Il y a 79 ans, le 20 janvier 1944, l’armée allemande raflait 500 hommes dans six communes du Morbihan, en représailles d’un acte qualifié de terrorisme, un de ses soldats retrouvé mort dans le bourg de Guilliers (Morbihan). Unidivers revient sur cette tragique journée puis sur la déportation de 43 hommes et ses conséquences qui ont meurtri toute une population.

Dans la nuit du 17 au 18 janvier 1944, le caporal allemand Hammes est retrouvé mort sur la route de Loudéac, dans le bourg de Guilliers (Morbihan). Il a été abattu d’une balle à l’arrière de la tête. Son ceinturon et son arme ont été volés. La veille, il se serait éloigné de son détachement pour aller s’approvisionner en beurre dans une ferme.

Personne ne se dénonce, alors les représailles ne se font pas attendre. Les Allemands organisent, jeudi 20 janvier, une grande rafle dans six communes morbihannaises : Guilliers, Loyat, Mauron, Mohon, Evriguet et Brignac. Ils sont environ 500, uniquement des hommes, à être raflés dans les bourgs mais aussi les villages. Le Taupontais Adolphe Lequitte est parmi eux. Il se trouve embarqué dans la rafle avec les Loyatais car il travaille à la boulangerie de Loyat. Beaucoup d’hommes entendent au loin les moteurs des véhicules allemands se rapprocher et s’enfuient aussitôt dans les landes pour se cacher et sauver leur peau, un lieu où les occupants ne s’aventurent pas car ils craignent les terroristes. Les Loyatais seront les plus nombreux à être arrêtés. Ils sont 150 à partir à pied, la peur au ventre, escortés sur les 6 km qui les séparent de Guilliers par les mitrailleuses allemandes. « Certains étaient en sabots, d’autres en pyjamas, comme ils se trouvaient vêtus au moment de l’interpellation », avait raconté Henri Perrier, le boucher de Loyat, raflé et déporté lui aussi (rentré de déportation, il a vécu jusqu’en 2003).

Au total, ce sont 500 hommes qui sont rassemblés dans la cour de l’école publique de Guilliers (d’où le nom officiel de : La rafle de Guilliers). Adolphe Lequitte et onze Loyatais font partie des 43 hommes retenus pour la déportation. Les autres, trop jeunes ou trop vieux, sont relâchés dans la soirée.

D’abord prisonniers dans une ancienne caserne de cavalerie devenue le camp nazi Royallieu à Compiègne (Oise) pendant deux mois, les 43 Morbihannais fabriquent des paillassons sans être maltraités. Mais le 22 mars 1944, ils embarquent dans des wagons à bestiaux entassés avec d’autres déportés, à raison de 100 personnes par wagon. Ils ont un bidon pour faire leurs besoins et une botte de paille pour s’allonger. Le voyage dure trois jours dans le froid et la puanteur, sans boire ni manger. Ceux qui tombent ne se relèvent plus… La destination, c’est l’Autriche, au camp de concentration de Mauthausen où ils arrivent le 24 mars 1944.

C’est alors le début de l’enfer. Vêtu de l’uniforme de bagnard rayé et chaussé d’une plaque de bois avec lanière de cuir en guise de chaussures, escortés par les mitraillettes et les chiens des SS, les déportés sont contraints à casser les cailloux à la carrière, le plus pénible labeur du camp. Il y a aussi le travail à la mine et en usine. Affamés, les déportés ne reçoivent que 80 grammes de pain et une louche de rutabagas pour 15 h de travail par jour. Les brimades, les menaces, les coups, les humiliations, comme celle de rester debout pendant des heures dans le froid sans bouger pendant l’appel, sont quotidiennes. Le manque de nourriture, les insomnies, l’insalubrité et le froid entraînent de nombreuses maladies : le typhus, la tuberculose et la dysenterie, pour les plus fréquentes.

  • rafle de Guilliers
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Sur les 43 déportés de la rafle de Guilliers et des environs, deux seulement n’ont pas rejoint le camp de Mauthausen : un est déporté à Dachau et l’autre à Neuengamme. Seuls 18 ont survécu à la déportation.

Le Taupontais Adolphe Lequitte ne reviendra pas de déportation. Il meurt d’épuisement à Mauthausen le 18 février 1945, alors qu’il n’a pas atteint son 24e anniversaire. Parmi les douze déportés de Loyat, seulement cinq seront libérés et rentreront chez eux : Eugène Nagat (20 ans), le boucher Henri Perrier (33 ans) et Gabriel Ruelland* (25 ans) sont libérés du camp de Mauthausen par la Croix Rouge suédoise, le 28 avril 1945. François Chérel* (21 ans) et Roger Fontaine (31 ans) sont libérés du camp annexe de Mauthausen par la Croix Rouge suisse. À leur retour, ils sont tous méconnaissables et pèsent moins de 40 kg. Meurtris dans leur chair et dans leur âme, ils garderont des séquelles durant toute leur vie.

