Le rapport accablant de la commission sur les violences dans les cinéma, théâtre, mode et publicité

rapport culture violence

Le rapport Balanant était aussi attendu que redouté. Ces 313 pages sont présentés aujourd’hui 9 avril au Palais-Bourbon. Porté par le député Erwan Balanant (MoDem, Finistère) et la députée Sandrine Rousseau (Les Écologistes, Paris), la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans les milieux de la culture jette une lumière crue sur les mécanismes de domination, d’omerta et de maltraitance à l’œuvre dans les coulisses du cinéma, du théâtre, de la mode et de la publicité. Au terme de cinq mois de travaux et de 85 auditions, la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le secteur culturel – de type spectaculaire, autrement dit, le cinéma, le théâtre, la mode et la publicité – dénonce des « dysfonctionnements systémiques » et des « manœuvres de silenciation ». Elle liste 86 recommandations. L’heure de vérité pour un secteur sous tension ?

Un diagnostic sans appel

Constituée au printemps 2024 à la suite de l’audition choc de Judith Godrèche, la commission a mené plus de 85 auditions, analysé des centaines de témoignages, et produit un rapport de 313 pages aussi accablant qu’étayé. Il s’agissait d’‘analyser les mécanismes profonds qui permettent la survenue des violences et leur reproduction dans ces milieux » qui emploient un peu plus d’un demi-million de personnes, 800 000 élèves et étudiants des établissements, publics et privés, des secteurs de la culture, soit près d’1,5 millions d’individus. Le constat est clair : les violences – sexuelles, morales, pédagogiques – sont systémiques. Elles s’appuient sur des hiérarchies rigides, un égoïsme narcissique de donneurs d’ordre parfois tout-puissant, une précarité endémique, une hyper-valorisation du pouvoir créatif, et une culture du silence ancrée dans la peur de nuire à sa carrière.

Le secteur artistique, toujours présenté comme progressiste ou libertaire, y est dépeint comme une machine à broyer les plus fragiles, en particulier les jeunes femmes et les mineurs. Le terme de « grande famille » de la culture, si fréquemment utilisé, est retourné par le rapport pour mieux souligner sa double face : si les familles peuvent protéger, elles peuvent aussi couvrir les violences et ressembler à des clans qui utilisent les subventions du ministère de la Culture à des fins personnelles, en exploitant des personnes précaires en toute impunité.

Les révélations les plus marquantes du rapport

1. Les mineurs, premières victimes d’un “Far West” réglementaire

À l’origine de la commission, la question des enfants dans le spectacle a mobilisé six auditions entières autour du cas de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et de son directeur Gaël Darchen. Manque d’encadrement légal, abus de pouvoir, infractions au droit du travail… Le rapport évoque une « zone grise » d’exploitation régulière. Des enfants dépassant leurs horaires légaux de travail, exposés à des scènes de nudité, voire de violence, sans encadrement psychologique ni juridique : un système en roue libre, toléré au nom de l’excellence artistique.

2. Le moment du casting : un angle mort de la régulation

Le rapport dénonce le laxisme quasi total sur l’organisation des castings, souvent conduits sans témoins, dans des lieux privés, parfois sur des scènes d’intimité sans coordinateur. À cela s’ajoute l’absence de reconnaissance ou de contrôle de la profession de directeur de casting, pourtant pivot dans le destin des artistes débutants. Entre 2020 et 2024, l’inspection du travail n’a effectué que six contrôles dans tout le secteur de la production audiovisuelle.

3. Des scènes d’intimité à haut risque

Le rapport insiste sur les zones de vulnérabilité liées à la nudité et aux scènes sexuelles. Des témoignages attestent d’agressions commises lors de tournages, de scènes imposées contre la volonté des acteurs, et du contournement du consentement par des procédés déloyaux. Le cas de l’actrice Anna Mouglalis, dont une scène a été gardée au montage malgré son refus, illustre une dérive encore banalisée.

Une nouvelle architecture de protection : les 86 recommandations

Les mesures proposées s’inscrivent dans une volonté de réformer structurellement l’écosystème culturel français. En voici les lignes de force :

– Encadrer et protéger

  • Interdiction de la sexualisation des mineurs à l’écran et en photo (recommandation n°8).
  • Obligation d’un coordinateur d’intimité pour toute scène délicate impliquant des mineurs.
  • Présence obligatoire d’un adulte légal dès le casting pour tout mineur.

– Assainir la gouvernance

  • Transformation du bonus parité en malus (recommandation n°6) pour contraindre à une égalité réelle.
  • Encadrement des castings dans des lieux professionnels, horaires stricts, avec au moins deux adultes présents (n°16).
  • Suspension des partenariats institutionnels avec des structures faisant l’objet de signalements (n°19).

