Patrice Le Floch a été nommé vendredi 8 octobre 2021 à la direction du Triangle, Scène conventionnée d’intérêt national, art et création pour la danse. Il succède à Charles-Edouard Fichet, directeur de la Cité de la danse depuis 17 ans, avec le projet « Croisons la danse », une invitation aux habitants et aux artistes d’investir le Triangle de Rennes et son environnement.

Depuis vendredi 8 octobre 2021, une nouvelle page s’écrit au Triangle – cité de la danse. Patrice Le Floch prend la direction de la scène conventionnée d’intérêt national, art et création pour la danse, et succède à Charles-Edouard Fichet, aux commandes depuis 17 belles années.

Patrice le floch
Patrice Le Floch, nouveau directeur du Triangle – cité de la danse

Son arrivée est récente et Patrice Le Floch prend encore ses marques dans ce grand bâtiment, et ce quartier bouillonnant d’un nouvel élan culturel. Cependant, ce n’est pas la première fois que ses pieds foulent le sol breton puisque son histoire a commencé ici, dans le centre de la Bretagne, avant d’entamer des études à l’Université Rennes 2. Il travaille également quelques années au domaine de Kerguéhennec et au Village, site d’expérimentation artistique de Bazouges-La-Pérouse. Orienté arts-visuels, c’est son poste au Centre de Recherche et de Composition Chorégraphique à la Fondation Royaumont dans le Val d’Oise qui l’inscrit dans les arts du spectacle vivant et scelle son ancrage dans le nord de la région parisienne pendant près de 18 ans. « Mon envie de développer un projet sur un territoire m’a mené à Eaubonne où j’ai travaillé à la préfiguration de l’espace culturel devenu L’Orange Bleue en 2008. C’était un projet vivant et vitaminé, sur lequel j’ai d’abord été administrateur avant de m’occuper de la programmation jeune public, aux côtés du directeur, Tristan Rybaltchenko », explique Patrice Le Floch.

Il prend la tête des lieux en 2017 et participe en parallèle aux comités « danse » d’Arcadi, agence régionale de spectacle vivant d’Île-de-France. Dans le même temps, il est sollicité par la DRAC pour participer aux commissions d’attribution des aides aux compagnies. « Je suis devenu co-président du Réseau Escales Danse en 2018, à un moment clé où le réseau cherchait un conventionnement. L’Orange Bleue n’était pas conventionnée, mais était de taille similaire avec une trentaine de spectacles par an. » Rassemblant une vingtaine de membres, le réseau est conventionné « Danse en territoire », par la DRAC de l’Ile-de-France. Ce dispositif spécifique permet de soutenir la création et d’offrir une visibilité à la vitalité de la scène chorégraphique tout au long de la saison.

Le croisement de ces deux expériences, et l’envie également, l’a conduit à postuler pour une scène conventionnée, le Triangle – cité de la danse, lieu qu’il connaissait en tant qu’étudiant. Son projet « Croisons la danse » lui vaut sa nomination. À l’instar du projet « Faire Archipels » d’Étienne Bernard à la direction du Frac Bretagne, et de « Fair-e Préfigurer » du collectif Fair-e à la direction du CCNRB, le projet de Patrice Le Floch s’inscrit dans une volonté d’ouvrir les portes du lieu afin de rassembler et d’inclure tous les publics, toujours dans la démarche d’accessibilité initiée par Charles-Edouard Fichet.

« Un spectacle n’est pas une chose inerte. Il bouge au fur et à mesure, trouve son public, son espace et son sens. C’est une écriture constante. »

Unidivers – Cet intérêt pour la danse développé au cours de vos expériences passées est-il venu naturellement ? Aviez-vous une sensibilité pour cette discipline à la base ?

Patrice Le Floch – Sans être le héraut de racines culturelles, j’ai vécu dans la campagne du centre de la Bretagne et la danse a toujours fait partie de mon quotidien. Ma collaboration avec la chorégraphe Susan Buirge à la Fondation Royaumont a scellé cet appétit déjà présent. Elle fait partie des chorégraphes américain.e.s qui ont influencé la nouvelle danse française et apporté des repères et des modalités d’écriture à la danse européenne. J’ai notamment travaillé à la coordination d’ateliers et de formations. Susan possède un réseau tel que j’ai été immergé dans l’écriture chorégraphique, et dans ce monde.

À mon arrivée à Eaubonne, j’ai soutenu avec force auprès du directeur l’adhésion à Escales Danse même si nous n’étions que dans la préfiguration du lieu. Beaucoup d’écoles de danse sont implantées dans le territoire, mais apporter de nouvelles esthétiques pour sortir de ce qui est enseigné en école reste compliqué.

