Autres mesures rythmera la ville de Rennes au son des musiques contemporaines du 10 janvier au 2 février 2025. Douze spectacles, dont une grande partie gratuits, donneront à voir l’extraordinaire diversité des expressions contemporaines dans des lieux tels que l’Opéra de Rennes, l’Antipode, le FRAC Bretagne, le musée des Beaux-Arts ou encore le conservatoire de Rennes. Unidivers a échangé avec les deux programmateurs, Melaine Dalibert et Jiess Nicolet, afin de discuter de cette décennie de musiques contemporaines et de la programmation.
En 2015, quelques amis musiciens passionnés par la création souhaitent diffuser leur amour de la musique aux Rennais et Rennaises et se réunissent autour d’un parcours sonore au nom d’Autres Mesures. 10 ans ont passé et le festival est ancré plus que jamais sur le territoire rennais, « autour de 80-85% de taux de remplissage sur l’ensemble de l’événement », annonce Jiess Nicolet, co-programmateur artistique avec Melaine Dalibert. En une décennie, difficile de choisir quels événements les a conforté dans leur choix d’éveiller la curiosité de la population rennaise, les moments marquants sont légion. « Chaque concert que l’on a organisé trouve son sens et son histoire. » Le duo cite notamment l’invitation faite l’année dernière à David Grubbs, musicien qui n’était pas venu à Rennes depuis longtemps, et le duo lumineux qu’ont offert la pianiste Ève Risseur et la chanteuse malienne Naïny Diabaté…
10 ans de musiques contemporaines à Rennes
Ce qui est certain, c’est qu’après 10 ans de propositions, Autres Mesures se place comme un événement incontournable dans la ville de Rennes. Le festival a relevé avec brio le défi de susciter l’intérêt de la population autour d’une musique qui, de prime abord, peut effrayer, car souvent méconnue ou mal jugée. « La fréquentation de l’événement, toujours en augmentation, montre un réel appétit pour ces musiques un peu aventureuses, mais peu médiatisées, qu’elles soient de répertoire contemporain, improvisées ou pointues, et qui sont dans l’exploration », analyse Melaine Dalibert, pianiste et compositeur, fondateur du festival et coprogrammateur (cf. article « Voyage musical extraordinaire avec Melaine Dalibert », 14 octobre 2023, Unidivers). Jiess Nicolet ajoute : « Les musiques d’écoute ont aussi été redécouvertes pendant la covid. On a vu émerger une scène de musique ambient, de musique drone, ce qui a changé la façon d’écouter la musique. »
« De plus en plus de musiciens, qui sont à la base des interprètes, se mettent à créer leur musique. Ils osent exprimer leur musique et la défendre », Melaine dalibert
Dans la rencontre et le croisement, le festival a accompagné et observé l’évolution des musiques contemporaines, autant dans la réception du public que dans la création en elle-même. « Si la musique contemporaine a souvent été une musique pratiquée par des musiciens plutôt classiques qui faisaient, de temps en temps, un pas de côté vers la création afin d’élargir leur répertoire, on en voit davantage s’investir pleinement dans ces démarches », exprime Melaine. « Cette dernière décennie, la créativité a infusé dans le profil des musiciens classiques, c’est quelque chose que j’observe chez des confrères et consœurs. » Cette évolution est due notamment, selon lui, à un changement dans les pédagogies, les enseignants ouvrant de plus en plus l’accès à ces musiques de création. « Il n’est pas rare de retrouver des motifs contemporains dans la musique de variété, dans des structures sonores de production ou dans des constructions mélodiques, comme les motifs répétitifs. Philippe Glass [musicien et compositeur contemporain américain, NDLR] a beaucoup investi le cinéma et aussi nourri la pop », prolonge Jiess. « Les Beatles étaient les premiers à revendiquer des influences de Stockhausen qui figurent dans l’album Sergent Pepper », donne comme exemple Melaine alors qu’une chanson du groupe passe dans le café. « Ce sont souvent les musiciens qui ont beaucoup traîné dans le studio qui ont cet héritage d’une musique focalisée sur le son et sa dimension plastique. »
Sans chercher une direction particulière pour les dix ans du festival, la nouvelle édition est à l’image des précédentes. Elle suivra cette voie de la diversité exploratoire des musiques contemporaines, et s’adresse à tout le monde. « Le 7 à 77 ans que l’on revendique sur le festival est réel. »
Que nous dit la programmation 2025 ?
