L’édition n’est pas à confondre avec la littérature. La première relève d’un banal commerce, alors que la seconde s’attache à la découverte d’une émotion esthétique. De fait, un « nouveau » livre sera celui que l’on ouvre pour la première fois, fut-il vieux de trois siècles, et pas nécessairement celui qui vient de paraître. Il est temps d’élargir la chronique littéraire à des œuvres plus anciennes. Temps de casser l’engrenage de cette cavalerie éditoriale qui, l’air de rien, condamne à mort les œuvres de plus de trois mois. Voilà ce qui manque aujourd’hui. Faire cela et contribuer à rompre le système infernal qui conduit l’édition à se tirer une balle dans le pied. Dont acte.

"Rive droite" de Thierry Ardisson - Editions PocketLes années 80 ont donné trois grands noms aux lettres françaises. Alain Pacadis n’y a pas survécu ; Yves Adrien, qu’est-il devenu ? ; du troisième, rares sommes-nous à connaître ses talents d’auteur camouflés par une carrière vendue aux médias. C’est pourtant lui, Thierry Ardisson, qui très tôt dira : « A une époque où tout le monde écrit, chacun devrait vivre sa vie comme un roman. » Jeune auteur publié au Seuil : Cinemoi (1973) et La Bilbe (pas « la bible » – 1975), il passe en 1983 sous la casaque blanche d’Albin Michel pour un nouveau roman, Rive Droite, qui s’inscrit aujourd’hui comme la référence littéraire d’une époque nostalgique de la précédente : lorsque les trentenaires du baby-boom observaient leur vingt ans dans les reflets anamorphosés des 70’s.

Alain Pacadis avec Un jeune homme chic (1978), Yves Adrien et NovöVision (1980), enfin Thierry Ardisson et sa Rive Droite  : il aura suffi d’un seul livre à chacun pour souffler les gaz lacrymo de mai 68 au bénéfice des fumigènes du Palace. Rive Droite évoque l’aventure d’une génération dont les excès termineront dans la confusion générale, véritable amorce des bouleversements à venir : le fric devenu chic, la fin des idéaux égalitaires… En quelque sorte, comment la contre-culture des années 60 a dévoyé ses idéaux les décennies suivantes et, dans une suite logique, comment elle a inventé le XXIe siècle parce qu’elle proposait une autre vision du monde.

"Pondichéry" de Thierry Ardisson - Albin MichelAutre livre, autre époque, dix ans plus tard, le même Ardisson soulève une nostalgie coloniale dans Pondichéry. On y retrouve le style électrique de Rive Droite, nourri de ruptures adoucies par une emphase merveilleuse. L’écriture fouette. Caresse. Elle s’immisce de manière sournoise dans un plaisir qui monte souvent au plus haut sommet de l’exaltation. On pourra tout reprocher à Thierry Ardisson, mais pas de manquer de forme ni de langue. Ces adversaires n’oublieront d’ailleurs pas de le jalouser, faisant de Pondichéry l’un des plus grands scandales littéraires des années 90. Ils évoqueront d’abord trois pages empruntées à un livre paru dans les années 50 : Ardisson ne dément pas ; puis six pages : Ardisson s’excuse ; puis quelques dizaines pour, au final, en arriver à une soixantaine tirées de plusieurs ouvrages. Face aux accusations de plagiat, Albin Michel décide le retrait du livre quelques semaines après sa parution. Pondichéry ne sera jamais réédité et personne ne prendra fait et cause pour son auteur, au contraire, la polémique aura des allures de mise à mort. Pourtant ! Le plagiat n’est-il pas la base de toute littérature à condition qu’il génère une oeuvre supérieure à celle(s) dont il s’inspire ? Dans le cas précis, la valeur ajoutée de Pondichéry (le travail d’Ardisson, donc) relève d’une qualité au moins équivalente aux emprunts qui lui furent reprochés. En outre, a-t-on jamais conspué Cézanne d’avoir retravaillé Delacroix, ou Molière de s’être vivement inspiré de Plaute ? Picasso avait une maxime pour ça : « Les bons artistes copient, les grands artistes volent ». Bref, méfions-nous d’une littérature vertueuse : son rôle est ailleurs ; et surtout, gardons-nous de croire que les lettres sont bien défendues lorsque les justiciers écrivent de mauvais livres pour en dénoncer de bien meilleurs. 

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Thierry Ardisson

Thierry Ardisson
Cinemoi, Editions du Seuil
 – Epuisé
La Bilbe, Editions du Seuil – Epuisé
Rive Droite, Editions Pocket, 216 pages – 11,50 €
Pondichéry, Albin Michel – Retiré du catalogue

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Sur la Rive droite de Pondichéry Thierry Ardisson vit sa vie comme un roman

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Jérôme Enez-Vriad
Jérôme Enez-Vriad est blogueur, chroniqueur et romancier. Son dernier roman paru est Shuffle aux Editions Dialogues.

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