Né en 1959 au Faou (l’un des plus beaux villages de France situé au fond de la rade de Brest), Philippe Le Guillou est romancier et essayiste. Il a notamment publié aux Éditions Gallimard Les Sept Noms du peintre (prix Médicis 1997), Les Marées du Faou, La Consolation, Fleurs de tempête, Le Bateau Brume. Ami et confident de Julien Gracq, il partage avec lui le sens d’une écriture intimiste et somptueuse où les formes lyriques sourdent comme autant d’indices d’une vie invisible mais autrement plus riche. Son dernier roman, L’intimité de la rivière, montre combien l’évocation des paysages d’enfance a agi pour l’auteur comme une drogue balsamique tout au long des années de formation.

« C’était il y a peu, moins de cinquante ans, et on croirait que tout cela remonte à mille ans. Il suffit que je revienne au Faou, pourtant, et le génie des lieux ravive aussitôt les sortilèges d’un monde qui continue de vivre, fidèle aux mythes, aux rites, loin des atteintes d’une modernité ravageuse. Les lilas blancs et bleus du jardin paradisiaque de Kerrod, les buis, les palmiers, le vert des prairies, les eaux vives sous le pont de bois et au début des paluds, les boiseries dorées de Rumengol, la perspective des sources au-delà de l’épaisseur forestière ressuscitent, massive et sûre, la plénitude de l’enfance, d’un monde sans ombre, sans faille, protégé de présences aimantes, immémorial, transparent – éternellement présent. »

Unidivers – Vous êtes né au Faou, non loin de la rivière du même nom, laquelle traverse la forêt du Cranou avant de s’évaser en une large ria. Et c’est là, quand vous prenez le large de votre résidence parisienne, que vous venez vous ressourcer ; plus précisément, dans la maison de vos grands-parents paternels sise au lieu-dit Kerrod, la « maison de la mer ». Que cela soit dans Les Marées du Faou, publié en 2002, comme dans l’ensemble de votre œuvre, ce hameau constitue le lieu du commencement, voire du retour. Pourriez-vous nous en dire davantage ? Notamment, votre attachement est-il emblématique d’une certaine nostalgie qu’entretiennent les Bretons (expatriés) à leur terre ?

Ph. Le Guillou — Si mon écriture littéraire se manifeste sous forme de pensées soit conceptuelles soit imagées, sa matière est sensorielle. Souvenirs, parfums, touchers, sons, émotions – je distille ces impressions et les mêle à la toile. Ma plume est un regard porté sur la présence volatile de l’esprit, l’atmosphère des lieux, d’une époque, l’être des choses.

Quant au Faou, il est un axe, le centre d’une dimension intérieure et un territoire qui m’accompagne depuis ma naissance. Retourner à ce point d’ancrage me procure un ressourcement dont j’ai besoin à intervalles plus ou moins réguliers. Un espace méditatif, un temps d’apaisement, parfois même de sérénité.

Je passe l’essentiel de ma vie à Paris. Une ville qui donne aussi bien qu’elle prend. Au Faou, la mémoire, la vie et la nature diffusent des énergies qui me restaurent. Je communie avec les quais, les grèves, la forêt du Cranou, la façade maritime de Landévennec ainsi que les figures de mon passé. Les paysages intérieurs et extérieurs se mélangent sans pour autant se confondre.

C’est dans ce cadre que je cartographie le territoire de mon enfance. L’intimité de la rivière s’inscrit dans un ensemble de récits de souvenirs auxquels je me consacre depuis 2003. Ce thème, qui parfois recoupe celui de la nostalgie, renvoie à un besoin profondément enfoui en moi. Au reste, je n’ai jamais prévu ce livre ; il est né de lui-même, le fruit de ces cahiers que je noircissais depuis plusieurs mois. Ce n’est pas le résultat d’une attention programmée, bien plus d’une envie gratuite et nécessaire de revenir par les contenus mémoriels à ce et ceux qui me sont à jamais chers.

Heureusement, nombre de mes contemporains chérissent encore ce lien au terroir et sont susceptibles de comprendre ma démarche. Qu’ils soient bretons ou non. Il est vrai que ces derniers conservent un attachement particulièrement fort à la mémoire, au sacré, à l’imaginaire.

