Prévue en septembre, l’inauguration du Radis de l’artiste rennais Ar Furlukin sur le Mail François Mitterrand s’est finalement déroulée le 11 novembre. Annoncée à 14 heures avec force animations, l’artiste n’arrivera finalement qu’une demi-heure plus tard afin d’y installer son stand de vente… Il faut croire que les temps sont durs. Pour les artistes, en général, et l’art contemporain, en particulier…

Art et gastronomie

ar furlukin
« New York a sa Statue de la Liberté, Paris sa Tour Eiffel, Rennes aura son Radis Géant. » (Ar Furlukin)

Ar Furlukin est un artiste autoproclamé « spécialiste mondial du radis » et accessoirement maître d’hôtel (ou l’inverse ?) dans un restaurant rennais apprécié des élus municipaux. Depuis 30 ans, il ne peint et n’imagine que des radis. Lui qui prétend ne pas se prendre au sérieux, déclare en toute modestie :

Van Gogh peignait des tournesols, Cézanne des pommes, moi je peins des radis.

30 ans de radis donc, en peinture notamment, mais pas seulement : poèmes, sculptures, etc. Son rêve ? Imposer, autrement dit exposer à la vue de tous un radis géant en mosaïque. Il remplit alors en 2008 un dossier de présentation pour ses financeurs potentiels en exposant son projet. Le montant du projet est fluctuant : 120 000 € d’après le journal 20 minutes (édition du 21 octobre 2014), 250 000 € pour Ouest-France (édition du 30 juillet 2015). En attendant, en 2009, il couvre de radis les fenêtres du vilain bâtiment de la CAF et de la Sécu à tous les étages ; projet qui dure 6 mois et mobilise 20 personnes. L’histoire ne dit pas si les agents d’entretien ont apprécié la plaisanterie…

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Finalement, il installe une maquette de son futur radis au Lycée Émile Zola en 2012, près du restaurant où il travaille. Toujours à la recherche de partenaires financiers, il lance un appel de fonds sur Ulule qui se transforme finalement en appel d’air : 10 généreux contributeurs lui allouent la somme faramineuse de… 559 €. Ce n’est pas cela qui va décourager notre artiste lannionais.

Un projet ancré, enfoui ou à enterrer ?

Un brin – oserions-nous dire, extravagant –, son projet initial « Racines » [NDLR : radis descend du provençal raditz) peine à aboutir : faire trôner un radis géant – pas moins de 8 millions de carreaux de mosaïque, 6 mètres de diamètre, 4 mètres de haut, plus de 2 tonnes – place de la République, devant les Champs libres sur l’esplanade du Général de Gaulle, sur le parvis de la gare, au square du Palais Saint Georges, avenue Aristide Briand ou, encore, au Thabor. Malheureusement (ou heureusement pour certains), l’architecte des bâtiments de France n’est pas complètement conquis…

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Pour finir, il obtient de la mairie de s’installer au bout du mail François Mitterrand, au début du canal de la Vilaine en direction d’Apigné… (Ah, le fameux Mail Mitterrand rénové de long en large, mais qui ne fait guère recette !) Certainement le résultat de la sollicitude d’un ou plusieurs élus piqués de culture agraire et d’art bucolique ou bien réponse artificielle de ces derniers à la demande pressante des Rennais de revégétaliser leur ville ou, encore, lassitude de la mairie qui finit par accepter l’œuvre singulière de l’artiste tout en la reléguant dans un coin du village du Mail (certaines de nos sources affirment que l’endroit serait provisoire et que l’installation pourrait déménager sur le site de la coulée verte de la Bellangerais). Au demeurant, Ar Furlukin, en véritable Arcimboldo breton, a des exigences : il ne demande pas officiellement de subventions, mais des attentions toutes particulières pour son bébé :

– un éclairage autour du radis doit illuminer l’œuvre à la nuit tombée (la Ville a refusé vu le coût)

– les agents municipaux sont chargés d’entretenir l’œuvre (d’ailleurs appelés à la rescousse quelques jours avant la fameuse inauguration pour cause de tags)

Finalement survient le deus ex machina politico-économique : des entreprises apportent leur mécénat afin de promouvoir l’Art et de bénéficier des déductions fiscales afférentes ; et ce, en complément de subventions de différentes natures : la ville de Rennes prend en charge l’entretien, le Conseil régional lui offre 4000 € et la Caisse des Dépôts et consignations participe aussi au financement du radis. Quant à la vingtaine d’autres mécènes, ils ont apporté leur savoir-faire, leur caution et/ou leurs sous.

