Portée par le budget participatif de la ville de Rennes, une cabane à dons a ouvert ses portes à Bréquigny le 6 avril dernier. À travers la gratuité, l’objectif est de porter une consommation alternative. Malgré les abus ou les appréhensions de certains, elle rencontre un certain succès, jusqu’à créer un lieu de quartier alternatif.

L’espace est étroit dans cette cabane à dons. À l’intérieur, presque dos à dos, deux femmes balaient d’un geste régulier les vêtements suspendus à leur cintre, déplient ceux qui pourraient les intéresser, pour mieux les regarder. Puis les remettent. Attiré par la petite bâtisse de bois, un enfant, kimono sur le dos et ceinture jaune autour de la taille, rentre à son tour. Du doigt, il montre les différents objets à sa mère, restée à l’extérieur. Elle lui sourit, répond : « mais non, on a déjà un ventilateur à la maison ! »

Sur le parking de la Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) de Bréquigny, la petite cabane interpelle les passants, quel que soit leur âge. Sur des petits écriteaux en bois, au-dessus de la porte et sur le flanc de la baraque, le nom est peint, à la peinture noire : cabane à dons. « Prenez, échangez, partagez, donnez », invite la planchette.

cabane à dons

Le principe en est très simple : chacun amène ou prend ce qu’il souhaite, librement, sans autre règle que cette idée de gratuité. À l’intérieur s’entassent pêle-mêle livres et cale-livres, jeux, vêtements, un siège bébé, de la vaisselle, un ventilateur, des figurines. Tout un inventaire à la Prévert, les ratons laveurs en moins.

Après un moment d’hésitation, la mère du petit judoka entre à son tour dans la cabane, commence à regarder les différents objets entreposés. « Il faudra que j’en apporte, aussi », ajoute-t-elle. Pour une prochaine fois, c’est promis.

À l’origine de cette petite cabane de bois, il y a un collectif informel, Le P’tit SEL de Bréquigny. Initié en novembre 2015, ce collectif a adopté les principes du Système d’Échange Local – SEL, en abrégé. L’idée est de favoriser les échanges locaux, en respectant à chaque fois l’idée de la gratuité, du don et du contre-don.  Dans ces groupes, parfois structurés en association, on échange des objets, des services, des connaissances.

cabane à dons

« Pendant la première année, on a fait beaucoup de réunions et de repas », se souvient Didier, l’un des anciens du collectif. Le temps de se mettre d’accord, notamment, sur une charte de principes. Mais progressivement, Le P’tit SEL propose différents ateliers  au sein de la MJC de Bréquigny : café bricolage, yoga, préparation de pâtes, fabrication de savon et de produits d’entretien…

Surtout, le collectif organise une série de « Fripe Party ». L’idée est toujours la même, version vêtements cette fois-ci. Chacun apporte ce qu’il souhaite donner, chacun ce qu’il souhaite emporter, toujours librement et gratuitement.

« Au début, on a commencé avec ce qu’on ramenait nous », se souvient Didier. La première « Fripe Party » est déjà une réussite. Environ 150 personnes viennent, d’après les membres du collectif. Les éditions suivantes transforment la réussite en succès : « c’était non-stop, on travaillait à la chaîne ! », sourit Ilma, une autre membre du P’tit SEL. Cette fois, plus de 300 personnes viennent échanger leurs vêtements, et la Fripe Party doit s’installer dans un centre de loisirs. La MJC de Bréquigny était devenue trop petite.

cabane à dons

« Face à cet énorme succès, on voulait un espace permanent », continue Anne, une autre habitante du quartier engagée dans le collectif. Ces bénévoles s’inspirent d’autres initiatives imitées déjà à travers le monde, des « givebox » – littéralement, boîte à dons. Eux choisissent d’en faire une cabane à dons. Pour trouver les financements nécessaires aux travaux, le P’tit SEL se tourne vers le budget participatif rennais. Pour la construction elle-même, le collectif se tourne vers l’association Culture Manuelle et Technique (CMT)… et vers les bras de ses propres adhérents.

En février 2017, le projet est choisi au sein de la Fabrique Citoyenne par les votes des Rennais. Un an plus tard – après une série de rencontres avec la mairie – le chantier démarre, à la sueur du front de ces bénévoles. Pour les assurances et les achats, ce sont la MJC voisine et l’association CMT qui prennent en charge ces travaux.

Une fois de plus, les bénévoles sont pris de court par le succès de leur initiative. « Dès que les quatre murs ont été posés et qu’il y a eu un toit, des habits ont été déposés », se souvient Anne. Une des premières surprises, pour cette militante : « la cabane s’est lancée toute seule, avant même l’inauguration officielle ! »

cabane à dons

Celle-ci a eu lieu le 6 avril, « à 18h », précise Didier. Qui se félicite de voir le lieu trouver son public. En général, les objets restent peu longtemps, expliquent les différents bénévoles. Ils s’étaient inquiétés de voir, dans une mise en abime ironique, une cabane de jardin pour enfants déposée dans la cabane à dons, qui prenait beaucoup de place. Mais elle a rapidement été emportée. Si des objets ne trouvent pas preneur au bout de plusieurs semaines, les bénévoles se restreignent malgré tout à les jeter, définitivement.