Sur la place de l’église de Loyat où a eu lieu la rafle, ainsi que sur la façade du bâtiment, deux plaques commémoratives rappellent que la commune a été lourdement éprouvée par la déportation. La commune de Loyat a également érigé un monument consacré aux déportés de Mauthausen, morts pour la France. Taupont, quant à elle, a rendu hommage à Adolphe Lequitte. Une plaque en sa mémoire se trouve à l’intérieur de l’église Saint-Golven.

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  • la rafle de Guilliers
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À la libération, on apprend que le responsable du meurtre avait pris soin de se cacher et de garder toute sa discrétion, qu’il avait 19 ans et habitait à Saint-Brieuc. Une hypothèse plus récente tente de donner les noms de trois auteurs de l’attaque contre le caporal allemand, soit trois résistants briochins : Georges Ollitrault, Théodore Le Nénan et Emile Henry. Ce 18 janvier 1944, ils auraient été interpellés par l’occupant mitraillette au poing, qui réclamaient aux trois Bretons la présentation de leurs papiers. Deux des trois résistants lui auraient tiré dessus. Avant de s’enfuir, les trois hommes auraient dérobé les papiers et l’arme de l’ennemi.

Le travail de mémoire et les témoignages :

Le 20 janvier 2014, l’émotion était palpable partout à Loyat et à Guilliers. Les deux communes commémoraient le 70e anniversaire de la rafle autour de leurs monuments respectifs dédiés à la rafle du 20 janvier 44. La population s’était rassemblée autour des municipalités, des anciens combattants et des écoliers. À Loyat, un cortège était parti de la mairie pour se rendre vers le lieu du souvenir, la place de l’église. Une exposition photo était organisée à la médiathèque après la cérémonie. Tous étaient présents pour entretenir ce devoir de mémoire et rendre hommage aux victimes et aux témoins encore vivants venus raconter la tragédie qu’ils avaient vécue.

la rafle de Guilliers
Cérémonie du 20 janvier 2014 à Guilliers

Parmi eux, Gilbert Gouello qui au moment de la rafle tente de se cacher, le bourg étant cerné dès 6h30 par une compagnie de SS et des soldats de la Wehrmacht. Il parvient à se cacher chez les Bonnes-sœurs de Loyat, mais après une fouille il est pris par 3 soldats allemands et emmené sur la place avec les autres. Il est 9h et ils sont déjà une cinquantaine. Il raconte aussi que l’abbé Laignel, mieux caché sans doute que lui, aussi chez les religieuses, n’a pas été raflé. A 11h, ils sont 110 sur la place ceinturés par une quarantaine de soldats allemands. Un peu plus tard, ils se mettent à marcher sans connaître leur destination, ni leur sort. Ils parcourent les 6 km escortés par les mitrailleuses allemandes jusqu’à l’école publique de Guilliers, en rang trois par trois. Une trentaine d’entre eux portent des postes de radio TFS qui viennent d’être réquisitionnés par l’ennemi chez les habitants. “Les Allemands tiraient des rafales en l’air régulièrement et faisaient des haltes pour nous terroriser. Nous pensions qu’on allait nous fusiller. Sur le chemin, les villageois, raflés eux aussi, venaient grossir les rangs.” L’après-midi dans la cour de l’école, les hommes sont triés en fonction de leur âge. Gilbert Gouelo a pensé tout au long de sa vie avoir vécu un vrai miracle. En effet à 16 h, il est relâché car par chance il a sa carte d’identité sur lui. Elle lui sauve la vie car elle prouve qu’il n’a pas encore 17 ans, (à seulement quelques mois près), 17 ans étant l’âge requis ce jour-là pour être raflé par la compagnie de SS. Ils veulent des hommes jeunes, maximum 35 ans.

la rafle de Guilliers
Gilbert Gouello en 2014

Eugène Ollivot, tout juste 17 ans, se trouve ce matin avec son chargement de litière sur la route de campagne. A hauteur du village de La Saudraie, la mère Bougé lui crie de vite rentrer chez lui (au village de Kersamson) car les Allemands raflent les hommes. Mais quand Eugène arrive devant la maison de ses parents, 3 Allemands sont là et ils l’embarquent. Au bout de 300 m, Eugène profite de la conversation des Allemands entre eux pour sauter dans les haies du bord de route et prendre ses jambes à son cou. Il réussit à leur fausser compagnie et à se cacher dans une vieille masure. Les Allemands retournent chez sa mère, fouillent toute la maison puis celle de Mathurin Badoul leur voisin. Avec quatre autres fuyards, Eugène se cache dans les bois toute la journée. A travers champs, ils observent la malheureuse expédition. Il passe la nuit dans un grenier d’une vieille dépendance inoccupée “Nous étions en janvier. Il ne faisait pas bien chaud, mais j’étais sauf. En ce temps- là je courais aussi vite qu’un lapin. J’ai sauvé ma peau car je connaissais tous les recoins de la campagne.” Il ne réussira jamais à oublier cette date.

