Mon art – l’art de lier au fumet du mot juste
les sucs de l’inaudible.
Petits traités d’aphasie lyrique, p. 48

L’arbre était là… J’avais bien quelques certitudes quant à son nom. Mais que sont les noms ? Quel savoir se dissimule derrière leur attribution ? Puis on n’en change pas comme de chemise ! Et en changerait-on que la mue ivoire n’arrêterait en rien les reptations de nos identités lacunaires.
Je m’égare. L’arbre était donc là…
Que d’aises offertes à tout vent ! Il y a quelque chose en lui du clavecin, une palpitation, un égrènement orangé. Son nom est répertorié, abîmé – une banquette élimée de l’Orient-Express. Son nom est roide, militaire, poussiéreux.
Sur d’autres continents son fruit est noir, insipide ou presque ; immergé pendant vingt ans dans un bocal, il en sort des pandémies qui, en d’autres temps, faisaient la joie des enfants.
Celui-ci ne portait aucun fruit.
Je suis certain qu’il est célébré sur les contreforts aristocratiques de l’Himalaya. Qu’il est un adjuvant universel, qu’il adoucit les thés nicotineux dans des verres tulipe et que la main d’Hermès a tremblé comme jamais devant l’occasion du forfait.
Son nom, chez nous, le kaki (…)

                   Petits traités d’aphasie lyrique, pp. 74-75

Yves Bonnefoy écrit dans sa préface à Nugae : « Il y a chez Philippe Denis de livre en livre quelque chose comme un journal du regard errant par le monde, lui-même parlant volontiers de cahiers, de notes pour qualifier ses écrits. » Les Petits traités d’aphasie lyrique n’échappent pas à la règle. S’y mêlent notations, haï-ku, traductions, poèmes plus amples (en prose) célébrant le pays où il vit. Il s’agit toujours de rendre compte d’un enseignement : celui que prodigue chaque jour l’attention aux choses du monde ou, lorsqu’il s’agit de langage, à une langue encore perçue comme étrangère.
« Apprends-moi à parler pierre », écrivait le poète allemand Johannes Bobrowski. « Nous nous entichons d’un galet qui exalte nos dons d’aphasie lyrique », dit à son tour Philippe Denis.
La poésie naît quand la phrase se porte au-delà d’elle-même, au-delà des mots, rejoint le monde muet : « La langue : la toiture. Écrire pour soulever la toiture. » La langue lui rendrait-elle aussi ce sentiment de picotement que l’enfant éprouvait en posant la sienne sur les pôles opposés d’une pile électrique ? Une belle image de ce que peut être le langage revivifié par l’art du poète.

Les picotements que me procuraient
les languettes de cuivre
des piles usagées
c’est eux
page après page
que je cherche à retrouver
au contact d’un verbe
qui,
à lui seul,
peut court-circuiter
la différence des opposés.

Petits traités d’aphasie lyrique, « alla breve », 7, Le Bruit du Temps, 2011

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