L’installation et l’inauguration

ar furlukin

Commence l’année 2015, Ar Furlukin continue à produire ses radis sur toile et à accueillir les clients du restaurant en attendant que des artisans-partenaires fabriquent le légume de son imagination. Précisément, la structure métallique du radis est fabriquée à Marans, en Charente-Maritime (Sud-Ouest), rapatriée à Pacé, chez Dawa, pour être habilement recouverte de mosaïque avant de trouver enfin sa destination finale à Rennes en août 2015. Des milliers de Rennais conquis, dès le premier regard, par cette œuvre aux rondeurs subtiles et au rose pudique attendent impatiemment l’inauguration. Elle est annoncée sur Facebook avec une mise en scène que n’aurait pas reniée Roy Lichtenstein :

Le 11 novembre de 14 à 18 heures

Rendez-vous artistique, festif, musical et familial autour du RADIS GÉANT de RENNES sur le mail François Mitterrand.
Artistes, acrobates, musiciens, magiciens, danseurs, « flash-mob », zone de méditation, etc.
Dress-code : radis !!! (en rouge, blanc et vert).
Venez nombreux !

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L’artiste seul en pleine dédicace

Après tant d’années à attendre la réalisation de ce projet nourricier, Rennes s’attendait à une fête à tout casser, le truc immanquable, the place to be, une teuf de ouf promettant de réunir le tout-gotha artistique et culturel régional, les riverains, les élus et la presse spécialisée autour d’un délicieux cocktail offert par ledit restaurant de l’avenue Janvier.

14 h : Personne

14 h 30 : Ar Furlukin, seul, installe son modeste stand avec des petits livres dont certains sortent directement d’un carton des années 90, mais sont quand même vendus de 5 à 10 € (certes, avec autographe !)

Quelques badauds s’arrêtent ; la zone de méditation se résume à quelques coussins posés sur des sacs-poubelle ; un clown est arrivé et tente l’égaiement ; à quelques mètres, un chien urine.

15 h : Le seul représentant de la presse (Unidivers.fr), commençant à douter de l’arrivée de tous les artistes initialement prévus, préfère partir plutôt que de se tirer un radis dans la tempe.

ar furlukin
Au plus fort de l’inauguration…

Et le lard dans tout ça ?

Certes, les goûts en matière d’art contemporain se discutent (sérieusement même). Mais si chacun est libre de se rendre ou non à l’expo de son artiste préféré, une œuvre installée sur un emplacement public – grâce aux élus et à leurs subventions – gagnerait peut-être, en raison même de son exposition, à faire l’objet d’une plus grande concertation avec le public et les esthètes patentés… Dans le cas présent, si la mosaïque est techniquement assez réussie et un peu de couleurs toujours la bienvenue dans la ville de Rennes un peu grise, on est loin des touches de couleur apposées sur du mobilier urbain comme un abribus, un banc, des poteaux.

Radis du mail coulée verte

Bref, que vous aimiez ou non le radis qui vaut beaucoup de radis, vous pouvez grâce à notre diaporama découvrir si votre banquier, qui aime votre blé, a participé au financement. Tiens, un champ de blé en styrodur sur le parking de la Vilaine, voilà une idée aussi appétissante que du l’art pommes de terre !

Mise à jour du 8 janvier 2016 : La mairie a annoncé que, le lundi 11 janvier 2016, une entreprise mandatée par la Ville de Rennes procédera au démontage puis au transfert du radis géant vers le site de la coulée verte de Patton, rue de la Motte Brûlon.

Le radis du Mail Mitterrand
Conception : Ar Furlukin
Structure : Madneom
Mosaïque : Émaux Zaïque de Dawa et Marie

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