Le 20 novembre 2019 à 18h30, l’Auditorium des Champs Libres de Rennes a accueilli une lecture-concert des plus émouvantes. Le comédien Patrice Le Saëc et le groupe rennais Cosmic Concrete ont interprété la BD Le Déserteur de l’auteur danois Halfdan Pisket. Récompensé par Le Prix de la Série à Angoulême (qui récompense une oeuvre composée de trois volumes minimum), Halfdan en a profité pour présenter son œuvre au public rennais venu en grand nombre. Une occasion idoine pour Unidivers ! Entretien.

Cosmic Concrete
Source : Facebook Cosmic Concrete.
Patrice Le Saëc
Le comédien Patrice Le Saëc – source : https://patricelesaec.book.fr/

Né en 1985 au Danemark, Halfdan Pisket est issu de l’Académie royale danoise des Beaux-Arts. Depuis ses 20 ans, il travaille sur une trilogie retraçant l’histoire de son père, un Turc contraint de fuir son pays pour le Danemark. Un choix délibéré parce selon lui, c’est là-bas que les femmes sont les plus jolies. Ce n’est qu’en 2014, alors qu’Halfdan est âgé de 28 ans que le premier volume intitulé Déserteur sort au Danemark. Cafard et Dansker (Danois en français, ndlr) enchaînent le pas en sortant en 2015 et 2016. Les Éditions Presque Lune, en collaboration avec le traducteur Jean-Baptiste Coursaud ont permis la visibilité de ces ouvrages en France. Et quel succès ! En janvier 2019, Halfdan Pisket fut le premier Danois à être nominé et qui plus est, récompensé à Angoulême !

Halfdan Pisket
Jean-Baptise Coursaud, le traducteur français des œuvres d’Halfdan Pisket (à droite)

Unidivers – Pourquoi cette envie de retracer l’histoire de votre père ?

Halfdan Pisket (traduit par Jean-Baptiste Coursaud) – Ce n’est pas vraiment une envie qui m’a animé pour l’écriture de cette trilogie, mais plutôt un besoin. Quand j’étais enfant, je regardais beaucoup de films sur les gangsters et mon père en était lui-même un. Alors pour moi, agir en gangster constituait une normalité. En grandissant, je me suis rendu compte que ce n’était pas le cas et que très peu d’ouvrages traitaient des thématiques de mes Bds. Déserteur c’est l’histoire d’un homme contraint de fuir son pays, Cafard (kakkerlak en danois, ndlr) retrace les aventures d’un travailleur immigré au Danemark et Dansker (Danois) dépeint le combat d’un homme pour obtenir sa naturalisation. D’ailleurs, si le second ouvrage s’intitule Cafard c’est parce que cet animal fait référence à la condition de mon père : un homme que l’on chasse, qui traverse les pires mésaventures, mais, qui résiste coûte que coûte.

Halfdan Pisket
Les couvertures sont les seuls dessins où Halfdan Pisket a établi un contact visuel entre son personnage et le lecteur.

Unidivers – Quelle sont les parts de fiction et de réalité dans votre trilogie ?

Halfdan Pisket – Lorsque l’on raconte l’histoire de quelqu’un qui nous est cher, on désire forcément que celle-ci soit cohérente, captivante, émouvante. Or, l’histoire de mon père c’est l’histoire d’un salaud de première. Un salaud envers les femmes, un trafiquant de drogue, un criminel. Il n’y avait pas d’intérêt ni pour moi, ni pour lui, ni pour vous, à ce que mes Bds soient exclusivement sordides et emplies de criminalité. En tant qu’écrivain, mon pouvoir c’est de créer de l’empathie pour mon personnage en expliquant au lecteur comment en est-il en est arrivé là. Mais mon père ne m’a pas tout raconté. Il est issu d’une culture où aborder ses faiblesses est tabou, c’était toujours au moyen d’anecdotes qu’il me parlait de lui. Mais je le connais par cœur : c’est moi qui l’ai accompagné pour la première fois chez l’assistante sociale, c’est moi qui allais le chercher au commissariat, c’est moi qui le soignais lorsqu’il se faisait tabasser… Je pouvais donc lire en filigrane les émotions sur son visage et les interpréter. Je me suis basé sur ses paroles pour construire mon récit, mais le reste est de la fiction. Par exemple, dans Déserteur, un passage le montre subissant de la torture dans une prison turque. Ça, il ne me l’a jamais raconté. Il me parlait de la prison en évoquant un prétexte pour les blessures avec lesquelles il en est ressorti. Grâce aux émotions qui s’échappaient de ses paroles et à mes recherches complémentaires, je me suis laissé la liberté de dessiner mon père en train de se faire torturer. Ainsi, je crée un lien avec le réel à partir des histoires de mon père, tout en ne faisant pas défaut à ce qu’il se passait réellement en Turquie à cette période. Aussi, mon père a toujours nié le génocide arménien. Mais moi, tout en sachant qu’il a grandi dans un village qui fut le théâtre de ce génocide, je ne pouvais pas faire l’impasse sur cet évènement tragique dans mes Bds.

Halfdan Pisket
Extrait Déserteur

Unidivers – Cette trilogie retrace une quête identitaire dont votre père a été victime. Vous arrive-t-il aussi de ne pas vraiment savoir à quelle nation vous appartenez ?

