Avec Pigalle,1950, Pierre Christin et Jean-Michel Arroyo signent un magnifique polar reprenant tous les codes du genre. Comme un hommage à une époque mythique, paru le 8 avril 2022 chez Dupuis, collection « Aire Libre« . 

pigalle 1950

Dès les premières pages de Pigalle, 1950, on se croit de retour au temps du cinéma en noir et blanc, celui de Touchez pas au Grisbi de Jacques Becker. On entend les voix de Jean Gabin ou de Lino Ventura, on imagine la silhouette de Jeanne Moreau. On prend place dans des fauteuils d’orchestre, le paquet de pop corn à la main. Bandes rivales, coups de feu et trahisons, courses poursuites, pin-up, avec Pigalle 1950, les auteurs ont voulu rendre hommage au septième art. Le noir et blanc, ou plutôt le gris tout en nuances, nous emmène en effet vers un passé pas si lointain que les polars de la « Série noire » de Marcel Duhamel ont immortalisé et mythifié.

Alors, rien ne manque. D’abord, le Paris mythique de la migration des provinciaux vers la capitale fantasmée. Ici, c’est Antoine, jeune Aveyronnais qui quitte son buron de l’Aubrac pour venir travailler chez son oncle, le bougnat de la famille, propriétaire d’un bar et livreur de charbon, ces fameux « boulets » qui alimentent les chaudières. Ensuite, le Paris des quartiers chauds, celui de Pigalle et de ses boîtes de nuit, lieux de mélanges sociaux mais aussi de blanchiment d’argent, de pègres, quand la drogue va se substituer peu à peu au trafic vieillissant et moins rentable des cigarettes de contrebande. Antoine, livreur de charbon, insensiblement, se transforme en homme à tout faire, dans des conflits armés, et meurtriers qui le dépassent.

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À Pigalle, le glamour ne saurait être absent et Olga, une chanteuse à succès, star internationale, va prendre sous son aile le jeune novice et lui ouvrir les portes d’un monde inconnu et inimaginable à Rodez, mais où la chute peut être aussi rapide que l’ascension, à l’image du funiculaire montmartrois qu’emprunte comme une métaphore Antoine, au début du récit.

Le scénario de Christin, volontairement classique et sans surprise, s’attache à reprendre les codes du genre : la vengeance est le moteur de l’action où les personnages, « Beau Beb », « Poing-Barre » ou encore « Pare-Brise », manient avec dextérité les bouteilles de champagne comme les gâchettes de mitraillettes. Même l’inévitable gang corse fait irruption dans les cabarets enfumés.

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Arroyo se fond dans ce classicisme pour reconstituer à merveille le Paris des années cinquante en utilisant notamment une monochromie proche du sépia adaptée au ton du récit et à son caractère nostalgique. Trop jeune pour avoir connu cette période, contrairement à Pierre Christin, il s’est approprié l’époque comme un contemporain. Il ne manque pas un logo métallique sur les capots des Chrysler ou une cheminée de gazomètre dans la proche banlieue parisienne. Les cases syncopées multiples et rapides des scènes d’action, alternent avec de magnifiques images d’ambiance, d’atmosphère. Elles laissent le lecteur flâner dans des rues où le sabot des chevaux livrant des boutiques côtoie les tractions Citroën, quand la terrasse du Flore, qui rappelle les terrasses chez Jean-Pierre Gibrat, alterne avec les insignes lumineuses du Moulin Rouge. « Atmosphère, atmosphère » déclamait quelques années auparavant Arletty. « Atmosphère », pourrait reprendre à son compte le dessinateur qui allie le réalisme d’une reconstitution fidèle à l’univers d’un monde fantasmé par le cinéma et la littérature policière. Jamais pourtant, la documentation que l’on devine importante, ne prend le pas sur le dessin. Arroyo ne repasse pas ses traits sur des tirages photographiques mais les interprète magnifiquement.

Comme au Grand Rex, les plans alternent plongées et contre-plongées, détails et plans larges. Souvent, des visages au premier plan semblent regarder la caméra, comme saisis sur le vif sur les Champs Elysées, déjà envahis par les voitures, contraste saisissant avec la vie figée des premières pages de paysans « bouffeurs du lard rance et du pain rassis en buvant du petit lait sans jamais voir personne ». Les profondes transformations sociales et les disparités à venir entre les campagnes et les villes sont en train de poindre, comme le basculement de la petite délinquance vers une forme plus violente de gangstérisme. 

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L’album se termine magnifiquement, hors récit, avec des double-pages qui donnent à voir le parc des Buttes-Chaumont ou encore des usines gaz de la Plaine Saint-Denis, pour le simple plaisir du dessin. Ces planches feront l’objet d’une exposition à la galerie Maghen à Paris du 20 avril au 7 mai.

La BD refermée, on a envie de s’installer devant un bon film en noir et blanc. Bob le flambeur, de Jean-Pierre Melville fera l’affaire, le regard distrait par la Une de France-Soir, un verre de Suze à la main. C’était le bon vieux temps. Quoique. 

Pigalle, 1950. Scénario de Pierre Christin, dessins de Jean-Michel Arroyo. Dupuis, collection « Aire Libre ». 8 avril 2022. 152 pages. 25,95 €.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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