– Sanctionner et prévenir

  • Intégration systématique de clauses anti-VHSS dans les contrats subventionnés (n°41).
  • Possibilité de prescription glissante pour les crimes sexuels commis contre des majeurs (n°29).
  • Médiation obligatoire en cas de désaccord sur le montage de scènes d’intimité (n°63).

– Éduquer et responsabiliser

  • Formation obligatoire au droit du travail et aux violences sexuelles dans toutes les écoles artistiques (n°28).
  • Enquête annuelle de victimation (n°12) pour objectiver et suivre les évolutions.

Tensions et débats persistants

Le rapport n’a pas été sans controverse. Sandrine Rousseau, présidente de la commission, a été accusée par certains avocats d’outrepasser la présomption d’innocence, pointant un climat de soupçon généralisé. Le rapport répond : il ne s’agit pas de juger, mais de protéger.

Le document pointe néanmoins des angles morts : l’absence totale de propositions sur les discriminations raciales et validistes, et sur la question de la réhabilitation des artistes condamnés ou des œuvres « abîmées » par les révélations. Des débats complexes que le rapport n’a pas clos, mais qu’il promet d’aborder dans la suite des travaux.

Vers une proposition de loi

Le rapport Balanant constitue un tournant politique. Il ne s’arrêtera pas à un constat : une proposition de loi est en préparation, destinée à traduire ces recommandations en mesures contraignantes. Le CNC, le CNM, les écoles, les syndicats, les associations d’artistes seront mobilisés pour co-construire cette nouvelle régulation.

Erwan Balanant le résume ainsi :

« Ce que nous voulons, c’est préserver l’élan créatif français, sans plus sacrifier de talents sur l’autel du silence ou de l’abus. »

Une onde de choc à venir dans la culture ?

Ce rapport marque un moment fondateur pour la scène culturelle française, dans la lignée du mouvement #MeToo. Il enjoint l’État à ne plus subventionner sans conditions, en particulier le ministère de la Culture et les DRAC dont les choix de financement de tel ou tel s’avèrent obscures. Il est donc urgent que des institutions de plus en plus décrédibilisées revoient en profondeur leurs pratiques. Plus qu’une simple réforme, c’est un changement d’ère qui s’annonce : celui où le prestige culturel ne pourra plus justifier l’inaction, le déni ou la souffrance. Il est peut-être temps que le milieu de la culture et le ministère de la culture de la République française tournent la page d’un fonctionnement qui s’ancre dans l’Ancien régime.

15 RECOMMANDATIONS CLÉS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LES VIOLENCES DANS LA CULTURE

  • Recommandation n°6
    Transformer les bonus parité en malus financiers en cas de déséquilibre persistant dans les équipes.
  • Recommandation n°8
    Interdire la sexualisation des mineurs à l’écran et en photo, avec des exceptions strictement encadrées.
  • Recommandation n°12
    Organiser une enquête de victimation annuelle, incluant la situation des mineurs, pour objectiver les violences.
  • Recommandation n°16
    Encadrer strictement les castings : lieux professionnels, horaires de jour, présence d’au moins deux adultes, interdiction de nudité sans coordinateur d’intimité.
  • Recommandation n°19
    Suspendre les partenariats institutionnels avec la Maîtrise des Hauts-de-Seine dans l’attente d’enquêtes judiciaires.
  • Recommandation n°22
    Imposer la représentation parentale dans les conseils d’administration des associations accueillant des mineurs.
  • Recommandation n°26
    Lancer un plan national de lutte contre les violences pédagogiques, tous établissements et disciplines confondus.
  • Recommandation n°28
    Intégrer au tronc commun des écoles artistiques une formation obligatoire sur le droit du travail et la prévention des violences.
  • Recommandation n°29
    Ouvrir le débat sur l’extension de la prescription glissante aux majeurs victimes de crimes sexuels.
  • Recommandation n°30
    Encadrer les enquêtes sur la vie sexuelle des plaignants dans les procédures pour violences sexuelles.
  • Recommandation n°41
    Inclure des clauses anti-VHSS dans tous les contrats liés à des œuvres bénéficiant de fonds publics.
  • Recommandation n°62
    Rendre obligatoires des clauses précises sur les scènes d’intimité dans les contrats des interprètes.
  • Recommandation n°63
    Garantir aux artistes un droit de regard sur le montage des scènes où apparaissent leurs parties intimes, avec médiation du CNC en cas de litige.
  • Recommandation n°65
    Rendre obligatoire un coordinateur d’intimité pour toute scène impliquant un mineur.
  • Recommandation n°68
    Conditionner les aides publiques à la certification des agents artistiques par leurs employeurs.
Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.