Travelling 2020 : Pour sa 31e édition, le Liban est à l’honneur. L’association Clair Obscur pointe son cap sur Beyrouth ! Le festival du cinéma voyageur rennais revient du 11 au 18 février 2020 avec une programmation toujours aussi riche en découvertes. Unidivers vous présente les festivités.

Petites guerres
Petites guerres de Maroun Baghdadi (1983)

Le cinéma libanais 

Au coeur de l’actualité depuis de nombreuses semaines, les Libanais en colère accusent les élites politiques de corruption et d’incompétence. Le pays, en grave crise économique, est le théâtre de coupure régulière d’eau et d’électricité. Des conditions devenues, à juste titre, invivables pour les habitants du pays descendu dans la rue depuis le 17 octobre 2019 — Tripoli, par exemple, un ville au nord du Liban, le taux de chômage dépasse les 70 %. Le 29 octobre suivant, l’ancien Premier ministre Saad Hariri (Premier ministre de père en fils) présente sa démission au président Michel Aoun. Une victoire incertaine puisque personne n’est en lice pour prendre sa place. Si le pays est divisé entre plusieurs communautés (sunnites, chiites, druze, chrétiens..), les Libanais se montrent unis face au pouvoir et Beyrouth est le théâtre de violents affrontements entre citoyens et policiers, ce, seulement presque 30 ans après la fin de guerre civile du Liban.

Né dans les années 1929, et très perturbé par la guerre civile entre les années 1975 et 1990, le cinéma libanais perd de sa superbe : les cinéastes sont poussés à travailler à l’étranger et les spectateurs ne se marchent pas sur les pieds devant les salles, alors les espaces de diffusions ferment peu à peu. La guerre, présente dans tous les esprits, est le principal sujet du peu de films de l’époque. Utilisé comme outil politique, il est souvent vecteur de transmission d’idéologies et de témoignages prenant une part ou l’autre du conflit. En parallèle, un cinéma d’évasion porté par la jeunesse émerge.

West Beyrouth
West Beyrouth de Ziad Doueiri (1998)

Cette fragilité historique et politique a fait se révéler un cinéma humain et franc. Projections, rencontres, expositions, concerts et bien d’autres encore vous attendent pour partir à la découverte d’un Liban riche d’une culture malheureusement ensevelie sous la guerre. Zoom sur 3 cinéastes à ne pas manquer.

Jocelyne Saab

Jocelyne Saab

Le regard de cette réalisatrice libanaise porté sur la guerre civile est un témoignage précieux. C’est donc sans surprises que cette 31e édition de travelling lui rend un hommage. Née en 1948 au Liban, elle part faire ses études à Paris. À son retour, Etel Adnan, une poétesse américano-libanaise, l’engage pour le journal as-Safa. En 1973, Jocelyne Saab devient reporter de guerre au Moyen-Orient. Quand la guerre éclate dans son pays natal, elle réalise son premier documentaire Le Liban dans la tourmente. Le film sort en salles à Paris, mais est censuré au Liban.

Parmi sa dense carrière cinématographique (reportages, documentaires, fictions, mais aussi photographies et installations), trois témoignages essayistes des désastres de la guerre marquent les esprits : Beyrouth, jamais plus (1976), Lettre de Beyrouth (1978), Beyrouth, ma ville (1982). Les images sont un puissant vecteur d’idées. Jocelyne en a consacré sa vie.

« Jocelyne a saisi d’instinct, grâce à son courage politique, son intégrité morale, et sa profonde intelligence, l’essence même de ce conflit. Aucun document sur cette guerre n’a jamais égalé l’importance du travail cinématographique que Jocelyne a présenté dans les trois films qu’elle a consacrés au Liban. » — Etel Adnan

En 1992, la réalisatrice se lance dans la reconstitution de la Cinémathèque Libanaise. Portée par le devoir de mémoire, elle parvient à rassembler plus de 300 films sur le Liban. Un travail d’archives d’exception. Elle fonde également le Festival international du Film de Résistance culturelle au Liban en 2013. Jocelyne Saab décède en janvier 2019 à Paris.

