Le travail du sexe est des plus stigmatisés par la société. Alors que la France s’inscrit dans une politique abolitionniste, des voix luttent afin de faire entendre la parole des personnes concernées. Parmi elles, l’association rennaise Les Pétrolettes. Promotrice de liberté et de féminisme, l’association de développement communautaire promeut l’inclusion des travailleurs et travailleuses du sexe dans la société et lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu péripatéticien.

[Dans le cadre de Nos Futurs – la parole à la relève, retrouvez l’association Les Pétrolettes aux Champs libres dimanche 26 mars 2023 à 14 h 30, à la Vie du citoyen, à l ‘étage. Durée : 45 min]

Livres, bande dessinées, documentaires et films sortent ces dernières années et abordent le sujet tabou que demeure le travail du sexe consenti, terme qui désigne les activités professionnelles qui touche au sexe : camgirl, escort, entraîneuse et entraîneur, prostitué, strip-teaser ou strip-teaseuse, et même vendeuse dans un sexshop. Dans un désir de libérer la parole, de rendre visible un milieu que la société exclut, les personnes concernées témoignent et relatent le récit d’une vie qu’elles ont choisi.

Il existe une grande diversité de situations dans le travail du sexe et le marché de la prostitution. Si des personnes sont exploitées, voire contraintes à proposer des services sexuels, d’autres exercent ce travail de manière consentie et assumée. La France reste sourde à la voix de ces dernières personnes et promulgue des lois répressives et abolitionnistes, c’est-à-dire qui visent la suppression de la prostitution. Pendant ce temps, un de nos voisins européens, la Belgique, a récemment dépénalisé la prostitution (juin 2022). Depuis sa création, l’association Les Pétrolettes œuvre à l’accompagnement de personnes travailleuses du sexe et à rendre visible un sujet de société obstinément tabou dans la patrie des Droits de l’Homme.

les pétrolettes rennes
© Les Pétrolettes

Fondée en mai 2020, l’association Les Pétrolettes est née du constat de la parole invisibilisée des travailleurs et travailleuses du sexe (T.D.S.). Les recherches étudiantes d’Agathe l’avaient amenée à s’intéresser au lien entre le travail du sexe et le féminisme. Face au discours éminemment violent d’une professeure, la jeune femme s’est alors rapprochée de Dorys, référente du Strass en Bretagne (Syndicat du travail du sexe). « À la base, Agathe voulait monter une association de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, mais elle s’est vite rendue compte que les travailleuses du sexe étaient les personnes les plus stigmatisées et dont les voix n’étaient pas entendues », se rappelle Maelan, salariée dans l’association. « C’est pour cette raison qu’elle a eu envie de se recentrer sur ce sujet-là. » Main dans la la main, Doris et Agathe ont pensé un projet associatif inclusif qui se nommera “Les Pétrolettes”, en hommage aux pétroleuses, nom des femmes ayant participé à la résistance de la Commune de Paris pendant la semaine sanglante de 1871.

À l’instar de ces femmes activistes qui n’entraient pas dans le moule de la « parfaite ménagère », les pétrolettes tiennent leur force de la structure même de l’association. Son principe repose sur une cogestion entre une personne travailleuse du sexe et une personne qui ne l’est pas, une alliée, dans le but de croiser les points de vues et d’enrichir les luttes. « Les voix qu’on entend d’habitude ne sont pas forcément celles des personnes concernées, ce sont juste des gens qui ont des avis », regrette Maelan. « Dans l’association, il y a des T.D.S. donc on sait de quoi on parle et on est légitimes. »

Alors que l’antenne d’une association abolitionniste se crée à la même période à Rennes, les pétrolettes souhaitent, pour contrebalancer, offrir aux T.D.S. un lieu d’accompagnement et d’écoute bienveillant et compréhensif. « À l’heure actuelle, les lois abolitionnistes ne fonctionnent pas et ont un effet délétère. Elles empirent la situation des concernées », déclare Alice, coprésidente des Pétrolettes et travailleuse du sexe. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 avril 2016, la France est passée d’un modèle qui pénalise les personnes travailleuses du sexe à un modèle qui incrimine les clients. Suivant le modèle suédois, la loi française interdit le recours aux services d’une personne qui se prostitue sous peine d’une amende de 1 500€, pouvant aller jusqu’à 3 750 € en cas de récidive. Une loi qui est loin de faire l’unanimité chez les concernées.

