Deuxième livre de Kevin Lambert, ce dernier peint en toutes lettres des personnages endurcis par la vie. Querelle résonne comme une fiction profondément sociale. Un roman à lire absolument !


Querelle

Voilà un roman qui met quelques zestes de fraîcheur. Même si le genre littéraire n’est pas une révolution en soi, que l’éditeur ait indiqué « fiction syndicale » sous le titre de ce deuxième roman de Kevin Lambert, est le bienvenu. Ce roman est un exploit, il apparaît un peu comme un ovni, mêlant simultanément le contexte social d’un lieu, d’une époque et le parcours à la fois classique et singulier de la pléiade de personnages. Parmi eux il y a Querelle, personnage haut en couleur, et Jézabel, une femme pas comme les autres…

Querelle est un jeune employé de la Scierie du lac, Inc. du côté du Lac-Saint-Jean, et n’est franchement pas un type ordinaire. Bâti comme un roc, musclé comme un dieu grec, il ne craint rien ni personne. Bosseur, ce monstre de force ne recule devant aucun effort, souscrit aisément au groupe de la scierie, il obtient le respect de toutes et de tous. Même s’il est admiré des femmes, il préfère les jeunes garçons, les adolescents qui fantasment sur sa gueule et son corps, attendant leur tour, fesses offertes à toute heure. Querelle sait qu’il plaît et ne s’en cache pas. Et qu’on ne vienne pas l’importuner pour ses goûts sexuels, sans craindre de se retrouver le nez écrasé ou le bras cassé. Et puis il y a Jézabel, qui ne se laisse pas faire non plus. C’est qu’elle en a bavé, la fille. Alors elle avance comme elle peut, ébréchée de partout, vivant presque au jour le jour… Une bonne copine de Querelle, évidemment !

Querelle

 

« Querelle se repose, content. Il est persuadé, pendant un court instant, d’être utile à quelque chose et, d’une manière étrange, de sauver le monde, juste un peu. »

Kevin Lambert a peaufiné des personnages à la mesure du fond social de son roman. Querelle n’est pas seulement le prénom de l’Apollon, mais Querelle c’est la trame sociale du roman : quand les travailleurs de la scierie dévissent et se mettent en grève. Ils en ont marre de tout donner au patron, des heures, de la sueur, du labeur en échange d’émoluments insuffisants pour vivre décemment, nourrir et élever leurs enfants comme il se doit.

Quant à s’offrir de petits plaisirs, les choses sont tout aussi compliquées. On travaille tout le temps, plus de cinquante heures par semaine pour seulement quelques jours de pause par an. Le soir, les week-ends, on ne pense qu’à dormir, se prendre un verre et tirer un coup quand on en a encore la force. Et pour couronner le tout, on vit dans des logements douteux, considérés comme des sous-hommes, des sous-femmes et on risque même de décéder sans voir la couleur du premier versement d’une hypothétique retraite.

Lac Québec

Tableau apocalyptique décrieront d’aucuns ; tableau d’un Québec très réaliste siffleront les autres. Kevin Lambert se fait fin observateur d’un monde qui s’est résolument tourné vers un capitalisme débridé et outrancier. Certains jouissent de tout, de l’ordinaire comme du superflu sans réels efforts pendant que d’autres triment pour mal finir. Et pourtant il n’y aurait pas de travail sans investisseurs, sans capitalistes. Dur constat pourtant si vrai. Et si l’on commençait à redistribuer plus équitablement les richesses. Et si on arrêtait de penser trop hâtivement que le « vivre ensemble » n’existe pas.

Ce roman mosaïque n’est pas une provocation, même s’il nous invite à réfléchir ; c’est avant tout un acte politique, militant autour de nos conditions de vie dans un monde faisant la belle part aux nantis, qui souvent n’hésitent pas à sacrifier les plus vulnérables sur l’autel de leur cynisme. Querelle, l’Apollon gay, reste un ogre qui dévore les plus faibles. Et s’il se sent utile, c’est qu’il a le sentiment de pouvoir sauver le monde… Un roman coup de poing. À lire comme une urgence, dans un contexte social qui est malheureusement en totale adéquation avec cette fiction syndicale. Querelle est remarquablement écrit !

Querelle – Kevin Lambert. Éditions Le Nouvel Attila – 240 pages. Parution : septembre 2019. 19,00 €.

Couverture : © Kyle Thompson/Vu – Photo auteur Kevin LAMBERT © La Presse – CA

Kevin Lambert

Kevin Lambert a 26 ans, et est né à Chicoutimi (Québec). Il poursuit à l’Université de Montréal un doctorat en création littéraire sous la direction de Catherine Mavrikakis. Très impliqué sur la scène littéraire, il a été libraire au Port de tête, et participe aux revues Moebius et Spirale, ainsi qu’à plusieurs émissions de Radio-Canada.

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Christophe Maris
Christophe Maris est journaliste et écrivain, agrégé de Lettres modernes. Il collabore à plusieurs émissions de TV et radio et conçoit des magazines pour l'enseignement où il a oeuvré une quinzaine d'années en qualité de professeur de lettres, d'histoire et de communication.

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