De Mikhail Glinka à Camille Saint-Saëns, l’Opéra de Rennes a réveillé du 14 au 22 mars le souvenir d’une époque d’échanges culturels fructueux entre la Russie et la France qui partageaient une fascination mutuelle. D’un côté la mode, la chaleur, l’élégance, une certaine légèreté ; de l’autre, l’immensité, le froid glacial, un sens inné du décorum. Chez les deux, une musique marquée d’une profonde identité.

Courtoisie oblige, c’est avec un invité russe que s’ouvre le bal. Et pas n’importe lequel ! Mikhail Glinka est considéré comme le père de la musique russe et fondateur du grand opéra national. Soumis à de nombreuses tensions avec le pouvoir tsariste, ce musicien auteur du fameux Ruslan et Ludmilla produira en 1856 la valse fantaisie pour orchestre en si mineur. Dès les premières notes assez sombres de l’œuvre, semblables à un appel autoritaire, le ton est donné. Aux moments de danse légers succèdent des instants plus sévères, tout cela sur l’élégant rythme à trois temps de la valse. Parfois Glinka, de façon assez malicieuse, semble adresser à son auditeur un coup d’œil complice en introduisant avec humour des touches exotiques rendant sa musique peu dansable, mais tellement évocatrice.

Serge Prokofiev prend ensuite le relais avec un impressionnant concerto pour violon n°1 en ré bémol majeur opus 10. Le moment est donc venu pour le public rennais de faire connaissance avec le soliste invité, le Britannique Matthew Trusler.

MATTHEW TRUSLER

Les premières mesures calmes et mélodieuses permettent à notre intervenant de s’échauffer, mais rapidement la mélodie s’entête devient plus trépidante, plus exigeante, le mouvement de l’archet sur le splendide Stradivarius ne cesse de s’accélérer et permet à Matthew Trusler de démontrer une technique bien maîtrisée. Il approche, notamment lors du Scherzo, les limites de ses capacités et certaines notes sont un peu laborieuses, mais cela peut être interprété d’une manière différente, une option volontaire afin de préserver une certaine âpreté, le souhait de garder un son brut, dénué d’artifices. Mathieu Rietzler, le directeur de l’opéra de Rennes, évoquera un violon sans concessions.

C’est au tour des musiciens français de s’inviter sur scène et Camille Saint-Saëns, auteur de la fameuse danse macabre, volontiers grinçant et malicieusement sarcastique, ne manquera pas de provoquer ses auditeurs grâce à Introduction et rondo capriccioso. Les premières mesures pleines d’une humilité portée avec discrétion et élégance par les pupitres de cordes vont rapidement se métamorphoser en une danse digne de Méphistophélès au cours de laquelle le violoniste va pouvoir s’en donner à cœur joie et faire montre de ses qualités techniques. Matthew Trusler ne s’en prive pas et avec brio, entraîne son public dans les transes que provoque habituellement la musique de Nicolo Paganini. La comparaison est pertinente lorsque l’on sait que l’œuvre jouée fut composée en 1863 à la demande du prodige espagnol Pablo de Sarasate, pour lequel Camille Saint-Saëns avait composé quatre ans plus tôt son premier concerto pour violon en la majeur. Le jeune interprète était alors âgé de 15 ans.

MATTHEW TRUSLER

C’est avec un second musicien prestigieux, en la personne de Francis Poulenc, que nous achèverons ce voyage entre Moscou et Paris. La sinfonietta, dont le titre à l’Italienne n’a d’autre fin que de démontrer le dédain de l’auteur pour les formes trop classiques, ne réussit toutefois pas à nous faire oublier la structure en quatre mouvements (Allegro con fuoco, Molto vivace, Andante cantabile, Finale) significative de ce qu’est une symphonie, à la façon de Joseph Haydn par exemple. On n’en trouve pas moins cette élégance à la française, cette forme musicale teintée d’humour tel qu’on pouvait l’attendre légitimement de l’auteur des Mamelles de Tirésias.

Ce concert de deux heures de l’orchestre symphonique de Bretagne dirigé par Grant Llewellyn , marqué par des interprétations intelligentes et vigoureuses, a su mettre en évidence les ponts entre auteurs russes et français. Esprit d’indépendance, refus de la contrainte, brio et humour, pied de nez à l’ordre établi, les deux nations révolutionnaires ont été bien servies. Les rangs peu clairsemés de l’opéra de Rennes, malgré une soirée de football opposant Rennes à Arsenal, ont démontré l’intérêt du public pour cette intéressante formule. Cela dit, notre violoniste vedette n’a pas forcé sur les rappels et le bis préférant se réfugier non loin dans un pub rassemblant de nombreux supporters londoniens… Passion, quand tu nous tiens !

Crédit photos : Laurent Guizard

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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