Dans l’édition 2025, les liens tissés avec le territoire breton afin de rendre visible les musiques contemporaines de notre région apparaissent dans l’invitation à l’Ensemble Sillages, en résidence depuis longtemps à Brest. Ensemble à géométrie variable, Sillages est invité à se produire en quatuor au Frac Bretagne, le 1er février 2024, à 17h « Ce sont des projets que l’on essaie de faire circuler intelligemment sur le territoire, ils vont aussi être au festival Les Aérolithes de Saint-Brieuc », nous apprend Melaine.
Le festival a également noué des relations solides avec les acteurs culturels rennais. Parmi eux, l’Opéra de Rennes. L’institution leur a proposé de s’associer à la création Fort de Benoît Menut et Catherine Anne, une pièce de théâtre musicale (22 et 23/01, Champs Libres, 20h). Autre moment grandement attendu, Melaine Dalibert montera sur la scène de l’Opéra pour interpréter l’album The Köln Concert de Keith Jarrett, pour le cinquantième anniversaire de cet événement historique dans l’histoire de la musique. Le 24 janvier 1975, Jarrett donne un concert entièrement improvisé. Enregistrée, cette soirée devient son album le plus connu et reconnu. Le pianiste rennais travaille depuis un an afin de jouer cette oeuvre devenue de répertoire 50 ans plus tard jour pour jour, à la même heure, 22h. Le public sera installé dans les gradins, mais aussi sur scène grâce au transat de la ville de Rennes.
Le long-métrage Twin Peaks : Firewalk with me de David Lynch sera projeté au cinéma Arvor le 15 janvier à 20h15, dans le cadre du partenariat avec le festival de cinéma Travelling. En ouverture, les élèves du Conservatoire proposeront une intervention musicale autour de l’œuvre d’Angelo Badalamenti, compositeur attitré du réalisateur que l’on connaît particulièrement pour la BO de Twin Peaks. Plus tôt dans la journée, à 12h30, Les Champs Libres accueillent quant à eux le solo de Félicia Atkinson, « un projet qui colle très bien avec l’univers lynchéen, très onirique, et une ambiance très ambient », annonce Melaine.
C’est aussi dans le cadre d’un partenariat, avec les Tombées de la Nuit cette fois, que le festival programme sa création 2025 : Gamelan Contemporain de l’Ensemble Nist Nah. Ce groupe nantais a été formée en 2019 par le percussionniste australien Will Guthrie, autour du gamelan, instrument originaire du Bali, de l’île de Java (Indonésie) et utilisé traditionnellement dans des rites de passage. « C’est une musique riche et complexe, mais c’est une complexité faite d’une superposition de simplicités », explique le pianiste et compositeur. « Des figures mélodiques relativement rudimentaires sont jouées et superposées, comme une sorte de musique puzzle pour instrument traditionnel. Il va être ici détourné de sa couleur originelle, plutôt dans l’écriture, pour une approche qui sort des codes de la musique traditionnelle. » (Antipode, 2 février, à 18h) Autres Mesures et l’Antipode, lieu d’accueil de la représentation, ont souhaité aller plus loin et des ateliers de pratiques autour du gamelan, encadrés par le musicien Arnaud Alex, seront ainsi proposés les jours précédant le concert.
La volonté de pédagogie tient à cœur au festival depuis ses débuts. Afin de déconstruire les idées reçues sur la musique contemporaine, le duo a rapidement voulu donner des clés de lecture au public. La conférence « La Révolution Sérielle » de Guillaume Kosmicki s’inscrit dans cette dynamique (16 janvier, la chapelle du conservatoire, 18h30). Pendant une heure, le musicologue retrace l’histoire de la musique contemporaine au sortir de la Seconde Guerre mondiale avec un ton vulgarisateur qui parlera à tous et toutes. « Il raconte beaucoup d’anecdotes qui éclairent le propos », précise Jiess. Melaine ajoute : « Il est passionné par la musique et ses mouvements et le transmet très bien. Ce n’est pas un exposé abstrait, mais vivant et toujours illustré d’extraits sonores. À ne pas louper ». À écouter le binôme parler avec enthousiasme de l’édition 2025, ce ne sera pas le seul événement à ne pas manquer. Alors, rendez-vous sur le site pour découvrir la totalité de la programmation !
Découvrez l’intégralité de la programmation sur le site du festival Autres Mesures.
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