Boris Pahor est un écrivain slovène né à Trieste le 26 août 1913. Membre de l’armée de libération yougoslave pendant l’occupation allemande, il est arrêté en 1943 puis déporté en Alsace (Natzwiller-Struthof) et en Allemagne (Dachau, Dora, Bergen-Belsen). Après la guerre, la censure communiste fait que son œuvre littéraire, consacrée à l’expérience des camps de concentration, sera occultée pendant de nombreuses années. Les livres de Pahor commencent à obtenir une reconnaissance internationale à partir du jour où des éditeurs allemands et français décident de les traduire.

 

Si, dans Pèlerin parmi les ombres, Boris Pahor fait le récit de son retour au camp vingt ans après sa détention, au milieu de touristes, il se consacre dans Printemps difficile à un autre aspect de cette expérience. Le personnage principal, Radko Suban, est un survivant, pour ainsi dire un spectre, confronté à la difficulté que représente la continuation de la vie après l’expérience du camp. Il ne se trouve pas vraiment, dans l’intrigue, de retour en arrière ; il s’agit davantage de la douloureuse, inévitable superposition mentale, chez le protagoniste, de décors transformés ou non par l’industrie de l’Homme, fours crématoires, sanatorium, ville, forêt… Se pose évidemment dans ce livre la question de la culpabilité : le survivant a-t-il le droit de survivre ? Ne trahit-il pas les autres ?

Boris Pahor, Printemps difficile
Boris Pahor

Au-delà de cette seule interrogation se pose aussi la question d’un jugement moral que Radko est à plusieurs reprises tenté de prononcer, notamment dans la relation amoureuse qu’il développe avec une des infirmières du sanatorium tout proche de Paris où le personnel médical tente de lui faire recouvrer sa santé, en compagnie d’autres rescapés. Tiraillé entre le retour obsédant de la vie, malgré les horreurs du siècle, et la garde d’un souvenir de voyage dans la mort qu’il se sent tenu de maintenir, Radko soupèse la légitimité des ressentis, des expériences intérieures éprouvées par ceux qui n’ont pas connu les camps de concentration. Oscillant entre les deux tendances, il éprouve du mal à se positionner. Le roman de Pahor, largement autobiographique, suggère que malgré les événements historiques, géopolitiques qui ont amené la défaite de l’Allemagne nazie, nous ne sommes pas sortis du Camp. La marque reçue est trop profonde pour que des soins physiques et psychologiques parviennent à effacer la coloration désespérée qu’ont revêtue tous les décors, tous les rapports humains, y compris ceux de l’amour. Les attitudes futiles, légères et inconséquentes d’Arlette, l’infirmière dont s’éprend Radko (et dont l’amour est partagé), sont-elles tolérables face à la béance du four crématoire ? Où sont-elles, en quelque sorte, un baume réparateur ?

Boris Pahor, Printemps difficileCe que découvre Radko, c’est que la vie reprend ses droits, mais pas au sens où tout pourrait basculer dans la niaiserie sentimentale. La difficulté de sa situation ne vient pas de l’opposition entre un univers concentrationnaire et un monde libre, libéré, un monde du Bien retrouvé après la guerre. Comme Radko et ses compagnons du sanatorium le constatent, la vie qui continue, c’est aussi la géopolitique ininterrompue, sans la moindre assurance qu’une deuxième guerre mondiale n’en suscitera pas une troisième puisque le bloc soviétique est désormais la première menace internationale. Le roman de Boris Pahor, au ton très analytique, jamais ennuyeux, fait se rencontrer des considérations historiques, des dissections psychologiques, des souvenirs et un présent que rien ne semble venir transfigurer. Le désespoir devant une vie pas plus belle qu’avant, malgré la fin du conflit, ne se trouve jamais loin, mais Radko décidera enfin, après s’être laissé traverser de mille tensions contradictoires, de se positionner à nouveau dans la vie, avec ou sans Arlette. Il faut tout de même préciser ici que nous nous trouvons quand même devant une écriture un peu plus poussée que celle, facile, qu’on trouve par exemple dans les romans de Konsalik…

Que d’attentions pour qu’on aille se reposer à l’heure donnée et qu’on se rétablisse vite, alors qu’on anéantissait des millions d’hommes ! Quel rapport a par exemple l’amitié silencieuse d’une forêt française avec le pays de la mort ? Apaisé, recueilli, le bois parle, dans un murmure, de la bonté qui jamais ne se dédit, en émane la douce certitude que rien ne s’est passé d’irréparable et que la nature conserve intacte sa pureté. Cependant n’était-ce pas justement parce qu’il avait renié l’atmosphère de là-bas qu’il était parvenu à le ressentir ? N’avait-il pas, en passant devant la loge du concierge pour aller à son rendez-vous, n’avait-il pas volontairement chassé l’image de la porte d’entrée du camp ? 

Il est difficile d’accepter cette réalité qu’au-delà de l’enfer les hommes soient restés des êtres qui se font du souci pour un bifteck ou une nouvelle robe, mais grimaçant devant une photo de Belsen. 

Boris Pahor Printemps difficile, éditions Phébus (coll. Libretto), traduit du slovène par Andrée Lück-Gaye. 380p., 10,80€

 

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