Cet intérêt pour la danse est fait de cette volonté d’installer l’art chorégraphique avec la difficulté que la discipline peut représenter. Encore aujourd’hui, ce n’est pas la forme artistique vers laquelle on s’oriente naturellement. Pour cette raison, le projet que je vais porter au Triangle, comme celui à L’Orange Bleue, fera participer les habitants. Avant de prendre la présidence d’Escales danse, je suis moi-même passé de l’autre côté du miroir, à l’endroit de la création puisque j’ai participé à des projets d’Olivier Dubois, notamment Mémoires d’un seigneur et Milles et une danse, en 2017. Le projet, pailleté et déjanté, rassemblait 300 amateurs à la sortie du RER et du centre commercial de la Canopée des Halles. J’aborde d’ailleurs assez sereinement le marathon de la danse réalisé dans le cadre de Waterproof. Je suis quelqu’un qui aime danser donc il y a des chances pour que l’on me voie aussi sur la piste (rires).

Unidivers – Votre nouveau projet « Croisons la danse » annonce deux axes forts. D’abord, celui du dialogue entre les cultures et les disciplines, et le croisement des regards sur le monde dans une volonté de renforcer la culture chorégraphique dès le plus jeune âge…

Patrice Le Floch – Le renforcement des cultures chorégraphiques, essentiel pour déjouer ces présupposés sur la dans, est en effet un des axes que je souhaite défendre. Une exposition La Danse contemporaine en questions a été mise en spectacle par Geisha Fontaine et Pierre Cottreau et je souhaiterais la présenter la saison prochaine. La chorégraphie retrace une certaine histoire de la danse. Geisha faisait remarquer à juste titre que Rooftops de Trisha Brown (1971) se déroulait sur les toits il y a 50 ans de cela. La réalité de cette danse considérée trop contemporaine est déjà une danse de répertoire.

trisha brown
Roofttops, Trisha Brown

Et Saïdou Lehlouh, co-directeur du CCNRB – que j’ai d’ailleurs connu jeune adulte, tout comme moi, à Eaubonne alors qu’il était dans l’association Move Live Danse, m’a un jour dit qu’il ne faisait pas de la danse hip hop, mais de la danse. Ses propos sont très justes. Aujourd’hui, les danseurs viennent de différentes formations. La danse est plurielle et la réalité de la création, dans l’expérimentation d’espaces non scéniques. Au-delà des cultures chorégraphiques avec des partenariats, par exemple avec le Conservatoire à rayonnement régional qui vient de s’installer à côté, je souhaite proposer des formes plurielles, au syncrétisme de ces histoires qui se composent. Montrer une danse qui témoigne de ces réalité-là et croiser différentes esthétiques.

Cette danse plurielle est la réalité du monde d’aujourd’hui. Il s’agit de montrer aussi bien les danses de proximité et les compagnies bretonnes implantées sur le territoire que rendre visible la danse d’Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient. Faire dialoguer les cultures dans un quartier lui-même pluriel en proposant une programmation en écho des réalités du quartier pour faciliter les chemins de la découverte pour tout le monde. Et dans ces chemins, l’implication des habitants est primordiale selon moi.

« La danse est plurielle et la réalité de la création se trouve dans l’expÉrimentation d’ESPACES NON SCÉNIQUES. »

Unidivers – De quelle manière l’implication des habitants se retranscrira-t-elle dans les prochaines saisons du Triangle ? S’agit-il d’une inclusion directe dans la programmation ou de spectacles créés avec la population du quartier ?

Patrice Le Floch – Il y aura les deux en fait. Des démarches seront initiées par des chorégraphes et impliqueront les habitants dans leur spectacle, dans une démarche de transmission, en construisant sur une écriture préétablie.

Des temps forts, appelés Générations en mouvement, seront par ailleurs programmés tout au long de la saison. Dans la même dynamique que la Tablée Fantastique, ces événements mettront la lumière sur des esthétiques, des initiatives, y compris celles des habitants. L’idée est de créer des temps autour d’une thématique fédératrice – l’enfance avec le festival Marmaille, les cultures urbaines, les musiques actuelles avec les Transmusicales, etc. Un thème comme la pratique amatrice donnerait la possibilité de présenter des projets conçus par les habitants. Des jeunes venus s’entraîner au théâtre urbain pourraient faire une démonstration dans un temps partagé.

Je souhaite aussi, dans cette pluralité des esthétiques, frotter la danse à d’autres disciplines. L’Orange Bleue avait une programmation pluridisciplinaire, dont beaucoup de cirque et de théâtre gestuel, tous deux très proches de la danse. Toutes ces formes incluent le mouvement et montrent la diversité des écritures du mouvement, avec tout de même un point central, la danse.

L’implication des associations du quartier, comme le centre social, me semble également importante. Avec le pôle associatif en cours de construction, le conservatoire ouvert récemment et le Quadri, la rambla devient un espace pédestre, un trait d’union qui nous relie tous. Je souhaite me concerter avec tous les acteurs du quartier afin d’imaginer comment l’investir avec une programmation régulière afin de s’approprier l’espace public, espace d’expression qui a toute sa place dans le projet que je souhaite défendre.

Il y aura évidemment les spectacles au plateau, avec des artistes dans le soutien à la création, mais je souhaite investir l’environnement autour du Triangle, dans un dialogue avec les autres partenaires. Je crois qu’entre tous ces différents usages de l’espace public, on a un rôle primordial à jouer afin d’envisager une programmation au cœur du quartier.