En plusieurs mois, ils ont vu passer de tout : des cafetières automatiques neuves au carton rempli de romans érotiques… Les deux ont trouvé preneur.

« Grâce à cette initiative, on peut penser les objets autrement que comme des biens, comme des propriétés », se félicite Ilma, une autre membre du P’tit SEL. Pour tous, cette initiative permet de promouvoir une autre manière de consommer, et de donner une seconde vie à ces objets. Une vision qui porte à la fois, pour ces personnes, les valeurs de l’écologie et une critique d’une société de consommation, de surproduction.

cabane à dons

« La gratuité n’est possible que dans cette société », tempère Anne. « C’est possible, parce qu’il y a un excès de produits et de production. » De nombreuses personnes se sont faites aux principes de la cabane à dons, raconte-t-elle. Pour certains, c’est devenu un lieu de rencontre, d’échanges. Ainsi, les enfants qui jouent près de la MJC viennent régulièrement vérifier s’ils peuvent y trouver des jouets, de même que des jeunes du lycée voisin. Pour eux, il est naturel de venir chercher des vêtements et d’en amener, pour renouveler gratuitement sa garde-robe.

Ces pratiques sont symptomatiques de nouvelles visions de la consommation, et le succès des initiatives similaires sur Rennes le prouve. Aux Champs Manceaux, au P’tit Blosneur, au Magasin Gratuit, dans la zone de gratuité de Kennedy le même principe se décline – mais la cabane à dons de Bréquigny est le seul lieu accessible jour et nuit, s’enorgueillissent ses bénévoles.

cabane à dons

Pourtant, la gratuité n’est pas évidente pour tous. Elle reste en tension entre habitudes marchandes et « dons agonistiques », résumait en 2017 la sociologue Elisabetha Buccolo. D’une part, les habitudes de consommation ancrées chez les individus restent. Les usagers des différents lieux de gratuité se sentent ainsi obligés d’apporter des objets d’une valeur marchande équivalente à ce qu’ils prennent, comme pour les payer, d’une certaine façon. Cette valeur marchande accordée aux biens malgré la gratuité s’observe aussi par des abus marginaux : certaines personnes profitent de la gratuité pour se servir très largement, dans le but, éventuellement, de revendre les objets. D’autre part, pour certains, le don reste associé à la charité. Ces espaces de gratuité prennent donc non plus une dimension de consommation alternative, mais d’aide sociale.

Ces deux visions, à l’encontre des principes portés par les initiateurs de ces projets, sont aussi présentes dans la cabane à dons de Bréquigny. « Une dame nous avait dit : je suis suffisamment riche, donnez ça plutôt aux pauvres », témoigne Ilma. Et à l’inverse, des personnes qui fréquentent la cabane ressentent le stigmate de devoir venir prendre des objets, des vêtements gratuits. Jusqu’à s’enfermer à l’intérieur de la cabane à dons, pour ne pas être vus. « Il reste une forme de honte », regrette Didier.

cabane à dons

À l’inverse, certains voient bien la valeur marchande de ce qui est laissé dans la cabane. « Quand on voit des personnes qui viennent et qui prennent plusieurs sacs, puis attendent une voiture pour les emmener, ce n’est pas possible », vitupère Josiane, une autre membre du collectif, de sa voix énergique. « Il faut leur faire comprendre que c’est une question de partage, qu’il faut savoir être raisonnable », continue-t-elle. Que faire face à ces comportements de passagers clandestins ? Les bénévoles du P’tit SEL se divisent – voire se déchirent – sur la question, entre un laisser-faire autorégulateur ou l’établissement de règles.

Pour l’instant, une simple remarque aux rares personnes concernées a suffi à faire cesser ces pratiques. Et les bénévoles préfèrent insister sur le succès de leur initiative, qui les surprend toujours. « Ça fonctionne du feu de dieu, c’est hallucinant », s’exclame Josiane. Même si l’espace est laissé ouvert jour et nuit, il n’y a aucune dégradation – en dehors de quelques dessins dessinés à la craie par des enfants.

cabane à dons

Leur principale bataille reste la bataille du rangement.  « Il y a des gens qui prennent, regardent, balancent », s’exclame Josiane, indignée par ces incivilités. Mais à l’inverse, des inconnus prennent le temps de remettre en état, de tout ranger, parfois pendant plus d’une heure. Bon gré mal gré, la cabane trouve ainsi son équilibre, ballotée par la totale liberté de ses usagers et les débats enflammés des membres du P’tit SEL.

La cabane à dons se situe à l’entrée du Parc Bréquigny côté MJC/bibliothèque (avenue Georges Graff).

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Description du P’tit SEL de Bréquigny

Le P’tit SEL de Bréquigny est un groupe d’habitants du quartier Bréquigny-Champs Manceaux qui se réunissent pour échanger des services, savoir-faire et objets sans argent.
Le collectif organise également divers animations et événements gratuits ouverts à tous les habitants: fripes party (espace de gratuité spécial vêtements), jardin Incroyables comestibles, café réparation, fabrication de produits ménagers…
Chacun peut y apporter son grain de p’tit SEL, en fonction de ses envies et de ses disponibilités

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