Saint-Brieuc a son chantre, Louis Guilloux. Max Jacob a chanté Quimper, Jean Genet et Pierre Mac Orlan Brest. Même Combourg possède, en la personne de Chateaubriand, un patrimoine littéraire rayonnant. Qui est-il, le grantécrivain rennais ? Et surtout : existe-t-il ? La capitale bretonne a-t-elle donné naissance à des auteurs ? Est-elle devenue le cadre spatial d’une fiction, la scène d’un théâtre, la nostalgie d’un poème ? En avant pour une balade littéraire.
L’odonymie est l’étude des noms propres désignant les voies de communication. On peut mesurer le patrimoine littéraire de Rennes en arpentant ses rues ou en flânant dans les parcs. Ainsi du lycée Émile Zola : baptisé à la mémoire de l’écrivain naturaliste pour sa prise de position en faveur de Dreyfus, dont le procès eut lieu dans l’enceinte du bâtiment en 1899, le lieu n’a pourtant pas accueilli l’auteur de La Bête humaine. Zola ne voulait pas compromettre, par sa présence, l’issue du jugement. René Descartes et François René Chateaubriand y étudièrent : le dernier donna d’ailleurs son nom à l’établissement, de 1961 à 1971, date à laquelle il acquiert son nom actuel.

Car, dans le panthéon de la littéraire française ou mondiale, Rennes se targue de quelques noms célèbres : Chateaubriand, Céline, Kundera, Kerouac mais aussi Hugo, Flaubert, Balzac, Stendhal, Mme de Sévigné ou encore Colette. Seulement, plusieurs problèmes se posent dès lors qu’on étudie le sujet. 
Kerouac, satori à rennes ?

Si Kerouac est connu, heureusement ou non, pour la beat generation¸ on le connaît moins pour sa volte finale, catholique et alcoolisée. Car celui qui voyait l’écriture comme « une entreprise de rédemption » ne lésinait pas sur le vin, comme le prouve cet extrait, qui raconte son trajet en train de Paris à Brest :
Ce qui me tracasse, c’est qu’au bout d’une heure, Noblet et moi, nous brandissons nos verres sous le nez du pauvre curé, tout en discutant religion, histoire et politique. Alors, tout d’un coup, je me tourne vers lui – il tremble comme une feuille – et lui demande :
– Elles vous dérangent, nos bouteilles de vin ?
Il me décoche un regard, comme pour me dire : « Vous croyez ça de moi, espèce de petit soûlographe ? Non, non, j’ai un rhume, vous voyez, je suis terriblement mal en point »
S’en suit une tirade biblique et vinassière à laquelle Kerouac conclut, bon joueur :
Aucune marque d’approbation de la part du prêtre, seulement un œil coulé en biais, très vite, comme le regard de quelqu’un qui applaudit, merci mon Dieu.

Son chemin depuis Paris devait le conduire à Huelgoat. Son compagnon lui conseilla de changer de wagon pour partir en direction de Brest et l’accompagna même sur le quai trouver un vendeur de spiritueux. Une occasion pour Sal Paradise de donner son avis sur Rennes qui, avouons-le, n’est pas sans intérêt :
Il m’aida à descendre du train, après les autres, et me montra le chemin sur le quai noyé dans la vapeur ; il m’arrêta devant un marchand de spiritueux, afin que je puisse m’acheter un flacon de cognac pour le reste du trajet, et me dit au revoir : il était chez lui, à Rennes, de même que le prêtre et le soldat. Rennes, ancienne capitale de toute la Bretagne, résidence de l’archevêque, quartier général du 10e corps d’armée, nantie d’une université et de nombreuses écoles ; mais ce n’est pas vraiment le cœur de la Bretagne, parce qu’en 1793, Rennes était le quartier général de l’armée républicaine de la Révolution française qui se battait contre les Vendéens, installés plus avant. Et depuis, elle est restée un tribunal, le chien policier qui surveille ces repaires de chiens sauvages.
D’un aiguillage dépend peut-être l’oubli de Rennes reine des lettres. Kerouac ne s’y arrête pas parce qu’il doit filer vers le Finistère sur la terre de ses ancêtres, sans oublier néanmoins de qualifier la capitale de « chien policier », en somme d’arrière-garde de la Révolution. Pour le comprendre, un petit retour s’impose : un homme de Combourg et de Plancoët farouchement royaliste, François René Chateaubriand.
Suite au prochain épisode…