Précisément, l’imaginaire celtique et le christianisme imprègnent votre travail. Quelle importance la spiritualité et la vie spirituelle, voire la religion, revêtent-elles pour vous ?

L’imaginaire, la vie spirituelle et la religion sont pour moi essentiels. Je suis chrétien de culture, croyant et pratiquant. Plus que l’au-delà ou la morale, ce sont les matériaux premiers du religieux – les ancrages enfouis, les résonances esthétiques, un rapport sans équivalent au monde – dont je fais mon miel. Pour autant, mes créations et mon univers intérieurs sont dominés par des motifs celtiques. Le domaine arthurien y occupe une place centrale. En somme, j’ai été nourri aux deux seins du christianisme et du paganisme dans un territoire né de leurs sédimentations successives. Ce que s’efforce de traduire Livres des guerriers d’or.

C’est avec Claudine Glot que vous présidez le Centre de l’Imaginaire Arthurien. Il est installé dans le château de Comper-en-Brocéliande ou, plutôt, il fait corps avec lui. La nature de notre entretien s’accommoderait sans doute d’une description du lieu et de ses missions…

Volontiers. Le CIA un endroit exceptionnel où se marient harmonieusement eaux, feuillus et pierres de schiste pourpré. Son objectif est simple : faire en sorte que le plus de gens possible accèdent à la beauté de la légende arthurienne à travers la présentation de ses différents aspects. Expositions, spectacles, ballades, contes et animations se succèdent tout au long de l’année. À la dimension esthétique et culturelle s’ajoute un public aux origines sociales variées. Il ressort de ce croisement une cohérence heureuse, voire miraculeuse. Je crois qu’il en aurait été bien autrement si le Centre avait grandi ailleurs que dans ce refuge enchanteur à l’abri du monde, du désolant et du laid.

« À mon tour, j’ai cédé au charme du roi errant, du roi vierge et blond. Je rêvais d’un roman qui me permît de voyager par les mers celtiques, entre Irlande et Bretagne, d’une fable dans laquelle on retrouverait Merlin, Arthur, les sortilèges de Brocéliande, les druides du commencement et les bâtisseurs de cathédrales. Je rêvais de chevaliers en manteaux de sel et de feuilles, de rivages chaotiques, de châteaux et de chapelles, d’épée et de coupe d’émeraude. Comme dans le monde enluminé des romans bretons, comme dans les songes de Tolkien, de Gracq et de Boorman. »

Au regard d’une œuvre déjà riche, vers quel Graal êtes-vous susceptible d’orienter votre recherche ?

Le livre à venir, le nouveau livre.

« C’était il y a peu, moins de cinquante ans, et on croirait que tout cela remonte à mille ans. Le génie des lieux ravive aussitôt les sortilèges d’un monde qui continue de vivre, fidèle aux mythes, aux rites, loin des atteintes d’une modernité ravageuse. » Eu égard à cette citation que l’on pourrait prêter à Bernanos, diriez-vous avec ce dernier que « la modernité est un complot contre l’homme intérieur » ? Sinon, quel regard portez-vous sur cette dernière ?

Je ne suis ni crispé ni replié. J’accepte l’évolution, les temps qui changent. Reste que de nombreux prétendus progrès portent atteinte à la beauté, à la mémoire, au sens du rite, des rites. La dimension de la transmission me semble violemment menacée par la société techniciste de management désincarné. Loin de la continuité, des traditions, des émotions, c’est la figure même de l’homme qui est en danger. Ce monde, je le regarde avec une distance désolée, car je ne m’y reconnais pas. J’avoue m’y sentir de plus en plus étranger.

L’espace littéraire vous en préserve…

Certes, mais je constate avec regret une certaine perte du goût de la phrase, du rythme, de l’esthétisme. Bien sûr, il y a des excès inverses ; mais la recherche métaphorique demeure pour moi essentielle. Il ne s’agit pas de conservatisme, seulement le sentiment que les manières de traduire le réel chavirent.

À mon sens, le lieu de la littérature est le même que celui de la mémoire vivante et de la foi : c’est le domaine de la présence. Présence, communion, grâce – autant d’états que me procurent adhésion intérieure et beauté de la liturgie dans ce vaste vaisseau posé au cœur de Paris qu’est l’église Saint-Eustache.

Propos recueillis par Nicolas Roberti

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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