La deuxième mesure phare, la suppression du délit de racolage passif, rentre en contradiction juridique avec la première. « On est passées du statut de délinquantes à celui de victimes », explique Alice. « En théorie, on est moins emmerdées dans notre travail, mais nos clients le sont et, d’une manière ou d’une autre, ça se répercute sur nous. » Maelan ironise : « Vous avez le droit de travailler, mais on n’a pas le droit de faire appel à vous ». Au lieu de protéger les personnes travailleuses du sexe, ces nouvelles sanctions ont entraîné un changement drastique et non négligeable dans leurs conditions de travail : obligation de s’isoler, baisse de la clientèle, négociation des prix et du port du préservatif. « Les filles du bois de Boulogne doivent se mettre dans des endroits plus reculés pour que les clients puissent venir. Elles sont plus isolées donc c’est plus dangereux », donne pour exemple Alice. « C’est un non-sens juridique et de santé publique. »

Loin de vouloir banaliser ou “glamouriser” le travail du sexe, les membres souhaitent donner une autre vision que la soupe médiatique servie par les grandes chaînes de télévision qui ne font que diaboliser le milieu, au détriment de la réalité du quotidien des personnes travailleuses du sexe consentantes. « Des personnes pensent savoir mieux que nous ce qu’on fait, alors que ce n’est pas leur métier », récapitule la coprésidente. « Les gens englobent le travail du sexe dans la traite des êtres humains alors que ce sont deux choses complètement différentes. »

Le but principal des pétrolettes est d’accompagner, individuellement et collectivement, les travailleurs et travailleuses du sexe avec une approche pragmatique et non jugeante, et de démystifier auprès de la société les idées reçues et préjugés. « Une amie camgirl a publié ses revenus sur ses réseaux et beaucoup lui ont demandé pourquoi elle continuait si c’était pour gagner autant que le SMIC. Comme elle a expliqué, on est nombreux et nombreuses à avoir enchaîné les boulots sans s’y retrouver, physiquement et psychologiquement. Le T.D.S. permet de travailler selon nos conditions, notre énergie, nos envies et nos possibilités », raconte Alice avant de témoigner de sa propre expérience : « Avant de faire ce job, j’ai fait une dépression en exerçant un job plus conventionnel, là on peut dire que j’ai gagné en qualité de vie ».

« Nous ne voulons pas dire que ce boulot est génial, mais que c’est possible de bien le vivre, et qu’il faut respecter ce choix. »

Maelan
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© Les Pétrolettes

Parmi les préjugés les plus tenaces, celui du consentement est des plus historiques. « On est les seules personnes en France qui ne sont jamais consentantes même en étant majeures. Ça voudrait dire qu’on ne peut pas être consentantes quand on est travailleuses du sexe alors que… oui », affirme Alice. Maelan complète : « Il y a un gros amalgame entre désir et consentement. Des personnes arrivent de l’étranger et le TdS est leur seule solution pour venir en France. C’est une solution de merde, on est tous d’accord, mais c’est fallacieux de dire qu’elles n’ont pas le choix. C’est super infantilisant parce qu’en fait, si, elles ont fait ce choix ».

