Avec Émotions, Sabine Weiss nous offre une belle leçon d’humanisme. Avec tact, douceur, tendresse. Et talent. Un livre en forme de rétrospective et d’hommage.

Il était temps. Grand temps. Enfin un livre imposant retraçant une partie de la carrière de l’immense photographe, âgée aujourd’hui de 96 ans. Deux cent cinquante six pages pour presque autant de photos choisies par Sabine Weiss elle-même, ces « photos pour soi », prises sur le vif, loin des centaines de commandes qu’elle réalisa pour les plus grands magazines, des photos témoins, des pas de côté qu’elle fit dans le monde entier et qu’aujourd’hui elle partage avec nous, car dans chacune de ses photographies sélectionnées « se cachent une histoire à raconter, une émotion, mon émotion ». Cette émotion on pourrait la simplifier en la qualifiant d’humaniste, ce vocable qui a tant servi pour classer les photos de Doisneau, Ronis, Izis ou encore Brassaï.

emotions sabine weiss

C’est avec les enfants que s’ouvre le livre, couverture, photo pleine page, ils sont là, offrant leur vérité à notre regard. Ils sont sales, pas coiffés, vêtus de guenilles, la morve au nez, mais ils nous regardent pleine face, souvent griffée d’un beau sourire, et sont complices de notre curiosité. Bien sûr ils évoquent la nostalgie d’un temps passé, de ces années d’après-guerre, de reconstruction, mais la nostalgie ne suffit pas pour faire une bonne photo. Ces enfants, souvent baguenaudant dans les quartiers populaires de Paris, du Portugal, de camps de gitans, la photographe les a accompagnés, suivis, pour de véritables rencontres qui vont bien au-delà d’un cliché volé. Avec un Rolleiflex à viseur ventral, l’objectif se retrouve au niveau du visage des mômes, à leur hauteur ce que fait écrire à Marie Desplechin dans son éclairante préface, « elle sait comme personne photographier un enfant parce qu’elle est son égale ». Mais les enfants ne sont pas les seules personnes auxquelles s’intéresse Sabine Weber, mariée à Hugh Weiss pour le meilleur.

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Elle qui a photographié Roosevelt ou d’immenses célébrités, aime s’approcher des modestes, des gens de peu, et les traiter d’égal à égal. Pas de condescendance, ni de voyeurisme, de misérabilisme, ni d’anecdotes, dans ces portraits de gitans, de mendiants, d’ouvriers, de métiers disparus. Ce n’est pas la pauvreté qui est recherchée et montrée, mais plutôt une émotion que procure des femmes et des hommes dont on devine que la vie est difficile. Un homme, baigné d’une douce lumière latérale, lève la tête sur un corbeau perché sur son épaule. Cadré serré, on ne voit rien de son corps, mais on devine pourtant à son visage, à ses longs cheveux filandreux, qu’il n’est pas riche. Son regard vers l’oiseau baigné dans un magnifique sourire nous inonde d’une émotion considérable. Ainsi sont les photos de Sabine Weiss. Tendres, douces, pleines d’empathie, mais jamais larmoyantes.

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La qualité de l’impression est remarquable. Les tirages sont souvent marqués, notamment en basse lumière, par ce grain argentique inégalé qui offre des contours atténués aux choses et aux êtres. La lumière, la photographe la maîtrise à merveille n’hésitant pas à jouer des forts contrastes, même de contrejours violents qui transforment des silhouettes en de mystérieuses formes géométriques animées. La lumière devient une alliée cachant dans ses zones noires le laid pour faire vibrer le beau. Comme dans de nombreuses scènes éclairées par de simples bougies ou une lumière sommitale artificielle. Le contraste aide aussi à composer l’image, souvent avec deux ou trois lignes de force qui s’opposent, se complètent. Sans atteindre l’équilibre des photos de Cartier-Bresson, Sabine Weiss dans des scènes de rue structurent le cadre pour nous inviter à regarder l’essentiel, une minutie qu’elle reproduit dans son domicile où elle place, déplace chaque objet pour qu’il donne à voir un équilibre à l’œil.

Aujourd’hui la photographe recueille tous les honneurs, les expositions, les récompenses et a été désignée en 2020 photographe de l’année par le prix Women in Motion. Mais elle s’en moque, elle qui découvrit les plaisirs de l’exposition seulement en 1979 à Arras sous les injonctions de Doisneau. Que vaut un badge à la boutonnière à côté d’un merveilleux sourire d’enfant, délicatement éclairé par la lumière couchante au bord d’une plage portugaise ? À cette question incongrue, depuis presque un siècle, Sabine Weiss a sa réponse : « Je suis encore émue par tous ces visages, ces attitudes, ces atmosphères, ces solitudes, ces regards, ces baisers ». Une émotion qu’elle nous fait partager pour notre plus grand bonheur. En noir et blanc.

Émotions : Sabine Weiss. Préface de Marie Desplechin. Éditions de la Martinière. Parution : 22 octobre 2020. 256 pages. Prix : 39€.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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