Nadine Labaki

Nadine Labaki Née en 1974 à Beyrouth, Nadine Labaki est une contemporaine du cinéma libanais. Après avoir reçu en 1998 le prix du meilleur court-métrage à la Biennale du cinéma arabe à l’Institut du monde arabe de Paris pour son film d’études, la réalisatrice réalise des publicités ainsi que de nombreux clips musicaux.

Son premier long métrage Caramel — que vous pouvez retrouver au festival Travelling — est une comédie dramatique, sélectionnée pour la quinzaine des réalisateurs au festival Cannes l’année de sa sortie en 2007. Quatre ans plus tard, elle réalise Et maintenant on va où ? primé quatre fois dans différents festivals. En 2018, Nadine Labaki revient au festival de Cannes avec Capharnaüm,  qui raconte l’histoire de Zain, un jeune qui vit dans les quartiers difficiles de Beyrouth, rêve d’échapper à la misère et de partir vivre en Suède. La réalisatrice passe de la comédie dramatique au drame tout court, peignant un Beyrouth en crise, bien loin de la fiction. Largement salué par la critique, le film reçoit le prix du jury, le prix du jury œcuménique (récompense d’un jury indépendant) et le prix de la citoyenneté, puis est sélectionné pour représenter le Liban à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Comme pour Et maintenant on va où ?Nadine Labaki s’emploie à un casting hors des sentiers battu : l’actrice Kawthar Al-Haddad (qui incarne la jeune mère érythréenne de Zain) par exemple, est elle-même une immigrée sans-papiers. Selon Courrier international, Kawthar Al-Haddad a d’ailleurs été arrêtée puis relâchée pendant le tournage. Perturbante, la barrière entre la fiction et le réel est indissociable.

Wissam Charaf

Wissam Charaf

Wissam Charaf est un réalisateur, cameraman et journaliste libanais. Né à Beyrouth en 1973, il s’installe à Paris en 1998, et collabore régulièrement avec Arte. Il a couvert de nombreuses zones de conflits (Liban, Afghanistan, Corée du Nord…) et réalisé plusieurs courts métrages, sa forme de prédilection (Hizz Ya Wizz en 2004 et L’Armée des fourmis en 2007, sélectionné au festival de Locarno et Prix du Jury au festival de Lunel). En 2012, il signe It’s all in Lebanon, un premier documentaire qui dépeint un Liban dual, oscillant entre « pop et propagande » depuis la fin de la guerre civile. Son premier long métrage de fiction, Tombé du ciel, est sélectionné à l’ACID (Cannes, 2016), dans de nombreux festivals internationaux et est présenté en avant-première au festival Travelling. Il réalise la même année le court métrage Après, et revient en 2018 avec une nouvelle forme courte, Souvenir inoubliable d’un ami, qui connaît un beau succès en festivals. Son cinéma, bien qu’animé par son geste documentaire, se construit autour des formes de l’étrangeté et de la dérision, dans la mise en scène quasi burlesque d’antihéros et de revenants bloqués dans des impasses.

« Au Liban, on refoule l’héritage de la guerre civile. It’s all about Lebanon c’est vraiment un film destiné aux Libanais. Les étrangers verraient vraiment ce film sous un angle tropical.(…) il faut qu’on reparte à zéro, qu’on pose les bonnes questions. Des questions qui sont de l’ordre de la constitution. Qu’elle est l’idée qu’on veut faire d’une nation ?! » — Wissam Charaf 

 

Travelling 2020, au-delà des frontières 

Le festival nous fait voyager aussi au-delà du Liban. Si l’édition 2019 proposait 270 projections pour quelque 200 films, Travelling 2020 remet au goût du jour une proposition qui avait beaucoup plu l’année passée : le Public programmateur où vos votes ont pu sélectionner 5 films à voir ou à revoir sur le thème de La ville au cinéma. Voici la sélection de ce grand cru 2020 :

