Les 16 et 17 juillet 1942, la Police Française arrête plus de 13 000 personnes parce que juives. Laurent Joly, grâce à une enquête documentée et incontestable rend compte à hauteur d’hommes et de femmes de cet événement l’un des « plus terribles et les plus difficiles à appréhender de notre histoire contemporaine » par un ouvrage sobrement intitulé La Rafle du Vel d’Hiv.

Une nation se glorifie facilement de ses réussites, de ses faits d’armes utilisant le « récit national » pour se souder sur des faits emblématiques réels ou imaginaires. Elle a beaucoup plus de difficultés à regarder en face ses erreurs, ses crimes. Ainsi peut-on dire qu’il aura fallu quatre-vingts ans pour que puisse être publié ce livre remarquable de Laurent Joly, le temps nécessaire à accepter cette tache de notre histoire collective, et celui indispensable à la recherche historique, à l’accès au maximum de sources et documents. Une première étape politique importante et nécessaire avait été franchie avec le discours de Jacques Chirac en 1995 employant pour la première fois le terme  « d’irréparable ». Préalable utile à l’acceptation par une collectivité nation ale aveugle, ou dans le déni, cette intervention présidentielle ouvrait les portes à une remise en cause d’une vision habituellement transmise d’une rafle intervenue les 16 et 17 juillet 1942 avec l’aide de la police française contrainte et forcée par le régime nazi. Ainsi en 1978 L’histoire de France en Bande Dessinée évoquait « 13 000 personnes […] arrêtées par la Gestapo ». Treize mille personnes arrêtées, le chiffre était exact puisque le 17 juillet, arrêt du décompte officiel de l’opération, 12 884 victimes, pour la plupart juifs polonais, étaient recensées dans les lieux d’examen après leur arrestation et réparties entre le Vel d’Hiv et Drancy, les deux sites de rétention avant d’être transférées par convois ferroviaires à Auschwitz pour être gazés.

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Crédit : Mémorial de la Shoah

Par contre le deuxième terme de la phrase « arrêtées par la Gestapo » est un mensonge éhonté que même les contemporains de la Rafle n’auraient jamais osé avancer. Là est une des caractéristiques françaises de cette opération unique en Europe de rafle de la population juive: les opérations du 16 et 17 juillet 1942 furent totalement et exclusivement réalisées par l‘administration française, et notamment par la police française avec des moyens logistiques français. Comme un symbole, la photo de couverture du livre, unique document photographique existant de cette journée, montre devant le Vel d’Hiv des bus parisiens escortés pour chacun par un véhicule de la police. Sur les trottoirs des gendarmes en tenue mais pas l’ombre d’un uniforme de soldat allemand. Ce déni national conforté notamment par l’attitude de François Mitterrand comme chef d’état n’est plus possible et Laurent Joly, directeur de recherches au CNRS, consultant des archives connues mais aussi de nombreuses inédites reprend dans son ouvrage la terrible chronologie d’une traque de la population juive qui est commune à tous les états soumis au régime nazi venant d’instaurer la « Solution Finale »,  mais qui présentera dans notre pays les tristes particularités d’être menée exclusivement par le régime collaborationniste sans participation de l’occupant, d’amener à la mort plus de 4000 enfants français entre 2 et 15 ans et d’atteindre un chiffre inégalé de personnes raflées malgré un taux d’échec important, 27 391 fiches étant l’objet à l’origine de signalements.

Les chiffres, les statistiques sont essentiels pour expliquer par exemple la diversité de la « réussite » des interventions domiciliaires ou leur échec en fonction des commissaires en place, de la présence massive ou non de « renforts », de l’heure des interventions. Ils mettent en évidence aussi un fait majeur longtemps occulté, la remise en liberté des ouvriers fourreurs notamment et de tous celles et ceux travaillant pour l’armée allemande, qui seront néanmoins emprisonnés à la fin de la guerre. De même les documents administratifs, les notes de service internes démontrent combien le gouvernement de Vichy, ses zélés hauts fonctionnaires, le portrait et les actions de René Bousquet sont terrifiants, est allé au-delà des demandes allemandes dans une sorte de volonté d’autonomie et de combinaison d’ego et de jeu politique. N’évoquant jamais le droit international qui aurait justifié leur inaction, ces gouvernants, des policiers parfois antisémites, souvent disciplinés, ont fait ce qu’aucun pays étranger ne fit. Le bourgmestre de Bruxelles évoqua simplement le fait que ces rafles ne faisaient pas partie des missions de la police belge censées assurer simplement le droit et la sécurité, laissant le soin à l’armée allemande d’assurer la sinistre besogne.

Bien au-delà de l’opération de juillet, dans un dernier chapitre éclairant, l’auteur démontre également comment cette traque a perduré dans le temps à l’initiative de policiers en quête d’avancement ou de gratifications permettant d’incarcérer environ quatre mille personnes supplémentaires.  Aucune culpabilisation ou flagellation nationale cependant et sont évoqués aussi les fonctionnaires, qui ferment les yeux, ceux qui attendent patiemment devant la porte avant de s’en aller, ceux qui colporteront volontairement et de manière très efficace les jours précédents la rumeur de l’opération, mais aussi des concierges qui protègent et abritent des familles entières. Laurent Joly tord même le cou au fantasme d’une France délatrice, accusant et dénonçant par des milliers de lettres anonymes son voisin. Au-delà des comportements individuels difficilement quantifiables et raisonnables, c’est le mécanisme étatique qui est mis en exergue de manière implacable. 

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Ruine d’Oradour-sur-Glane

A ces faits intangibles, incontestables, l’historien apporte une vision supplémentaire essentielle : il fait de l’« Histoire » une histoire incarnée et notamment celle des victimes. Derrière les chiffres, ce sont des visages, des vies qui disparaissent, et comme dans le tunnel d’Oradour-sur-Glane qui ajoute désormais aux noms des photos, ce sont des sourires, des mains posées sur des épaules, qui vont disparaître et pas un numéro matricule. Les témoignages sont nombreux comme celui de Georges Wellers qui décrit la déportation à 5 heures du matin des enfants à peine réveillés : « […] on appelait les gendarmes qui descendaient sur leurs bras les enfants hurlant de terreur ». Dans le souci de faire du nombre ce sont à côté de milliers d’étrangers « qui ne faisaient de tort à personne, des centaines de français d’adoption, modestes brocanteurs, employés aux écritures, secrétaires, boulangers-pâtissiers, étudiants » qui furent les victimes d’un régime soucieux de plaire à l’occupant par antisémitisme souvent, par inhumanité toujours.   

En refermant le livre, on regarde une dernière fois en pages centrales les portraits des bourreaux, commissaires, hauts fonctionnaires, agents de police, et ceux des victimes. On se dit alors que l’on aimerait bien demander aux premiers quels mécanismes ont pu engendrer tant de haine, d’inhumanité, quelles pulsions peuvent être satisfaites à séparer de leurs parents et mener à la mort des enfants de plus de 2 ans? Questions aux réponses impossibles comme à chaque fois lorsque l’Homme quitte sa condition humaine pour rejoindre les territoires inconnus de l’horreur.

La Rafle du Vel d’Hiv de Laurent Joly. Editions Grasset. 400 pages. 24€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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