Longtemps, les humains ont considéré la maladie psychique comme étant inguérissable, voire innée. Si bien que personne ne prêtait attention aux souffrants. Ils étaient regardés comme des aliénés ou des possédés. Pour voir leur condition s’améliorer, il a fallu attendre que des hommes, imprégnés de valeurs chrétiennes, créent des hospices d’accueil.

À Rennes, c’est un avocat, Guillaume Régnier, qui offrit – le premier – le gîte et le couvert aux malades de la gale (ou rogne) qui partaient en pèlerinage à Saint-Méen Le Grand pour conjurer le mal. Il acquit en 1627 divers bâtiments relevant de l’abbaye de Saint-Georges au lieu-dit « le Tertre de Joué » et fonda « l’aumônerie du petit Saint-Méen ».

L’institution s’est transformée au fil de siècles. En 1852, rattachée aux hospices de Rennes, elle a été vendue au Département et est devenue « asile départemental ». En 1996, elle change de nom et adopte le sigle CHGR (Centre Hospitalier Guillaume Régnier).

Lorsqu’il est question d’hôpital psychiatrique, on a souvent tendance à imaginer un endroit froid, restreint et fermé où les patients souffrent généralement des effets pathogènes de l’enfermement décrits par le sociologue américain Erving Goffman dans son célèbre livre Asiles, 1961.

Il en va différemment à Rennes. L’établissement a la chance de disposer d’une superficie et d’un patrimoine naturel qui en rendraient jaloux plus d’un. Ces atouts permettent une hospitalisation plus souple, notamment grâce à l’intégration d’apports thérapeutiques alternatifs faisant écho aux premiers pas de la psychiatrie en France qui préconisait un traitement écologique du patient.

Et, sans conteste, la diversité des chemins et les possibilités de ballades au CHGR participent au bien-être des personnes hospitalisées. Cette respiration extérieure les aide à mieux endurer leur souffrance, à moins l’intérioriser.

Ainsi, la déambulation peut mener aux alentours du stade de football, jouxtant l’avenue François Château, et dans les parages du CSTC (centre social thérapeutique et culturel), une sorte de chalet située à l’entrée, du côté de la rue du Moulin de Joué.

Les malades ont le loisir de se promener entre diverses espèces d’arbres, des serres, des parterres de fleurs sauvages, des grenadiers, un jardin d’application où ils s’essaient au bêchage et au semage, et le terrain de sport où se déroule, le samedi après-midi, un match de football corporatif.

Certains s’allongent dans l’herbe et sommeillent un moment. D’autres effectuent quelques tirs de basket ou courent autour de la piste. Des amoureux profitent aussi de la tendresse du gazon. Alors que des familles musardent et s’asseyent sur des bancs pour converser.

Avec ce tableau, on serait amené à penser ce territoire comme bien utilisé. Mais, eu égard au manque de moyens consacrés à la psychiatrie, on pourrait souhaiter que la direction s’emploie à mieux organiser cet espace de liberté pour en optimiser les effets positifs. Par exemple, en agrandissant ces jardins où peuvent travailler les patients, en aménageant des aires de jeux et des petits espaces de détente le long des chemins, en plaçant des salariés – pourquoi pas des TIGistes ou des contrats aidés – ou une association pour surveiller, conseiller, accompagner les patients les plus inaptes, et en adaptant les trottoirs et la circulation automobile pour sécuriser les parcours des marcheurs. La concrétisation de ces idées ne demanderait que peu de moyens financiers.

À mille lieues de ces aménagements souhaitables et peu onéreux, l’avenir pourrait être bien sombre. La direction de l’hôpital a songé à revendre ses terrains verts à la Métropole rennaise pour la construction de la nouvelle caserne départementale des pompiers…

En effet, la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) exige des hôpitaux publics d’autofinancer une partie de chaque nouvel investissement. Cette vente aurait donc servi à financer la rénovation des nouvelles cuisines centrales… Par chance, le projet de cession aux pompiers semble abandonné en raison du caractère inondable du terrain. Mais des bruits circulent : ce domaine serait tout de même cédé.  À qui ?  À des promoteurs immobiliers. Si tel était le cas, on ne pourrait que se lamenter de cette régression de la prise en compte du contexte dans la vie et le traitement des personnes hospitalisées.

Il est vrai que la maladie psychique est la malaimée de notre société. Elle fait peur. Elle fait peur comme l’irruption du chaos dans la cohérence du tissu personnel et sociétal. Reste qu’il manque à l’évidence une volonté politique pour améliorer la vie des souffrants. Le seul « lien » avec les élites est d’ordre économique – celui de l’AMM (de l’Autorisation de Mise sur le Marché des Médicaments). Et force aujourd’hui est de constater que les soins sont réduits à une politique du tout médicament.

S’il ne s’agit nullement de tirer à boulets rouges sur les traitements chimiques,  on peut en revanche souhaiter minorer les effets pernicieux d’une vision  autocratique et unidimensionnelle de la psychiatrie – la suppression des terrains de promenade en constituerait un bien regrettable exemple.

Au-delà de ce voeu, on peut songer avec admiration à l’élan et la vision des soignants qui, après avoir connu les camps de concentration du troisième Reich, ont contribué après-guerre à faire évoluer les mentalités et la gestion des asiles. Ouvrir l’hôpital à la cité, retrouver la parole, le sens de l’écoute, l’esprit critique, redonner une place de sujet au malade, une place sociale au sujet, développer des soins alternatifs, lutter contre les coupures désocialisantes, etc.

Un jour viendra où les humains comprendront la raison d’être des maladies psychiques… Alors, le vœu de Tarkovsky dans Nostalgia pourra se réaliser :  la société ne sera ‘normale’ que le jour où les personnes dites saines dîneront à la même table que les malades.

                                                             Dragan  Brkic

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