– Mulholland Drive, David Lynch (États-Unis, 2000)
– Le Baiser du tueur, Stanley Kubrick (États-Unis, 1954)
– L’Éclipse, Michelangelo Antonioni (Italie / France, 1961)
– Le Samouraï, Jean-Pierre Melville (France / Italie, 1967)
– Les Frissons de l’angoisse, Dario Argento (Italie, 1974)

Pour les oreilles…

Mais ce n’est pas fini ! Travelling propose deux compétitions de courts-métrages : l’une, francophone, dans le cadre de sa section Urba[Ciné] et l’autre, internationale, dans le cadre de sa section dédiée aux plus jeunes, Junior. Le festival projettera également des séances spéciales en avant-première, en partenariat l’ACID au festival de Cannes. Gardez l’oeil …

Häxam

Ouvrez grand vos oreilles aussi : l’association Clair obscur pense à tout ! Et par tout, on veut dire ciné-concertsTravelling présente Häxan, signé Barði Jóhannsson. Un film muet suédois sur la sorcellerie. En raison de son caractère sataniste et de nombreuses scènes de nudité, il a longtemps été censuré. L’Islandais Barði Jóhannsson offre à cette oeuvre culte une bande-son envoûtante. Le réalisateur vient à Rennes pour la première fois à l’occasion de ce ciné-concert en partenariat avec le TNB. En plus, voilà la programmation que vous pourrez vous offrir :

Programmation ciné-concert Travelling 2020

Travelling 2020 c’est aussi des concerts gratuits :

Mercredi 12/2 : Concert Cyril Mokaiesh, précédé d’une projection de clips libanais
Jeudi 13/2 : Dj Set Molécule
Vendredi 14/2 : Concert La Battue, précédé de clips de la scène rennaise
Samedi 15/2 : Concert Bachar Mar Kahlifé – Piano
Dimanche 16/2 : Ciné-concert de Morgane Labbe et Heikki Bourgault 4°0 Histoire d’une île, précédée de la performance Jukebox scopitone
Lundi 17 et mardi 18/2 : Performance Jukebox scopitone

… et les plus jeunes

Place à la section Junior qui fait un focus cette année au réalisateur Jean-François Laguionie. La compétition de court-métrage international Junior sera présidée par le réalisateur parrain Sébastien Laudenbach ainsi qu’un jury âgé de 8 à 10 ans. Les juniors pourront découvrir une sélection de films, venus des quatre coins du monde et Hauts en couleurs (le thème cette année ? la couleur.)

Le réalisateur de Louise en Hiver ne restera pas tranquille puisque la société de production rennaise JPL films fera l’objet d’un portrait dans le cadre de la valorisation des créations audiovisuelles bretonnes. Vous aurez le privilège de découvrir le travail en cours de Slocum, le dernier film encore en production de Jean-François Laguionie.

Jean François Laguionie
Jean François Laguionie

D’un écran à l’autre
Travelling questionne les mutations numériques et permet aux festivaliers d’expérimenter réalité virtuelle, innovations techniques et nouvelles formes de narrations. Au programme : un focus sur le projet transmédia -22.7°C signé Molécule, les expériences
en réalité virtuelle de Jan Kounen, le podcast Le cinéma est-il un genre ? animé par Pauline Mallet et Thomas Messias (podcasteurs Mansplaining et sorociné) ainsi qu’un atelier de création de podcasts, une journée d’éducation aux images sur le thème des utilisations des images d’archives dans les actions culturelles. Mais aussi un Critwich sur la thématique de la science-fiction avec Irène Langlet, Jean-Baptiste Massuet et Alexis Blanchet et des rencontre avec des professionnels avec Made By Mikros. Pour cette troisième édition de Made ByTravelling 2020 met en lumière Mikros, une société de création visuelle d’effets numériques, d’animation et de postproduction, au travers de trois rencontres.

Cette année encore, le centre de cette 31e édition se trouvera à à deux pas du cinéma Gaumont. Accueil, billetterie, informations, restauration, concerts, rencontres, ateliers … direction le quartier général à l’Étage du Liberté !

Tout ce qu’il faut savoir sur le site internet de Travelling 2020 : ici.

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