Purge Sofi Oksanen, 408 pages, Stock, 22€, prix Fémina[/stextbox]
La vieille Aliide n’a jamais quitté son Estonie natale. L’ère communiste est terminée, mais la méfiance et la peur restent bien ancrées et polluent les relations humaines. L’apparition de la mystérieuse Zara, dépenaillée, terrorisée, fuyant la violence d’un homme, est l’occasion pour Aliide de se remémorer un passé bien peu glorieux, qui finit par la rattraper.
Le thème de la condition de la femme en littérature est sans fin. Reste qu’il devient de plus en plus difficile, année après année, de prendre la relève d’écrivains célèbres à travers le monde qui, dans leurs essais ou romans, on dénoncé une soumission de la femme par l’homme qui semble inhérente à la condition féminine. Avec Purge, Sofi Oksanen délivre un message cinglant avec une violence très maîtrisée. Un roman époustouflant, un parallèle terrible entre la souffrance individuelle et la domination collective.

L’idéologie communiste aurait pu sonner le glas de l’asservissement de la femme. « Camarades », travailleurs et travailleuses, au service d’un bien commun et d’un avenir lumineux, hommes et femmes pouvaient être membres des jeunesses communistes, faire des études, s’élever dans la hiérarchie du Parti et accéder aux honneurs… en théorie. Dans les faits, rien ne semble jamais pouvoir venir à bout d’une fatalité millénaire. Si Aliide ne trouve pas rapidement un mari, elle devra supporter les moqueries des villageois. Ses qualités ne seront jamais que celles qui brilleront au grand jour dans la tenue de sa maison, la qualité de sa cuisine, la réussite de ses conserves, la quantité de lait qu’elle fera jaillir du pie de la vache.

On comprend que Zara ait souhaité fuir un destin qui, 50 ans après, n’offrait rien d’autre à la jeunesse postcommuniste. La jeune femme se trouve prisonnière d’un proxénète de la pire espèce, dans une capitale étrangère. Subissant les pires humiliations, privée des commodités primaires, violentée, battue, elle finit par s’échapper en s’étonnant de ne pas y avoir pensé plus tôt, et se réfugie chez Aliide.

Aucune brèche dans le récit, aucune faille dans la démonstration implacable de l’auteur : telle une araignée, Sofi Oksanen tisse une toile qui se referme inexorablement sur le lecteur. Toutes les femmes subissent la domination masculine; la différence, finalement, réside en la petite part de liberté qu’elles parviennent éventuellement à conserver sans en avoir l’air. Purge n’est pas une fiction, est-il besoin de le rappeler?

À conseiller si…

… vous êtes sensible à la condition féminine. Purge est un roman extrêmement bien écrit et qui reflète fidèlement une réalité décourageante.
… plus prosaïquement, Purge est aussi un merveilleux témoignage sur la vie quotidienne des femmes et leur travail harassant pour faire vivre la famille : récolte des légumes, mise en conserves, fabrication du yaourt, réalisation des confitures… Les journées se suivent avec leur lot de corvées que les femmes réalisent souvent ensemble, se serrant les coudes, bavardant, travaillant d’arrache-pied.

Extrait :

Le mariage comme protection et rédemption : torturée par les communistes, Aliide cherche son salut en épousant… un fervent membre du Parti.

Si elle recevait, en se mariant avec Martin, une sorte de garantie pour sa sécurité, il y avait une autre chose importante qu’elle obtenait par le mariage. Elle devenait tout à fait comme n’importe quelle femme, ordinaire. Les femmes ordinaires se mariaient et faisaient des enfants. Elle en était une.
Si elle était restée célibataire, tout le monde aurait pensé qu’elle avait un problème. […] S’il y avait une raison qui faisait d’elle une sous-femme, une femme qui n’était pas au goût des hommes ou qui n’était pas capable d’être avec un homme. Quelque chose qui faisait d’elle une femme délaissée.

Hélène

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