Halfdan Pisket – Non, pas vraiment. Dès ma plus tendre enfance, j’ai très vite pris conscience que m’identifier et me caractériser à partir d’une nationalité ne me ressemblait pas. Je me caractérise à partir de mes relations, de mes échanges avec les autres. Un jour je peux être arménien, le lendemain mexicain et le jour suivant, danois. Pour moi, la nationalité est complètement anodine. Je suis né au Danemark, j’ai grandi au Danemark, je parle danois donc forcément, d’une certaine manière je suis danois. Mais je sais que certaines personnes me regardent comme un étranger. Je ne peux pas me définir à partir de leur regard.

Halfdan Pisket

Unidivers – Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre nom en tant que vainqueur du Prix Série à Angoulême ?

Halfdan Pisket – Ne serait-ce que d’être nominé à cette sélection d’Angoulême était déjà un grand honneur pour moi. Angoulême est un festival que j’admire et que je suis depuis de nombreuses années. Être le premier danois à être nominé aux côtés d’auteurs exceptionnels comme Riad Sattouf, j’avais du mal à y croire. De plus, janvier 2019 était une période très particulière pour moi dans le sens où j’avais prévu de ne pas me rendre à Angoulême. Mon père était très malade, il était sur le point de mourir et donc, je m’occupais de lui à plein temps. Je voulais rester auprès de lui parce que je savais qu’il ne lui restait que quelques semaines, mais c’est lui qui m’a dit : “Non, vas-y ! Si tu gagnes, il faut que tu sois là-bas”. Et donc je l’ai écouté. Contre toute attente, j’ai remporté le prix et mon père est décédé quelques semaines plus tard.

Halfdan Pisket
Extrait Cafard.

Unidivers – Votre père vous a-t-il fait des retours particuliers concernant vos Bds ?

Halfdan Pisket – Mon père a eu les livres entre les mains, il a commencé à les lire, mais je pense qu’il ne les a pas terminés. Ce sont les livres qui ont remporté un prix à Angoulême, ce n’est pas moi, ce n’est pas lui non plus. Ces Bds sont de la fiction et c’est la fiction qui a été récompensée, pas nous. Pour mon père, le plus important a été les critiques publiées au Danemark, le prix venait juste récompenser mon travail assidu puisque j’ai travaillé 9h par jours pendant 3 ans pour créer cette trilogie.

Unidivers –  Utilisez-vous une technique particulière quand vous dessinez ?

Halfdan Pisket – Quand je regarde le travail des autres, je sais dire pourquoi j’aime bien ou pourquoi je n’aime pas. Concernant mes dessins, il faut avant tout qu’ils me plaisent, mais, si un de mes collaborateurs me dit que ça ne convient pas, je recommence sans broncher. Les dessins sont en noir et blanc parce que cela me plaît et parce que cela permet plus de rapidité dans la création. Récemment, je me suis surpris à relire mes albums et en m’arrêtant devant quelques dessins je me disais : “Waouh, là tu as vraiment bien dessiné !” (rires). Mais je suis incapable d’expliquer comment et pourquoi j’ai mieux dessiné pour tel ou tel dessin. Parfois, j’ai un peu l’impression d’agir comme un magicien. La plupart de mes dessins ne sont pas sujets à des réflexions sous-jacentes, ils viennent comme ils viennent sur le moment.

Halfdan Pisket
Les couvertures d’Halfdan Pisket montrent un homme au visage de plus en plus meurtri au fil des années

Unidivers – Vos Bds ont déjà été sujets à d’autres interprétations musicales au Danemark. Arrivez-vous à expliquer pourquoi elles sont si plébiscitées par les musiciens ?

Halfdan Pisket – Je n’ai pas de relation particulière avec la musique. Je sais que mon père adorait la musique. Peut-être que cela se ressent dans le personnage de mes albums. Je trouve ça merveilleux et je suis très touché par le fait que ces œuvres, écrites il y a plusieurs années, suscitent encore d’autres envies artistiques. Quelque part, je suis fier de mes Bds, un peu comme un père est fier de ses enfants. Je les ai créées, mais maintenant, elles vivent leur propre vie !

Halfdan Pisket
Extrait Dansker

Éditions Presque Lune 

DÉSERTEUR
HALFDAN PISKET
Traduction : Jean-Baptiste Coursaud

ISBN :978-2-917897-25-6/ PARUTION LE 13 FÉVRIER 2017
104 P / 21,5 X 29 CM / 18 €
COUVERTURE CARTONNÉE

CAFARD
HALFDAN PISKET
Traduction : Jean-Baptiste Coursaud

ISBN :978-2-917897-32-4/ PARUTION LE 08 FÉVRIER 2018
136 P / 21,5 X 29 CM / 21 €
COUVERTURE CARTONNÉE

DANSKER
HALFDAN PISKET

Traduction : Jean-Baptiste Coursaud

ISBN :978-2-917897-37-9/ PARUTION LE 11 OCTOBRE 2018
160 P / 21,5 X 29 CM / 23 €
COUVERTURE CARTONNÉE

Julie Pialot
Julie Pialot a suivi des études de Lettres Modernes. Pendant une année d'ERASMUS à Pondichéry (Inde), elle a rédigé un mémoire sur la littérature de voyage en Orient, avant de compléter sa formation à l'école de journalisme de Marseille. Passionnée de voyages et de nouvelles découvertes, c'est en Bretagne, son choix de coeur, qu'elle a choisi de mettre en valeur les initiatives culturelles locales.

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