Péniche spectacle de Rennes : après 40 ans d’aventures, l’utopie cherche un nouvel équipage

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rennes peniche spectacle

Ils referment un chapitre rare dans l’histoire culturelle rennaise. Après quatre décennies à faire vivre un théâtre flottant amarré quai Saint-Cyr, Hugues Charbonneau et Annie Desmoulin font leurs adieux à la Péniche spectacle. Les deux bateaux — L’Arbre d’eau (la salle) et La Dame blanche (l’accueil, les résidences, l’atelier du lieu) — sont désormais à vendre, dans l’espoir qu’un nouvel équipage s’empare de « l’esprit » et de « l’utopie » de cette scène unique.

La Péniche spectacle n’a jamais été seulement un point fixe sur la Vilaine. Sa singularité tient aussi à son mouvement : à partir d’avril, le théâtre quittait Rennes pour naviguer de village en village via les canaux. Au plan symbolique, c’est toute une idée de la culture qui circule : une scène à hauteur d’habitants, qui accoste, s’installe, et fabrique du commun.

Des années 1980 à l’ancrage rennais : une sablière transformée en “bateau à rêver”

La création remonte aux années 1980. D’abord Le Théâtre du Pré Perché (début de la décennie), puis l’achat d’une première péniche au milieu des années 1980. Le bateau — une sablière construite dans les années 1960, acquise auprès d’un des derniers mariniers — est alors sorti de l’eau, retapé, puis aménagé de fond en comble. « À la base, ce n’étaient que deux sablières, des bacs à sable qu’on a développés au fil des années », se souvient Annie Desmoulin.

L’aventure se construit à l’huile de coude : apprendre, durer, ne pas réduire le projet à une simple image de carte postale. Les “secrets” des mariniers — ceux qui font qu’un bateau tient au long cours — deviennent une école de rigueur, loin du folklore. « Les mariniers m’ont livré leurs secrets pour que ça dure, pour que ce ne soit pas juste un décor », raconte Annie Desmoulin. Et l’ambition scénographique se dessine très tôt : « On a voulu aménager un bateau à la Jules Verne, pour faire écho aux voyages et aux bateaux ».

Péniche spectacle à Rennes (quai Saint-Cyr)
Crédit : Julien Migot

Une programmation “cousue main” : musiques, voix du monde et art de l’accueil

Sur cette base, un projet artistique pluridisciplinaire se déploie, avec un fil rouge revendiqué : musiques et voix du monde. Et une philosophie d’ouverture — tolérance, curiosité, goût de l’autre — où l’accueil compte autant que l’affiche, au point que le spectacle déborde souvent dans la rencontre. « On a toujours conservé la pluridisciplinarité, avec cette thématique spécifique qui nous a menés à la découverte de l’autre », résume Annie Desmoulin.

Jusqu’à 150 spectacles par an, 80 spectateurs “à fond de cale”

Au fil des années, la Péniche spectacle devient un lieu passeur, de rencontres et de fidélités, capable d’accueillir jusqu’à 150 spectacles par an. « On a voulu maintenir la rencontre et un accueil dans le lien intergénérationnel », confie-t-elle. À chaque représentation, une jauge resserrée — autour de 80 spectateurs — embarque dans un rapport de proximité rare : assis à quelques mètres, on descend littéralement “à fond de cale” pour découvrir des perles artistiques dans un écrin minuscule.

Des noms ont marqué cette histoire, entre artistes fidèles, découvertes et coups de cœur : Sergi López, Raul Barboza, Antonio Rivas, Marion Rouxin, Jeanne Cherhal, Annabelle Sergent… Avec une logique assumée : être un “petit poucet” qui doit briller par l’exigence, l’invention et l’intimité.

La Dame blanche : élargir l’outil, accueillir les artistes, tenir la maison

Une dizaine d’années après le premier bateau, le duo acquiert une deuxième péniche : La Dame blanche. Elle élargit l’outil : accueil, répétitions, réunions, résidences d’artistes. La Péniche spectacle tisse aussi des partenariats et accueille des propositions de festivals rennais — Travelling notamment — renforçant au plan local sa place de “petite grande scène”, à l’écart des formats standard.

Dire adieu, transmettre : “l’heure juste”

Après quarante années de bons et loyaux services culturels, Hugues Charbonneau et Annie Desmoulin ne partent pas amers : “que des beaux souvenirs”. « Le contexte n’est pas facilitant, mais c’était surtout l’heure, pour nous », explique Annie Desmoulin. « La Péniche Spectacle s’arrête, mais le Théâtre du Pré Perché continue son aventure », autrement, sans renier son ADN. « Hugues a toujours travaillé dans la rencontre de la musique et des mots : cela continuera ». Le duo entend donc poursuivre sa vie d’artistes, simplement délesté du poids quotidien d’un lieu-bateau à faire fonctionner, entre technique, navigation, accueil et programmation.

Les archives, elles, ont été conservées et classées : programmes, photos, livres d’or — mémoire d’un lieu qui a compté, et qui pourrait compter encore si un repreneur choisit d’en prolonger la vocation. « On espère trouver des personnes avec un beau projet, et que les péniches restent à Rennes », confie Annie Desmoulin. En attendant, des week-ends portes ouvertes sont organisés pour dire au revoir, et pour permettre aux curieux, aux habitués, aux professionnels, de mesurer ce qui se transmet : un bateau, certes, mais aussi une méthode, une technique, un esprit d’accueil, une certaine idée du spectacle vivant.

Le dernier lever de rideau : Le Bal à l’entrepont, le 16 janvier 2026

L’ultime représentation annoncée à bord sera Le Bal à l’entrepont, le 16 janvier 2026 : un récit chanté, une histoire de traversée, par Le Théâtre du Pré Perché, qui poursuit par ailleurs ses activités. Une dernière soirée comme une signature : la navigation au réel, et l’imaginaire comme cargaison.

Péniche spectacle : un dernier salut

Ce que la vente pose à Rennes : un lieu, mais aussi une forme de vie

La vente de L’Arbre d’eau et de La Dame blanche pose une question simple, mais décisive : que devient une scène quand elle est aussi un bateau, quand son identité tient à la fois à un ancrage urbain et à une itinérance au fil des canaux ? Un repreneur devra reprendre une technique, une logistique, une relation au territoire — et, au plan artistique, un pari : celui d’une culture de proximité, exigeante, et obstinément vivante. Un pari d’autant plus délicat dans une période contrainte, où les lieux fragiles sont souvent les premiers à vaciller.

Repères

  • Lieu : quai Saint-Cyr (Rennes), hiver ; itinérance au printemps et en été sur les canaux.
  • Deux bateaux : L’Arbre d’eau (salle) ; La Dame blanche (accueil, travail, résidences).
  • ADN : pluridisciplinarité, musiques et voix du monde, proximité avec les artistes, art de l’accueil.
  • Dernière date annoncée : 16 janvier 2026, Le Bal à l’entrepont (Théâtre du Pré Perché).