L’Outsider, Yann Le Berre de son nom de naissance, a recouvert de son art le mur qui longe le couvent des Jacobins, rue d’Échange à Rennes. Le projet a été initié par Destination Rennes et le MUR de Rennes. Né dans la rue il y a plus de 20 ans, le travail du street-artiste s’est construit autour de son amour pour le lettrage et la discipline du graffiti. Les formes dansent et créent un langage abstrait, porte ouverte sur des mythologies imaginaires.

Une petite effervescence a agité l’enceinte du couvent des Jacobins de Rennes vendredi 12 mai 2023 à 17h30. Après avoir composé une œuvre rue d’Échange, le street-artiste L’Outsider présentait son travail réalisé dans le cadre d’un projet initié par le couvent des Jacobins, Destination Rennes et le MUR de Rennes. La présentation s’est clôturée par une symbiose des arts plastiques et de la danse puisque le danseur Ekilibro a été invité à proposer une performance tout en grâce corporelle, énergie et puissance technique autour de cette création plastique qu’héberge désormais une des façades de l’ancien couvent. Yann Le Berre cherche ainsi à créer un pont entre les disciplines et prolonge le travail autour du lettrage et du mouvement qu’il développe depuis son adolescence.

yann le berre
Yann Le Berre, aka L’Outsider

C’est au moment de l’explosion de la scène graffiti en France, à la fin des années 90 – début 2000, que Yann Le Berre découvre l’univers hip hop. Il était âgé de 14 ans et le rap français inondait les ondes radio et faisait vibrer le paysage culturel du moment. Pendant ses études en ébénisterie, à l’École des métiers d’art Duguesclin à Auray puis à l’École Boulle à Paris, Yann a baigné dans ce mouvement multidisciplinaire. Il se souvient d’ailleurs avoir posé son premier graff dans une discothèque abandonnée un mercredi après-midi et avoir été grisé par la transgression de cette création illégale. Depuis ce jour-là, ses mains n’ont plus lâché la bombe. « Très vite, je me suis retrouvé à acheter le magazine Radical, un des seuls auquel j’avais accès et qui traitait du graffiti. C’est comme quand tu démarres une passion, tout est merveilleux. » 

Ébéniste la journée, graffeur le weekend et le soir, Yann prend alors le blase « L’Outsider », terme qui désigne dans les courses équestres un concurrent dont les chances de remporter la compétition sont réduites, mais qui peut déjouer les pronostics. La dualité dans la définition résonne avec le milieu graffiti, aux origines underground et vandale dont personne ne reconnaissait la valeur artistique jusqu’à ce que, devenu le mouvement street art, il ne s’inscrive dans l’histoire de l’art et n’entre dans les institutions. Il prend comme outil de prédilection un objet hybride entre une bombe traditionnelle et un extincteur dont la rapidité, la maîtrise du jet et la précision sont les clés d’une peinture réussie. « La peinture était une forme d’exutoire pour supporter la pression du métier et les chantiers prestigieux », confie-t-il. Sans ambition artistique pendant 20 ans, c’est à son retour en Bretagne que sa passion devient un métier.

Une nouvelle aventure commence alors, mais les liens entre son travail du bois et celui de la peinture sont pour lui évidents. « Ce qui m’a plu dans le graffiti, c’est justement d’être dans le faire, dans l’action. Les deux disciplines m’ont enseigné des choses similaires. » L’ébéniste sculpte le bois, comme le graffeur travaille la peinture, même si le premier est guidé par des commandes. « On a reproché au graffiti d’être dans une forme d’action gratuite plutôt que dans un art conceptuel où la réflexion doit générer une action ». Là où l’institution intellectualise une pensée, une démarche, le graffiti désigne une pratique frontale, traduit une spontanéité et une envie de peindre. « La réflexion et le sens de ta peinture sont induits de cette action puisque tu peins rapidement et là où tu ne dois pas peindre », déclare-t-il avant de poursuivre : « Dans le graff j’avais la liberté totale de peindre ce que je voulais », une liberté créative qu’il a d’ailleurs eu peur de perdre dans l’institutionnalisation de son travail. Mais les chemins de la vie, comme devenir père, l’ont poussé à se ranger pour ne plus prendre de risques. Néanmoins, tout son travail se base sur ces sensations fortes vécues pendant des années. 

