui figurent dans les photographies, à la mise en scène… Mais si je regarde en arrière, et cette rétrospective à Rennes permet de le faire, il y a une constante dans les images malgré la diversité des séries : une image contrastée, construite, théâtralisée par la couleur (sauf Longue distance qui est tirée en noir et blanc) et la lumière. Au Polaroid ou en numérique, on retrouve un même esprit dramatique, l’importance du temps capté par l’instant photographique, surtout à partir de 2000, et des objets lancés lors des prises de vue. Ces objets continuent d’incarner dans Solo le temps présent.

Vous avez abandonné en 2008 le mythique Polaroid SX70 pour un appareil photo numérique. La fin de la production des pellicules par l’entreprise Polaroid vous a obligée à vous adapter à une technique très différente. Quelles incidences sur votre travail et sur votre imaginaire ?

Corinne Mercadier photographiée par Antoine Rambourg
Corinne Mercadier photographiée par Antoine Rambourg

Une rupture radicale dans ma méthode de travail, mais la poursuite de la même recherche. Un contrôle bien plus grand sur l’aspect des tirages et le traitement de la couleur. Ce contrôle n’était pas d’actualité lorsque je travaillais avec le Polaroid, car lorsque j’ai commencé dans les années 80, je n’avais pas eu auparavant de pratique argentique. J’ai choisi cette pellicule pour son autonomie (c’était une pratique d’atelier et non de laboratoire), la réactivité et l’unicité des tirages. Je n’ai pas retravaillé les images avant la fin du temps de développement comme le faisaient certains artistes dans les années 70 et 80. J’aimais simplement le grain, le contraste, les défauts comme le vignetage qui concentre le regard.
Lorsque j’ai décidé d’agrandir les Polaroids, avec un Ekta intermédiaire, il y a eu très peu de modifications ; et dans la lignée des originaux, les tirages comportaient eux aussi des défauts acceptés comme faisant partie de l’image.
Le numérique, lui, oblige à contrôler, à définir une esthétique, à décider jusqu’où on veut aller, car il offre des possibilités très grandes qui ne doivent pas devenir trop grandes. Avec la post-production des photographies, que j’assure moi-même, j’ai dû trouver du sens dans le choix permanent de tous les paramètres de l’image, et maintenant ce temps très long n’est plus une charge pour moi. Au contraire, c’est l’aboutissement de la prise de vue. La notion d’original n’a plus de sens en numérique. Et c’est tout aussi passionnant de donner corps à un fichier immatériel.

On associe le Polaroid à un petit format. Or, l’exposition ne présente que de très grands formats. Le passage de l’un à l’autre est-il aisé ?

Oui, il est aisé. C’est une volonté que j’ai eue depuis mes débuts photographiques en 1985. D’abord dans des dimensions modestes pour expérimenter ce changement d’échelle, puis lors de mes premières expositions de photographies en 1990 avec des tirages de 1 m de côté, jusqu’à 1,60 m de long pour la série Longue distance.
Le Polaroid SX70 est un objet intime, d’une merveilleuse matière photographique. L’agrandir provoque un changement de statut, une perte de définition et une nouvelle texture. On change de registre, on ne peut pas comparer, et il faut regarder le tirage agrandi comme une nouvelle image : plus contrastée, plus dense et d’un impact visuel incomparable. L’image rentre dans l’espace physique.
À Rennes, la particularité de l’exposition est que toutes les photographies sont tirées au même format. Plus que le grand format, c’est cette égalité d’une série à l’autre qui est une première.

 En 1996, vous posiez la question « où commence le ciel ? » à une quinzaine d’auteurs, architectes, chorégraphes, danseurs, écrivains ? – Cette exposition s’intitule « le ciel commence ici ». L’artiste est-il toujours celui qui fixe le point d’horizon ?

Le titre de l’exposition à Rennes est un clin d’œil, comme si la drôle de question lancée en 1996 avait soudain et de manière irréfutable trouvé sa réponse à Rennes,et que désormais elle ne se posait plus. Mais l’affirmation de ce titre doit aussi être prise au sérieux : là où nous sommes, là où les images sont visibles, là commence un espace mental ou une rêverie que j’associe au ciel comme espace partagé. J’ai voulu en effet par ce titre pointer le fait que c’est une exposition publique, visible nuit et jour sans contrainte. Et puisque la ville m’offre ici à Rennes la possibilité de faire une telle exposition, le ciel commence ici.
Pour répondre à votre question, je ne sais pas si les artistes fixent le point d’horizon, mais assurément ils fixent un point qui se révèle au fil de leur œuvre. C’est un point à l’horizon d’un paysage intérieur.

En parallèle, nous pouvons découvrir à l’Opéra de Rennes une vingtaine de vos dessins. Il est connu que vous faites des croquis, des esquisses comme travail préparatoire pour vos photographies. À quel moment ces dessins deviennent-ils des œuvres autonomes ?

Ce ne sont pas les mêmes dessins. Les croquis et carnets préparatoires servent à l’élaboration des prises de vue, ce qui n’est pas le cas des dessins présentés à l’Opéra. Il s’agit ici de la série Black Screen Drawings, « les dessins à l’écran noir », série qui a sa vie autonome par rapport à la photographie, même s’il y a des interférences avec celle-ci.
Cette série fait suite à d’autres, Ce qu’il y a entre les choses et Dehors, réalisées dans les années 90. Toujours de très petits formats, au crayon de couleur et gouache sur fond d’encre. C’est ce fond d’encre sombre (en tous cas au début de la série) qui leur donne leur nom.
Ce sont des rêveries sans aucun projet. À partir des modulations colorées de l’encre séchée. Leur petite taille étrangement me permet de dessiner de grands espaces. Cette série, réalisée dans la période de transition entre le Polaroid et la photographie numérique, a fait naître Solo et Black Screen. Ces deux séries photographiques en cours font – chacune dans l’esprit qui leur est propre – une grande part à l’obscurité et à la théâtralité de Black Screen Drawings.

Propos recueillis par Nathalie Morice

Corinne Mercadier, Solo Fata Morgana
Corinne Mercadier, Solo Fata Morgana

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A Rennes place de la Mairie Photos de Corinne Mercadier (entretien)

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