Avec ce premier polar, Benoît Séverac s’installe de suite dans les belles découvertes du genre de ce début d’année. Entre relations père-fils impossibles, portraits de personnages attachants et intrigue passionnante, l’auteur nous emmène dans un récit magnifiquement humain. Remarquable.

BENOIT SEVERAC

Le titre de ce roman est Tuer le fils. Mais il pourrait s’appeler « Tuer le père ». Et réciproquement. Ou inversement. Mais « Tuer le père » est déjà le titre d’un roman d’Amélie Nothomb. Ainsi réside l’un des intérêts majeurs de ce remarquable polar qui nous plonge dans de multiples mises en abîme : réalité d’un meurtre et fiction d’un texte écrit préalablement, un père et un fils photocopies de souffrances, mais recto verso de vies diamétralement opposées. Benoit Séverac creuse ce sillon et pose la question ultime « Tuer au nom de la littérature est-ce possible? ».

Il ne faut pourtant pas croire que ce roman relève de la plus pure construction intellectuelle et s’élève dans les hauteurs d’une philosophie à quatre sous. C’est avant tout un polar, un bon, un remarquable polar. De ce type de littérature, il possède tous les codes. On a donc un assassin, que l’on découvre dès la première page. Un flic, ou plutôt un trio de flics, même si l’on suit surtout les pas du chef, Cérisol, la cinquantaine approchant, amoureux de son épouse Sylvia, devenue aveugle, et adorateur de confitures diverses et variées. Le roman navigue dans l’air du temps pointant avec justesse le malaise des officiers de police dans une institution en difficulté ou mettant le doigt sur les mouvements d’extrême-droite malodorants représentés par des bikers au cerveau aussi limité que le vrombissement de leur Harley.

Alors si on le distingue du reste de la littérature de genre, c’est que Benoît Séverac, dont c’est le premier roman, et qui s’est inspiré de son expérience d’intervenant de professeur d’anglais en milieu carcéral, sait donner une épaisseur humaine à ses personnages, ni « héros », ni paumés en mal de vivre. On se prend de compassion, de sympathie pour ces hommes en lutte entre leur métier, dont chacun attend des réponses différentes, et les difficultés de la vie quotidienne. Trois générations de flics comme trois modes de vie. Trois rapports à la paternité aussi. Cérisol ne sera jamais père par la volonté de son épouse. Grospierres, dernier arrivé dans la brigade, et tout jeune papa, se voit confronter au judaïsme militant de sa femme. Quant au troisième larron, Nicodemo, émigré portugais, proche de la retraite, une dépression le guette et l’interroge sur un bilan de vie familiale et un fils brillant qui veut arrêter sa prévisible ascension professionnelle.

L’auteur profite d’une intrigue bien menée, construite autour d’aller-retours entre un cahier d’écritures et la vie quotidienne, pour raconter la déliquescence d’une relation père-fils délétère. L’ignoble côtoie la douceur, la haine poursuit l’amour. Tous les personnages sont en quête de tendresse et leur itinéraire personnel nous les rend terriblement attachants, comme celui de Sylvia, devenue aveugle à la trentaine et dont nous percevons toute la volonté de vivre avec une justesse remarquable. Ces femmes et hommes, on aimerait les rencontrer dans notre vie, en faire peut être des amis. Ils forment la mosaïque d’une société contemporaine, qui sait aussi trouver de bons moments lors de repas quotidiens pris à la brasserie du coin ou de jolis baisers dans le cou (voire plus) après une journée harassante d’enquête.

À la fin de cette lecture dévorante, on constate une fois de plus qu’il est dommage de catégoriser la littérature. Tuer le fils, s’il utilise les codes du polar est avant tout un livre. Un formidable beau livre.

Tuer le fils de Benoît Séverac. Éditions La Manufacture de Livres. 6 février 2020. 290 pages. 18,90€.

Le blog de Benoît Séverac

BENOIT SEVERAC

Benoît Séverac, né en 1966, a grandi aux pieds des Pyrénées et est devenu Toulousain à l’âge de 18 ans. Il a été tour à tour guitariste-chanteur, comédien, saisonnier agricole, gardien de brebis, restaurateur de monuments funéraires, vendeur de produits régionaux de luxe et de chambres « meublées » pour gros clients japonais, professeur de judo, photographe dans l’armée de l’air, serveur en Angleterre, clarinettiste dans un big band de jazz puis co-fondateur d’une fanfare rock-latino-jazz… Il s’est formé à la dégustation de vin en Alsace, est diplômé du Wine and Spirit Education Trust de Londres et il enseigne aujourd’hui l’anglais à l’école vétérinaire de Toulouse. Il publie à la fois des romans pour les adultes et de la littérature jeunesse.

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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