« Dans l’idéal, j’aimerais faire de ce trait d’union qu’est la rambla, un poumon culturel dans le quartier du Blosne. »

Unididivers – Dans votre deuxième axe, vous apportez une attention particulière au jeune public. Qu’en est-il des générations plus âgées, souvent exclues socialement et culturellement ? Pouvons-nous envisager un mélange de générations afin de parler à l’ensemble de la population ?

Patrice Le Floch – L’idée initiale de Générations en mouvement est justement de mêler les générations et de permettre à l’une et à l’autre, en fonction des âges, mais également des pratiques sociales et culturelles, de s’exercer.

Un constat national dans nos lieux témoigne d’un vieillissement global des publics. Un constat, je pense, que la crise sanitaire aggravera avec un premier trimestre de la saison culturelle difficile pour tous. Si de grandes structures, comme le Théâtre National de la danse à Chaillot, peinent à remplir leurs salles, imaginez pour des lieux implantés dans des territoires au cœur de quartiers populaires… Selon moi, il est nécessaire d’envisager des temps croisés, également pour les seniors. J’ai très envie de proposer le projet « Grand-mère » d’Alexandre Fray, un porté de grand-mère.

Pendant ce temps d’immersion sur le territoire, l’acrobate se lie à une personne dépendante qui a un problème de mobilité. À l’issue de cette résidence, une forme pourra être restituée en vidéo, dans l’espace public ou au plateau. Tout cela est à construire en équipe. Pourquoi ne pas envisager un porté en plein milieu d’un projet pour le jeune public pour montrer que la question du mouvement et de la mobilité est commune à tous et toutes, qu’importe l’âge. L’artiste pourrait également aller témoigner de sa démarche dans le milieu scolaire. J’aime cette idée de croisement. Ce ne sera pas le seul projet en direction des seniors, j’ai également pensé à des résidences d’artistes dans les ehpad, particulièrement touchés par la crise sanitaire. Ces projets nécessitent de repenser toute la configuration même du projet dans sa globalité, avec les moyens dont disposent le Triangle afin de conduire à cette dynamique-là.

Je me glisse sur l’axe de la collaboration, du faire et de l’être ensemble dans une volonté d’expérimenter à plusieurs. Il y a ce lieu dont nous sommes responsables et cette équipe qui collabore, mais également l’envie de partager des programmations avec d’autres partenaires afin de toucher tous les âges. Tous ces échanges sont utiles à la culture en cette période qui a fortement impacté la mobilisation des publics et modifié clairement le paysage culturel. Il est plus que nécessaire que nous collaborions tous ensemble pour trouver des passerelles dans le but de créer de nouveaux espaces imaginaires pour que de la danse puisse se frotter aux autres disciplines, à différents âges ou à d’autres esthétiques inconnues qui permettent une présence dans le lieu, mais également autour du triangle.

« Il y a une dichotomie entre le nombre de personnes à l’extérieur d’un lieu et ceux à l’intérieur. »

Unidivers – Comment expliquez-vous ce recul de la population alors que durant la pandémie, la population n’avait qu’une hâte : retrouver les lieux culturels ?

Patrice Le Floch – Les formes dans l’espace public rencontrent un franc succès, nous avons pu le constater avec l’événement New Orleans Fever. Mais devoir montrer patte blanche pour entrer dans une salle de spectacle n’est pas nouveau. Pénétrer dans ce que l’on appelait auparavant les tours d’ivoire n’est pas la démarche la plus simple. Au contrôle visuel des sacs depuis les attentats, s’ajoute le passe-sanitaire. Il y a peut-être cette volonté du public à ne pas être dans la contrainte. Je ne porte aucun jugement sur ces décisions, mais toutes ces mesures peuvent complexifier l’entrée en salle et rendent, pour un certain public, les choses plus complexes.

Le public fidèle, qui s’est exprimé, est revenu sans forcément entrer dans des logiques d’abonnement à long terme. Et les groupes avec qui nous partageons des projets dans le secteur médico-social ou autres ont cette même volonté pour pouvoir ancrer la culture dans la vie des citoyens. Cependant, toutes ces mesures peuvent freiner le public intermédiaire qui n’ose venir qu’une à deux fois par an sans avoir encore cette habitude sociale et culturelle. À nous d’inventer de nouvelles façons d’aller à leur rencontre et pouvoir les surprendre par l’inédit.

Pour moi, la forme au plateau sera toujours l’aboutissement. On accepte de faire face à une œuvre et d’avoir une relation directe avec elle. Mais je souhaite créer un chemin jusqu’à elle en créant de nouveaux espaces imaginaires qui ont déjà eu lieu dans l’histoire du Triangle, notamment par l’investissement dans l’espace public et l’ancrage dans un environnement en perpétuelle évolution. C’est un lieu pour lequel nous devons aller au delà des murs, mais toujours avec cette idée que les portes sont grandes ouvertes pour accueillir tout le monde. Ces temps forts investiront d’autres espaces avec des opérations coup de poing en partenariat avec les acteurs du quartier, puis, petit à petit, ils conduiront à la salle, dans un chemin toujours convivial…

Unidivers – Je vous remercie Patrice Le Floch.

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