Votée le 15 décembre 2017 par le Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, la nouvelle sectorisation des collèges rennais (carte scolaire) rencontre une vive opposition des parents comme des enseignants. Conçue pour améliorer la mixité sociale dans les collèges de Rennes, elle risquerait au contraire d’aggraver les inégalités.

carte scolaire rennes
Actuelle carte scolaire de Rennes

« On a des craintes de parents d’élèves – explique Thomas Hamard – On ne veut pas voir nos enfants traverser la ville de long en large matin et soir. » Père d’un garçon en CM2 à l’école Louise Michel, il s’oppose, comme de nombreux autres parents, au projet de nouvelle sectorisation la ville de Rennes, qui définit quelle école est rattachée à quel collège. Samedi 7 avril, parents d’élèves et enseignants manifestaient une nouvelle fois afin de faire entendre leurs voix.

Cela fait plusieurs mois qu’augmente l’inquiétude de ces familles. Le 15 décembre 2017, le Conseil départemental a voté un nouveau découpage visant à répartir les écoliers de Rennes et de ses alentours dans les différents collèges, à compter de de la prochaine rentrée scolaire. Au cœur de cette nouvelle carte, une expérimentation : un collège multi-secteur qui concerne les établissements de Rosa Parks et Zola dès la prochaine rentrée de 2018, auxquels s’ajoutera à la rentrée suivante le collège Anne de Bretagne.

Le dispositif a été imaginé en 2015 par Najat Vallaud-Balkacem, alors Ministre de l’Education de François Hollande. L’intention est de favoriser le mélange des populations entre différents quartiers afin de promouvoir une mixité sociale. L’Ille-et-Vilaine fait partie des vingt départements à mener cette expérience qui consiste à rapprocher des collèges avec des situations sociales et des réputations très différentes, afin de réduire entre eux les inégalités. « Nous avons commencé par mener cette réflexion sur des entités plus petites, à Redon la première année, puis à Saint-Malo », expliquait Jean-Luc Chenut, président du Conseil départemental, sur TV Rennes, le 30 mars dernier (sollicité par notre rédaction à ce sujet, le Conseil départemental n’a pas souhaité nous répondre). Le tour de la ville de Rennes est arrivé.

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COLLÈGES DE RICHES, COLLÈGES DE PAUVRES

C’est que les écarts sociologiques entre les collèges rennais sont préoccupants. « Certains établissements accueillent 20 % d’élèves boursiers, alors qu’en périphérie ils en accueillent entre 65 et 74 %, assène le président socialiste du conseil départemental. Donc, soit on s’attaquait au dossier, soit on estimait que le statu quo était la bonne solution… »

Les collèges publics de la capitale bretonne se divisent globalement en deux catégories. D’un côté, les collèges du centre accueillent majoritairement des publics issus de classes socio-professionnelles favorisées. Au pied du Thabor, le collège Anne de Bretagne accueille ainsi plus d’une moitié de collégiens issus de classes sociales très favorisées. A l’inverse, les collèges de la périphérie accueillent une majorité écrasante de jeunes issus de classes socio-professionnelles défavorisées, jusqu’à 58% aux Chalais, dans le quartier Bréquigny. Seuls les collèges des Gayeulles, de Cleunay ou, surtout, du Landry présentent une diversité sociale plus marquée.

Le Département, pour reprendre les mots de son président, a donc décidé de s’attaquer au dossier, avec pour arme ce collège multi-secteur. A travers ce dispositif, les écoliers du centre comme ceux de Villejean pourraient fréquenter les mêmes établissements. Les premiers sont ainsi susceptibles d’être rattachés au collège Rosa Parks, à Villejean, tandis que les boursiers des quartiers du nord de la ville pourront aller au collège Emile Zola. En parallèle, les écoliers de Chantepie devraient eux se rendre aux Hautes-Ourmes plutôt qu’au collège du Landry.

CARTE SCOLAIRE RENNES

1H20 DANS LES TRANSPORTS PAR JOUR POUR LES COLLÉGIENS

Chez les parents d’élèves et les professeurs, ce principe théorique suscite une levée de boucliers. « De chez moi, on met 42 minutes pour aller au collège Rosa Parks », explique Thomas Hamard. Il a lui-même tenu à faire le trajet pour chronométrer le temps de déplacement. « Comment expliquer à nos enfants qu’ils passent devant un collège pour aller dans un autre, et comment on fait pour les activités le soir ? », continue-t-il. Au total, les futurs collégiens pourraient ainsi passer plus d’une heure vingt dans les transports chaque jour, avec un possible impact sur leur travail, comme le craignent les parents d’élèves.

Pour des enfants qui auraient pu se contenter de se déplacer à pied, et qui n’avaient pas besoin d’aller à la cantine, cette nouvelle sectorisation des collèges représente aussi des frais supplémentaires pour les familles. Pour Thomas Hamard, cela crée aussi une rupture pour les enfants, qui quittent leur quartier, leurs amis… « Il y a une vie de quartier, un suivi, un cycle scolaire continu, si les élèves sont séparés, on brise tout ça », argumente-t-il.

