Dans la dernière mouture de sa superproduction à consonance politique, Des paroles et des actes, la chaîne publique française invitait la ministre de la Justice, Christiane Taubira. En fin d’émission, un évènement a marqué l’assemblée : l’apparition d’une mystérieuse invitée, mère d’une victime de récidiviste. Un deux ex machina façon politique-spectacle.

Le présentateur vedette, David Pujadas, affectionne de moins en moins les débats honnêtes, sérieux et constructifs. Certes, il n’est pas le seul. Et la France n’est pas le seul pays à tremper la politique dans un bain d’émotion au détriment d’un effort de réflexion. Toutefois, on remarquera la continuité de posture médiatico-politique entre Nicolas Sarkozy et François Hollande : des projets de loi mal ficelés dans l’émotion du fait-divers. Bien entendu, ces micro-scandales courtermistes arrangent nombre de politiques et de commentateurs, car ils sont comme une animation devant le théâtre d’une pensée et d’une idée françaises en berne.

En ce qui concerne le débat relatif à la surpopulation carcérale, deux écoles s’affrontent. Le dramatique « tout carcéral » et l’angélique « tout réhabilitation ». Ces deux extrêmes restent sourds aux réflexions approfondies qui se développent autour de l’amélioration du fonctionnement de la justice, de la vie en prison, des peines et des modalités de réinsertion des détenus. (Unidivers ne manque pas d’y contribuer, voir notamment les articles de Tony Feri et Dragan Bkric). Oui le traitement de la récidive doit être posé dans toute sa complexité. Oui, l’emprisonnement est nécessaire tant que les hommes et les sociétés seront ce qu’ils sont. Mais le constat est là : elle ne fait pas diminuer la criminalité. L’exemple américain le prouve bien malheureusement avec 23% de la population carcérale dans le monde et le plus fort taux d’incarcération rapporté à sa population.

Construire des prisons et y entasser des détenus ne règle pas le problème de la criminalité. Il est plus que temps d’engager une véritable réflexion nationale sur ce qu’est le vivre-ensemble, le respect et le civisme, le mal-agir, la criminalité, la mise à l’écart et l’emprisonnement. Sur ce que la prison pourrait être aujourd’hui, ce qu’elle devrait être eu égard à notre vision de l’homme et de la réalité sociétale des démocraties occidentales. Hélas, cette nécessaire réflexion approfondie ne saurait rencontrer le temps de nombre de médias qui est de plus en plus désapprofondi et désapprofondissant.

Est-ce constructif de faire surgir sur un plateau la mère d’une victime qui s’exprime avec une émotion et des explications certes tout à fait compréhensibles mais inadaptées à un entretien de fond public avec un ministre ? On ne peut rien répondre aux larmes et à la colère légitime, mais était-ce vraiment le lieu et le moment pour l’exposer ? Seulement rester digne. Ce qu’a su faire Christiane Taubira avec intelligence.

Pourquoi la rédaction de Des paroles et des actes a-t-elle eu recours à ce qui relève du piège ? Quelle était sa motivation ? Pense-t-elle que faire le buzz ancre sa réputation alors qu’il le conduit sur les sentiers peu honorables des tabloïds façon Murdoch ? Il peut être utile de rappeler que l’organisation d’un débat politique par le service public a précisément comme prérequis de favoriser le raisonnement contradictoire hors de toute course à l’audience. Hélas, en pleine crise financière, France Télévisions a décidé de combattre ses concurrents sur le terrain de la politique-spectacle. Ce faisant, elle renforce chez les spectateurs réellement sensibles à la chose publique une distance grandissante à l’égard du système médiatico-politique. À quel degré de saturation nauséeuse faudra-t-il arriver pour que les téléspectateurs-consommateurs n’en puissent plus de cette pauvreté intellectuelle excitée à coup de sensations composites et éphémères ? C’est la mort de la vie politique de la France que nous vivons en direct.

Didier Ackermann et Nicolas Roberti

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Didier Acker
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