Une rencontre autour de la détention a eu lieu le samedi 26 octobre au Dahlia Noir avec en première partie la présentation du film le Déménagement. En seconde partie, un débat animé par Dragan Brkic et Nicolas Noireau du Génépi Grand-Ouest a suscité un débat riche. La question générale et pratique de l’emprisonnement et l’exemple de la prison de Vezin-le-Coquet ont été traitées.

 

La presse et les listes aux municipales rennaises avaient été conviées pour débattre du sens de la peine d’enfermement, de l’imposition des nouvelles constructions carcérales en partenariat public-privé, de la réforme Taubira et des compétences d’une municipalité sur le sujet. Etaient présents côté politique, Tristan Lahais, le représentant de la candidate PS Nathalie Appéré, et Jean-Manuel de Queiroz, délégué du probable futur candidat de la liste Alliance Citoyenne, Rémy Lescure, homme engagé dans le domaine pénitentiaire.

Les autres listes n’étant pas représentées, le public n’a pas pu connaître l’avis de Bruno Chavanat, candidat UDI-UMP et peut-être Modem, sur son idée de déplacer le centre pénitentiaire des femmes en périphérie de la ville ; ni celui des Verts rennais sur le sens de la peine et les prisons écologiques ; ni celui de Breizh Europa (nouvelle formation de la scène politique rennaise et régionale) sur leur modèle d’enfermement au regard  d’une autonomie de la Bretagne.

Les compétences dans le domaine pénitentiaire étant limitées pour une municipalité, cela n’a pas empêché les intervenants de formuler leur approche du problème. Tristan Lahais (liste PS) a adopté un point de vue résolument républicain, en opposition au populisme pénal ambiant. Il s’est engagé à ce que la candidate à la Mairie, Nathalie Appéré, essaye de conserver le centre pénitentiaire femme au centre de la cité pour des raisons de proximité avec la gare, mais aussi afin de préserver l’environnement qualitatif existant, la superficie en mètre carré notamment. Par ailleurs, il a établi un parallèle classique entre la montée de la délinquance et la faiblesse de l’investissement social d’un pays et a confirmé la continuité de l’aide de la Ville aux associations travaillant autour de la prison. Concernant les travaux d’intérêt généraux (TIG), il a été sensible à ce que soit maintenue une politique volontariste sur l’ouverture de postes TIG et sur leur qualité.

De son côté, Jean-Manuel de Queiroz (Alliance citoyenne) a posé comme principe premier, pour le système pénal, l’individualisation des peines. Il a également pointé du doigt le rôle des politiques dans des architectures invraisemblables – fût-elle celle du bien triste bâtiment de Rennes métropole ou du nouveau centre de détention homme de Vezin-le-Coquet. Enfin, il a parfaitement circonscrit les contours du « problème » pénitentiaire : étant donné que l’enfermement actuel est contre-productif, comment parvenir à un progrès pénitentiaire au bénéfice de la société ?

De fait, une unanimité s’est dégagée après le passage du film Le Déménagement. Les acteurs ont fait comprendre aux spectateurs d’une manière fulgurante que la technique et l’hygiène apportées par la nouvelle prison de Vezin n’avaient rien résolu. D’une part, la surpopulation carcérale y est toujours aussi vivace : des cellules individuelles sont désormais utilisées pour deux ou trois détenus. Et les suicides ne se sont malheureusement pas arrêtés. D’autre part, la condition du prisonnier y est plus dure que dans l’ancienne maison d’arrêt : la mise en place de caillebotis aux fenêtres en est un symbole fort. Ils empêchent les prisonniers de respirer, de mettre un doigt au-dehors, de regarder le paysage – qui est par ailleurs inexistant. La vie quotidienne des surveillants y est tout aussi compliquée, notamment dans leur relation avec les détenus.

Dans le public, un architecte a élevé la voix en remarquant qu’« on avait la prison qu’on méritait », parce que les gens ne s’intéressaient pas assez au problème. Les personnes présentes ont d’ailleurs vivement regrettées que les citoyens n’ont pas été consultés lors de la construction du nouvel établissement ! Cela s’est déroulé en catimini dans les salons dorés du ministère de la Justice au bénéfice d’un opérateur privé qui bénéficie désormais de loyers importants versés par l’État – par les contribuables autrement dit.

Un autre participant au débat a opéré des rapprochements entre les modèles de prisons hyper-sécurisés et les systèmes économique et politique ultralibéraux et sécuritaires. Les États-Unis avec 2 millions, la Chine avec 1.5 million et la Russie avec 800.000 détenus prennent les trois premières places de ce classement peu glorieux. À ce titre, Tony Ferri évoque une société de l’hypersurveillance. (Tony Ferri et Dragan Bkric, sont chroniqueurs à Unidivers et auteurs de La condition pénitentiaire paru cette année chez l’Harmattan.)

Franck Delaunay, des Productions Candela qui ont produit le film Le Déménagement, a repris quant à lui fort judicieusement cette technicité moderne en proposant de la mettre au service d’une meilleure détention et relation entre prisonniers et Justice. Par exemple, pourquoi ne pas utiliser la visioconférence entre probationnaires et conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation en cas de nécessité ? Et pourquoi ne pas introduire une certaine partie d’Internet en milieu fermé ? Même les États-Unis en ont été capables. L’obnubilation sécuritaire aurait tendance à fabriquer des détenus plus dangereux qu’ils ne le sont à l’entrée en prison. Dragan Brkic a rappelé à cet égard que 36 % des prisonniers accomplissent une peine pour une condamnation à moins d’un an. Aussi « pourquoi un détenu serait-il plus dangereux en entrant en prison et ne le serait-il plus à sa sortie quelques mois plus tard ? » Le monde carcéral est plein de contradictions dérangeantes.

À ce sujet, Franck Delaunay a conclu les échanges en soulignant que les prises de paroles contraires à la ligne politique des partis étaient plus bénéfiques que des béni-oui-oui redondants qui ne font pas avancer les choses et, surtout, la démocratie. Au final, il est clairement apparu que le film Le déménagement produit une émotion chez le spectateur et l’amène à réfléchir sur le paradigme actuel de l’enfermement. On comprend alors mieux pourquoi l’administration pénitentiaire a essayé de lui mettre des bâtons dans les roues en interdisant le passage sur les chaînes de télévision.

La campagne des municipales étant désormais lancée, on aimerait que les prétendants à la Mairie de Rennes prennent position sur le débat actuel en évitant de tomber dans des approximations relevées de-ci de-là de l’échiquier politique, lesquels alimentent le populisme pénal. Le domaine pénitentiaire a besoin d’un climat apaisé. Nous cherchons tous la même chose : une société moins délinquante. Mais certains utilisent le terreau de la délinquance pour récolter des voix faciles. Combattons ces manières de faire, agissons avec plus d’éthique pour le bien commun.

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Tarik Messelmi
Depuis longtemps passionné de littérature, avec une préférence pour le roman noir et la science-fiction, la liste est longue et les découvertes toujours intéressantes.

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