La mezzo-soprano Stéphanie d’Oustrac et le ténor Sébastien Droy ont répondu à l’invitation de l’Opéra de Rennes pour un duel mozartien le 31 mars. Duel devenu rapidement duo, sur le thème de la voix telle que Mozart la célébrait. Entourés des membres du quatuor Debussy, ils ont montré comment le prodige viennois utilisait parfois sa musique pour arriver à des fins plus personnelles…

Ce n’est un mystère pour personne : certains grands airs des opéras de Mozart, sans rien perdre de leur beauté, avaient en leur époque un but plus trivial. Lequel ? Celui de mettre en avant quelques cantatrices déjà bien en vue afin de permettre à l’auteur d’obtenir d’elles ce que nous appellerons pudiquement des marques de reconnaissance ou d’affection. La femme de Mozart, Constance Weber, elle-même chanteuse, était dotée, parait-il, d’une assez jolie voix. Pourtant, c’est pour sa sœur, Aloysia Weber, amour de sa vie et dont la main lui fut refusée, qu’Amadeus Mozart écrivit quelques-unes de ses plus belles pages. Il avait coutume de dire, «j’aime qu’un air aille au chanteur comme un costume bien taillé». C’est une puissante illustration de cette citation que nous offrira Stéphanie d’Oustrac en ouverture, avec une ombrageuse interprétation de l’air «Alma grande e cor nobile», morceau de bravoure destiné à être inséré dans un opéra de Cimarosa, I due Baroni. Sans tarder Sébastien Droy lui donnera la réplique avec un très bel air extrait d’Idoménée roi de Crète, au cours duquel le souverain, tremble à l’avance, à l’idée du crime qu’il doit commettre pour obéir au dieu Neptune. Immoler son propre fils lui fait prononcer de funestes paroles:

Je verrai nuit et jour me hanter l’ombre affligée de l’innocente victime. Elle proclamera son innocence. Elle me montrera sur son sein transpercé, sur son corps exsangue, le sang que par mon crime, j’aurai fait couler.

DUEL MOZARTIEN OPERA RENNESC’est un roi plus épanoui que nous retrouverons quelques instants plus tard avec l’extrait «Ah, perdona al’ primo affeto» tiré de l’opéra La clémence de Titus. C’est une belle occasion pour Mozart de découvrir un peu son âme, en mettant dans la bouche de ses chanteurs des paroles d’amour et de pardon. Il exprime un désir d’universalité que l’on retrouvera dans nombre de ses œuvres.

Ce sera un véritable moment de gourmandise que de retrouver un air familier à nos oreilles avec «Wie stark ist nicht dein zauberton» tiré de cette perle qu’est «La Flûte enchantée». Notre oiseleur, le maladroit Papageno apprend que celle qu’il aime est bien vivante et chante sa joie en s’accompagnant de sa flûte, quand au loin un autre instrument lui répond…

C’est le même frémissement de plaisir qui accompagnera le célébrissime «voi che sapete», tiré des non moins célèbres Noces de Figaro, au cours desquelles le jeune Chérubin, plus si enfant que cela, s’interroge sur ce qu’est l’amour et comment on en ressent les effets. En la matière il faut comprendre l’expression, «les effets» par les troubles de l’âme, mais très clairement aussi ceux de la chair. C’est d’ailleurs bien de chair et de toutes les catastrophes qu’elle engendre dont il s’agira quelques instants plus tard, au moment d’évoquer le sulfureux Don Giovanni.

Pour illustrer cette œuvre majeure, c’est l’air de Don Ottavio «dalla sua pace» qui a été choisi. De façon contradictoire, il apparaît comme une phase de méditation au milieu de ce maelstrom des passions et invite à une réflexion apaisée. C’est l’instant qu’a choisi Sébastien Droy pour le mieux exprimer son talent de chanteur, et la qualité du silence qui l’entoure est un indice qui ne trompe pas.

DUEL MOZARTIEN OPERA RENNESMission réussie, donc pour nos deux chanteurs et leurs talentueux musiciens, mais le public rennais, n’est pas au bout de ses surprises. Lors de la seconde partie c’est une transcription du requiem de Mozart, pour quatuor à cordes que vont nous proposer, Christophe Collette et Marc Vieillefon, au violon accompagnés de Vincent Deprecq à l’alto et de Cédric Conchon au violoncelle. Nous voici donc en plein terrain miné ! Oser porter une main, probablement sacrilège, sur une œuvre aussi iconique que le requiem de Mozart, relève du péché sans possible pardon. Peu soucieux d’un tel anathème, en 1802, Peter Lichtenthal, dès qu’il a connaissance de l’œuvre, s’empresse d’en créer une version pour quatuor à cordes, afin, explique-t-il, de le faire connaître dans les salons milanais. Groupie ou fan avant même qu’on ait créé ces expressions laudatives, il réussit à l’époque un véritable «hold-up » et fait connaître cet intéressant quatuor jusqu’à ce que le temps le fasse tomber dans l’oubli.C’est en 2006 que la fameuse partition est exhumée de la bibliothèque du conservatoire de Milan, grâce au quatuor Debussy.

DUEL MOZARTIEN OPERA RENNESQue faut-il en penser ? Afin de ne pas faire languir le lecteur, la réponse s’impose d’elle-même et ne souffre pas de polémique, cela reste une merveilleuse musique, et ce nouveau regard permet d’aborder le Requiem sous un angle différent. Premièrement, l’absence de paroles le dépouille d’une certaine manière, de sa dimension religieuse puisque l’œuvre n’est que musique, oui, mais, car il y a un mais : la puissance évocatrice et la beauté ne perdent rien dans cette transcription.

Dès l’introitus le ton d’une certaine gravité est donné, difficile de ne pas fredonner les paroles et de soupirer un long «et lux perpetua luceat eis». Impression peut-être subjective, mais le tempo utilisé semble être un peu plus rapide. Le Kyrie, très contrapontique, sonne comme du Bach, c’est beau à pleurer. Le Dies irae ne perd rien de sa force d’évocation et nous laisse haletants et bouleversés, même chose pour un très beau Tuba mirum dont les premières notes données par.l’alto puis reprises par le violoncelle avant que l’ensemble ne développe la mélodie, nous font oublier l’appel du cor auquel nous sommes habitués. Le « Rex tremendae majestatis», entamé par un vigoureux ostinato semble plus dépouillé qu’avec un ensemble orchestral classique, il gagne en puissance d’évocation et là encore, impossible de ne pas susurrer avec délectation «voca me per benedictis». Pas difficile à comprendre, mais cette transcription de Mozart ne dénature pas l’œuvre que nous aimons, elle nous en fait découvrir l’essence et la quintessence, mais aucune raison de se sentir frustré ou blessé, car cela reste la merveilleuse musique de Mozart. Les mêmes émotions violentes vous traverseront l’esprit en l’écoutant. Mozart pensait écrire cette ultime messe des morts pour lui-même et la prière intense et l’Action de grâce qui habitent cette œuvre s’imposent comme une évidence, même en l’absence de paroles. Le quatuor Debussy nous a initiés à quelque chose que beaucoup d’entre nous ignorions.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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