Marcel Chérel n’a que 9 ans le 20 janvier 44. Deux SS arrivent dans la maison familiale où seule la mère de famille est présente avec Marcel et son autre fils de 12 ans. Tout est culbuté :  les lits, les armoires et buffets, jusqu’au grenier où il plantent leur baïonnette dans les tas de foin. Marcel se sauve par le jardin pour rejoindre le bourg. Il assiste alors à une scène terrible : il voit son père, 60 ans et François son demi-frère qui devait fêter son 20e anniversaire le lendemain, raflés sur la place avec les autres. Il voit aussi Marie Harel en larmes. Maintenue par deux soldats allemands, elle crie car elle ne veut pas lâcher Fernand son fils de 18 ans qui, au final, lui est violemment arraché des bras (il mourra en déportation. Il est le dernier nom sur le monument de Guilliers). Marcel comprend vite la situation et va se rendre très utile. Grâce à son jeune âge, il n’attire pas l’attention des soldats. “J’ai quitté la place pour prévenir le plus de monde possible et j’ai réussi à sauver Marcel Gicquel et Léon Patier en leur ordonnant d’aller vite se cacher loin du bourg. Ils avaient à peu près l’âge de François”. Le père de Marcel est libéré le soir en même temps que le maire Henri Patier, mais sans François. Il fait partie du convoi déporté à Mauthausen (Matricule 59736). A son retour, François Chérel ne pèse que 35 kg et il est malade de la fièvre typhoïde. Il séjourne en quarantaine à l’hôpital de Ploërmel pendant un mois. “Il a vécu jusqu’à l’âge de 70 ans avec sa femme et ses sept enfants, mais il a gardé toute sa vie des séquelles physiques et psychologiques”.

Antoinette Ruelland (épouse Lahaye) se souvenait elle aussi très bien de ce 20 janvier. Elle avait 11 ans et vivait au village de Kernoul avec ses parents et ses cinq frères et sœurs. “Avec ma mère nous préparions la lessive des culottes de nos hommes (pantalons), quand mon père est arrivé en criant que les Boches faisaient une rafle suite à ce qui s’était passé à Guilliers. Mon père a envoyé mon frère Gaby (*Gabriel Ruelland) couper du bois dans le bois de Fontenelle. Je suis allée prévenir mes deux autres frères André et Eugène qui coupaient de la litière dans la lande. A mon retour, 3 Allemands se saoulaient dans notre grenier avec de l’eau de vie de cidre. Juste avant leur arrivée, ma mère avait eu l’idée spontanée de creuser un trou pour enterrer les culottes des hommes.” Hélas malgré toutes ces précautions, Berthine Gruyère arriva de Guilliers pour prévenir la famille Ruelland qu’elle venait de reconnaître Gaby parmi les hommes raflés. “Mes deux autres frères avaient été cachés à Orgons par la mère Puissand. La brave femme les avaient installés dans la soue à cochons sous le fumier. Ils y sont restés jusqu’au soir. Quand ils sont rentrés, ils empestaient, mais ils étaient sauvés. Mon frère Gaby, lui, n’est pas rentré”. Antoinette se souvenait aussi du retour de Gabriel. Son père était allé le chercher avec le cheval et la charrette à la gare de Loyat. “J’étais à l’école à Guilliers (plus près de notre village que l’école de Loyat). La boulangère est venue demander à monsieur Tanguy, mon maître, de me laisser quitter la classe car mon frère Gabriel était de retour de déportation. Je suis vite rentrée. Mon frère était méconnaissable et ne parlait plus. On aurait dit un squelette, sa maigreur me faisait peur ! Ma mère le nourrissait avec de la bouillie et du blanc de poulet mouliné, comme un bébé. Cela a duré très longtemps. Avec mes frères et sœurs, on le promenait lentement en lui tenant la main car il tenait à peine debout. Gabriel est resté vieux garçon et n’a jamais quitté mes parents. Suite à sa déportation, il était sujet à des crises d’épilepsie.” Comble du hasard, Gabriel Ruelland est décédé un 20 janvier, en 1966 à l’âge de 46 ans.

Pendant ce temps à Guilliers, ce 20 janvier 2014, Jean Thébaut déporté lui aussi racontait le voyage vers Mauthausen “On a roulé une nuit, un jour, puis encore une nuit, avant d’arriver à la gare de Mauthausen. L’instituteur de Evriguet avait réussi à cacher un tournevis pour creuser le bois. Il a été découvert avec d’autres prisonniers. Des fuyards ont été mitraillés. Les gardiens nous ont regroupés pour continuer le voyage entièrement nus. Ça a été très dur. On avait soif, j’ai attrapé la fièvre. On devenait fous là-dedans”.

la rafle de Guilliers
Jean Thébaut :Le député Paul Molac à ses côtés le 20 janvier 2014

Chaque fois qu’il le pouvait, Marcel Chérel et Gilbert Gouello se rendaient dans les écoles pour témoigner et faire perdurer la mémoire.

la rafle de Guilliers
Marcel Chérel et Gilbert Gouello à l’école de Saint-Jean-de-Villenard à Ploërmel en 2014

Les municipalités de Loyat et Guilliers pensent organiser une cérémonie commémorative le 20 janvier 2024, pour les 80 ans de la rafle de Guilliers. A suivre…

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Martine Gatti
Martine Gatti est une jeune retraitée correspondante de presse locale dans le pays de Ploërmel depuis bien des années.

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