Si une personne est travailleuse du sexe et le vit bien, l’asso l’aidera à mettre en place le meilleur pour que son activité se passe au mieux. A contrario, si une personne veut arrêter, l’équipe l’orientera vers les structures dont elle a besoin. Le Mouvement du nid ou l’association Entr’Actes à Lille comptent parmi les structures titulaires de l’agrément pour le parcours de sortie, mais le chemin pour y arriver ressemble plus à un parcours du combattant qu’à un accompagnement adéquat… Le dispositif de sortie est validé sur dossier et dépend de la préfecture de la ville. La personne T.D.S. est dans l’obligation d’arrêter son activité pour recevoir une allocation de 333 € seulement pour une personne seule. Dans le cas d’une personne étrangère, une autorisation provisoire de séjour (APS) est renouvelable maximum trois fois. Cependant, cette dernière est difficile à obtenir auprès de certaines préfectures et révèle, une nouvelle fois, un texte législatif piégé par des politiques publiques contradictoires. « Il faut être la bonne victime », simplifie Alice. Le parcours de sortie se confronte en effet à la politique migratoire de l’État, appliquée strictement par certaines préfectures sans prendre en compte le statut de victimes des personnes désireuses de sortir du circuit.

Parallèlement à l’accompagnement et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les pétrolettes ont ainsi développé toute une branche plaidoyer. À l’instar du Strass, elles se battent afin de rendre visible leur parole et montrer les incohérences de la loi. Chaque année depuis la création, elles organisent notamment une manifestation à République à l’occasion de la journée internationale contre les violences faites aux personnes travailleuses du sexe, le 17 décembre. L’association est également intervenue à l’école Askoria afin de parler de leur travail et préparer le terrain pour les futurs travailleurs sociaux, l’idée étant aussi de « déconstruire les préjugés pour éviter des situations désagréables ».

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© Les Pétrolettes

Confrontées à des violences quotidiennes virulentes, notamment sur les réseaux sociaux, les personnes T.D.S. trouveront chez les pétrolettes un refuge. « Avoir de la visibilité ne veut pas dire banaliser. C’est aussi pour montrer aux personnes concernées, qui n’ont pas forcément l’expérience du militantisme, qu’elles peuvent rencontrer d’autres personnes qui leur ressemblent. C’est important », précise Alice. L’association organise une fois par mois un goûter en non-mixité pour que les personnes puissent échanger en groupe sans la crainte du jugement. Maelan ajoute : « Devoir subir le silence de son activité est une autre forme de violence. Toute la société leur dit que cest mal et sale… C’est extrêmement violent et épuisant de travailler dans un tabou complet, de devoir s’inventer une double vie. »

Malheureusement, tant que la politique et les médias stigmatiseront le métier, résumeront toute la diversité des profils en un seul, les amalgames se succéderont, tout comme les problèmes de compréhension entre le travail consenti et non consenti. Les mœurs n’évolueront pas, les façons de penser non plus. Depuis juin 2022, la Belgique a dépénalisé totalement la prostitution, les travailleuses et travailleurs du sexe belges sont ainsi libres d’exercer leur activité sans crainte de représailles judiciaires. Il est cependant toujours interdit de faire du proxénétisme. « Le sujet est très complexe, mais La Belgique l’a fait, alors pourquoi pas nous ? », interroge Alice avant de poursuivre en guise de conclusion : « On parle de rouvrir les maisons closes, oui pourquoi pas, mais des maisons closes autogérées alors. Sinon, ce sera la même histoire : des personnes se feront de l’argent sur notre cul. »

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© Les Pétrolettes

L’association fait une permanence sans rendez-vous tous les jeudis après-midis au bureau des Pétrolettes, 2 allée de Finlande, et les vendredis matins dans les locaux d’Iskis, 6 rue Saint-Martin (métro Sainte Anne). Lors des permanences, une friperie est mise à disposition ainsi que du matériel de réduction des risques (préservatifs internes ou externes, éponges menstruelles, lingettes ou lubrifiant). Il est possible de faire un entretien santé. Et si tu souhaites plus de confidentialité, il est possible de demander un rendez vous individuel. Contact pour prendre rendez-vous : 06 31 60 99 25 ou par mail via ce formulaire.

Site Les Pétrolettes

Site Strass / Contact Bretagne : federation-bretagne@strass-syndicat.org

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