  • yann le berre
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Pour éviter de s’empâter en atelier, Yann a trouvé des stratagèmes, « des drogues de substitution ». Les contraintes qu’il se fixait, comme venir à l’atelier la nuit et peindre en quelques minutes, ont été un moyen de continuer à s’émerveiller et de revivre les mêmes émotions. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a conservé son outil de prédilection et qu’il a créé une résonance entre son travail d’atelier et celui mural. « J’aime l’idée qu’on sente cette énergie, cette violence, cette adrénaline et cette envie de peindre dans mes tableaux en atelier. »

« Je suis toujours fondamentalement amoureux de cette discipline. Je la respecte énormément, j’adore les gens qui la pratiquent et surtout l’intention de peindre qui est souvent dissociée de toute considération financière ou éthique et de reconnaissance publique. » 

Son attirance pour le lettrage et l’assemblage de lettres s’est muée en un langage abstrait qui traduit visuellement les attitudes et ressentis liés à la pratique du graffiti. À travers cet hommage à la forme typographique, l’artiste appréhende la lettre comme une catégorie artistique à part entière, à l’instar du paysage, des natures mortes et des portraits. L’histoire de l’art se retrouve d’ailleurs en filigrane dans son travail : certaines œuvres rappellent l’art cinétique, d’autres l’abstraction géométrique. Une sensibilité qu’il a développé à l’école et le nourrit encore aujourd’hui. Il se rappelle notamment du courant Bauhaus, à l’origine une école allemande connue pour être à l’avant-garde dans les formes (architecture, graphisme et design) dans les années 30. Son rapport à la lettre n’est également pas sans rappeler le lettrisme, mouvement artistique né en 1945 qui a renoncé à l’usage des mots pour s’attacher à la poétique des sons, des onomatopées et à la musique des lettres.

l'outsider rennes

Yann oppose la stabilité de la typographie à un geste très lâche, « même émotionnellement. Je démarre dans la spontanéité et après je structure la fresque ». Celle réalisée au couvent des Jacobins est inspirée de l’architecture et des couleurs du lieu. « Quand on peint des graffitis, on travaille à l’échelle du corps et on génère des chorégraphies abstraites liées à la pratique et au format des œuvres créées. » Les formes dansent le long de la façade, créent des arabesques et, à l’instar de tout son travail, traduisent la chorégraphie induite par le sujet qui est en train d’être peint. « Être invité ici [couvent des Jacobins, ndlr.], c’est une sorte d’aboutissement de mon travail. Forcément, ce travail entre dans des commandes officielles, mais c’est une évolution logique pour moi et ça ne m’empêche pas de rester sensible à des œuvres illégales. »

Et les lois originelles du graffiti ne sont jamais loin, l’ancien graffeur en ayant subi les frais pendant la période de création. Certaines plaques accolées contre le mur ont été arrachées et la fresque a été toyée d’un graff et de messages à caractère politique, obligeant Yann à retravailler son œuvre. « Je comprends le message, j’ai été graffeur avant donc je ne peux pas leur vouloir, même si je m’étais fixé une éthique et, de base, j’étais respectueux des monuments et des œuvres », confie-t-il avant de compléter : « Et en même temps, ça me concerne donc ça me touche obligatoirement. » Le débat demeure ouvert, les arguments des deux partis peuvent s’entendre, mais il est incontestable que la présence d’un street-artiste dans un lieu comme le couvent de Jacobins, lieu géré par l’Office du tourisme, reflète une reconnaissance du mouvement que les précurseurs, les pionniers de graffiti américains ont, dès leurs débuts, cherché à avoir. « Si ça se trouve, il sera peut-être à ma place dans 15-20 ans, s’il persévère », ajoute-t-il. « Ça ramène aussi à des fondements de la vie. Elle n’est pas parfaite et lisse, et tu ne peux pas tout maîtriser dans une ville. Plus il y a de graffs dans une ville, plus elle est vivante. »

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Conscient de ce risque de détérioration, L’Outsider voit en cette commande une tentative pour le couvent des Jacobins de voir comment vivrait une œuvre dans un des quartiers les plus vivants du centre-ville rennais, lieu de rendez-vous tant diurnes que nocturnes. Selon la réception, les lieux pourraient envisager dans un futur plus ou moins proche une rythmique proche de celle du MUR de Rennes, partenaire du projet. En attendant, comme le conclut si bien Yann Le Berre à la fin de sa présentation : « Enjoy » !

Propos recueillis par Jean Gueguen et Emmanuelle Volage

Article réalisé par Emmanuelle Volage.

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