Vilayat ombrelle. Années 70.
S’inscrivant dans le droit fil de la vérité individuelle et du témoignage, « Rencontre avec un Maître soufi » d’Olivier Majriti touche la crête du temps inachevé d’un « monde du dedans », dont la construction reprend sous l’impulsion d’un maître véritable. Dans ce petit livre, « à la saveur d’éternité », la vie est initiation. Oui, comment peut-on mourir avant d’avoir connu l’illumination ?

 Héritier d’une longue dynastie mystique, Pir Vilayat Inayat Khan a rejoint la « lumière qui ne meurt pas » le 17 juin 2004. Il fut pour certains le « Stradivarius des Amis Spirituels » et joua activement sa partition dans le concert magistral de ceux qui se refusent à la seule contemplation passive de la Paix. Énergique dans le cursus de son existence, il rencontra à longueur de vie la plupart de ceux qui comptent dans le rêve toujours inabouti de la Paix Universelle en organisant pendant près de quarante ans des Rencontres interreligieuses où se pressèrent parmi les plus grands esprits de ce temps, tels le Dalaï Lama, Karl-Graf Dürckheim, Nadjm Oud dine Bammate, André Chouraqui, Olivier Clément, Marie-Madeleine Davy, le Cheik Bentounès, Olivier Costa de Beauregard…

Divulguer l’héritage divin

L’auteur tourne résolument le dos à la mièvrerie, ce poison de la dévotion. Ce point est essentiel. Ne se réclamant de rien, sa sonorité est douce et subtile. Ici, il dépasse le mythe, là, il regarde les oreilles closes, plus loin, il ouvre son cœur et garde son sens critique. Car, s’il est coutumier de parler de cœur dans le symbolisme soufi, alors ce petit livre est l’histoire d’un cœur, comme un esquif impatient de prendre le large ou bien, si l’on veut, d’un maître bon par lui-même qui sait conduire libéralement son pouvoir jusqu’au bout. D’un maître qui sans affaiblir la continuité de l’Être sait dévoiler les virtualités de l’âme à la pleine conscience et divulguer l’héritage divin. D’un maître qui sait, sans perdre haleine, sans faiblesse et dans l’équité, conduire des luttes extrêmes ou bien diriger les chœurs de la Messe en si mineur de Bach.

De même que l’aigle lutte contre l’attraction terrestre pour s’élever vers le ciel et acquérir la vision globale de son univers, le Pir, le vieux maître, s’élève en degrés successifs au-dessus de la pesanteur temporelle pour atteindre la « lumière qui ne meurt pas » et de constater :

« Le soleil brille par amour. » 

« Nous sommes une condition de Dieu comme la vague est une condition de la mer. »

« Chercher des pouvoirs surnaturels entravent la voie de la libération qui passe par la compassion et la charité »

L’apparition du sacré dans le réel

Vilayat chez lui en France sous le portrait de son père. 1997

Olivier Majriti nous régale des saveurs inédites de ses séjours à la montagne où le monde se regarde autrement, où il aime la drôlerie de la fleur et la saveur de la graine. Là-haut, au Camp des Aigles chacun et chacune expérimentent. Qui l’ambiguïté de la perception, qui la chorégraphie de la lumière, qui le moyen de survivre à la cupidité du désir, qui l’architecture de l’âme. Là-haut, l’enseignement ne prétend pas réduire l’individu à ses caractères matériels, mais, loin de l’abstraction stérile, l’enrichir dans le réel visible et invisible. Au Camp des Aigles, Pir Vilayat Inayat Khan taille en grands blocs l’apparition du sacré dans le réel. La lumière anime ses méditations. Après un croquis authentique et fidèle), l’auteur de constater : « Je ressens l’opérativité du camp ». Là, pas plus qu’ailleurs, le maître ne se cache sous un emballage déroutant. Pas de grandiloquence. Pas de chœurs de fin de banquet. Pas de déprime. Mais, au contraire, drôle et parfois rêveur, de ces rêves qui donnent un sens à la vie et qui justifient l’émerveillement et l’espoir qu’il pratique.  Émerveillement et espoir qu’il sait communiquer.

Mais, c’est à son domicile français de Suresnes que se déroule, que se mesure, la partie émergée du pouvoir du maître qui s’expose à la vie et dont le regard se porte sur l’horizon dans la grande tradition soufie. C’est là que, généreusement, jeunes et vieux, connus et inconnus participent à la création d’un monde qu’anime le souffle mystique d’une tradition humaniste millénaire tendue vers la Paix. C’est là aussi qu’est préservée la mémoire de Noor Inayat Khan la sœur héroïque qui su livrer bataille aux forces obscures de la guerre de 39-45 au prix de sa vie.

Tout au long de ces pages, l’auteur a saisi au vol de nombreuses paroles du Maître soufi qui traitent des énigmes du monde mystique et nous confie cet héritage non seulement pour redonner la mémoire et renouer avec les racines, mais pour les faire revivre. L’on peut se réjouir d’avoir ici un narrateur de grande classe qui concilie les vertus du Silence avec les bontés de l’Amour et qui nous fait découvrir et redécouvrir l’intime d’un Ami Spirituel – hélas, maintenant disparu –, mais, non pas éteint.

 

Neïy Khan

Neïy Khan, derviche de la lignée Chishti, est l’auteur de Quatre vingt dix neuf Leçons d’Amour de BABA TAHER, Le Dépouillé  (Traduit du Persan). Éditions de la Reyne de Coupe.

« Rencontre avec un Maître Soufi. Pir Vilayat Inayat Khan, l’Ami spirituel » d’Olivier Majriti. 132 pages. 10 Euros. Éditions Lanore.

 

 

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1 COMMENTAIRE

  1. Epatant. En un mot comme en dix: la fin des fins ne serait autre que le debut de la fin. Eternelle est l’ame, immortelle est la memoire. Mais la quete de l’immortelle est une quete despotique. on forge une memoire, on ne l’impose pas.
    je voudrais tant voir et lire ces nouvelles… et puis mourir.
    cela dit je n’ai trouvé aucune faille dans tes propos à l’emission d’hier sur Fr2.

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