Carte scolaire
Parent d’élève, Thomas Hamard est mobilisé au sein de la coordination contre la nouvelle carte des collèges à Rennes

De nombreux enseignants partagent ces inquiétudes. Les syndicats CGT Educ’action, UNSA, Snes-FSU et FO ont ainsi rejoint la coordination des parents d’élèves qui protestent contre cette resectorisation. Le 15 mars, à l’exception de l’UNSA, ils étaient ainsi présents auprès des familles au centre Carrefour 18 pour protester contre cette mesure.

Du côté de l’UNSA, on craint ainsi cette rupture pédagogique. Des enseignements pratiques interdisciplinaires étaient mis en place entre le CM2 et la sixième afin de créer un lien entre école et collège. Ainsi, les écoliers pouvaient travailler avec les professeurs de leur futur établissement, qu’ils visitaient par ailleurs. Mais avec cette nouvelle carte, tous les élèves d’une même école n’iraient pas dans le même collège…

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UN MANQUE DE CONCERTATION

Les syndicats constatent cependant, comme le Département, que cette question de la mixité sociale est cruciale. Mais ils critiquent la manière de faire du Conseil départemental que l’UNSA qualifie de « passage en force ». « Dès le début, on nous demandait de nous prononcer directement sans consultation des usagers au préalable », explique Dominique Gautier le Bronze, de la CGT Educ’Action. « Malgré nos protestations, il y a eu très peu de prises de contact avec les usagers », poursuit-il. Parents d’élèves, professeurs et délégués départementaux de l’Education Nationale ont tous voté contre cette resectorisation. Mais n’ont pas été entendus. Une manière de faire fort peu en accord avec les règles et l’esprit censés régir la gestion de notre démocratie à l’échelle locale.

« A chaque fois qu’on prend une décision qui ne fait pas consensus, on dit qu’il n’y a pas eu de concertation », rétorquait le 30 mars dernier Jean-Luc Chenut sur TV Rennes. « Je suis surpris que certains de nos détracteurs qui mettent en avant ces convictions-là ne soient pas émus eux-mêmes » de cette absence de mixité sociale, poursuit-il.

Les parents d’élèves et professeurs se battraient donc pour maintenir un statut quo, comme le sous-entend le président du Conseil Départemental ? « Il y a une démarche malsaine de certains », reconnaît Dominique Gautier le Bronze. En décembre, une initiative du maire UDI de Chantepie, Grégoire le Blond, avec suscité une polémique. Il défendait ainsi le rattachement au collège du Landry, contre le nouveau rattachement aux Hautes-Ourmes, réputé plus difficile, associant, sur les vitres de la mairie, un visage souriant au premier collège et un autre triste pour le second…

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LA FUITE VERS LE PRIVÉ DES PLUS AISÉS

Mais ce que pointent surtout les opposants à cette nouvelle carte des collèges, c’est au contraire une aggravation des inégalités entre collégiens. « Les familles vont être dans une logique de fuite », pour ne pas aller dans les collèges qui ont une moins bonne réputation, poursuit Yannick Nadesan. Une analyse que partagent aussi bien l’UNSA que la CGT, qui soulignent que les habitudes bien implantées ne vont pas brusquement évoluer. « On craint une tentation réelle chez certains habitants d’avoir peur de la mixité, objet de fantasmes, déplore Dominique Gautier le Bronze. Ils vont se réfugier dans l’entre soi des établissements privés. »

Pour le cégétiste, les plus informés et les plus aisés pourront contourner cette nouvelle carte scolaire, laissant dans les collèges de rattachement « ceux qui restent ». A l’UNSA comme à la CGT, le souvenir de précédentes expériences reste bien dans les esprits. « Saint-Grégoire ne va pas à Clotilde Vautier, Vezin le Coquet ne va pas à Rosa Parks », explique-t-on chez l’UNSA. Deux collèges de la périphérie de Rennes qui ont une moins bonne réputation que les établissements privés ou du centre-ville. La première couronne rennaise évite ainsi de se mélanger avec les quartiers populaires de la capitale bretonne.

Ces « stratégies » sont bien en place : il y a déjà des files d’attente pour rejoindre les établissements du privé, d’après différents syndicats. Et face aux statistiques qu’ils avancent, cette nouvelle sectorisation semble vidée de sa matière. Ainsi, à l’école Camille Claudel, sur 28 CM2, seuls deux iront au collège de rattachement Clotilde Vautier. A Chantepie, seuls 3 iront aux Hautes-Ourmes. Dans ces deux cas, une majorité d’écoliers se tournent vers le privé. « Le problème ne sera pas résolu tant qu’il y aura la possibilité d’aller dans une école alternative », pointe la CGT non sans un certain radicalisme… Certains, issus de tous les bords, suggèrent d’offrir davantage d’options dans les collèges de périphérie afin d’augmenter leur attractivité.

Les évolutions sociales et urbaines de la ville de Rennes aggravent cette situation. « La situation économique et sociale fait que la mixité à l’intérieur de Villejean elle-même s’est réduite », souligne Yannick Nadesan. A l’inverse, malgré une politique de bâti social, le centre-ville attire toujours plus de cadres, avec l’implantation du centre des congrès, l’arrivée de la ligne grande vitesse… Et ces nouveaux habitants peuvent choisir leur logement en fonction de cette carte scolaire. « Certaines agences immobilières précisent déjà la sectorisation », souligne Dominique Gautier le Bronze. La croissance démographique et le manque d’investissements – le département de l’Ille-et-Vilaine se positionne en-dessous de la moyenne nationale – risquent d’aggraver la situation.

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