Philippe Claudel a publié chez l’éditeur bordelais Finitude De quelques amoureux des livres… On connaissait Le Rapport de Brodeck, on le voit maintenant rapporter en quelques pages les oubliés de la littérature. Par ce court récit, il en questionne en amont les limites, les obstacles et finalement l’essence véritable.

 

Philippe Claudel finitudeDe quelques amoureux des livres que la littérature fascinait, qui aspiraient à devenir écrivain mais en furent empêchés par diverses raisons qui tenaient aux circonstances, au siècle de leur naissance, à leur caractère, faiblesse, orgueil, lâcheté, mollesse, bravoure, ou bien encore au hasard qui de la vie fait son jouet et entre les mains duquel nous ne sommes jamais que de menues créatures, vulnérables et chagrines. À défaut de remporter le Nobel ou le Goncourt, Philippe Claudel remportera-t-il le record du plus long titre du monde ? Le ton de son récit est posé : drolatique et volontairement anecdotique. Le titre épouse la folie qui anima ces amants tristes de la littérature.

Les éditions Finitude nous ont habitués à de bonnes publications. Pensons à Neal Cassady et ce livre au titre splendide, Un truc très beau qui contient tout, ou encore Olivier Bourdeaut pour En attendant Bojangles. Cette belle édition aux lettres gaufrées semble confirmer la règle. Le récit de Philippe Claudel se lit comme une courte anthologie souterraine. Chaque page donne lieu, ou plutôt se fait le lieu, maintenant retrouvé, de ces écri-vains que Enrique Vila-Matas appelait les Bartleby.

Celui qui avait choisi une mauvaise épouse pour sa vocation. Celui que les hétéronymes perdirent au point de lui faire oublier sa propre identité. Celui qui n’écrivait que les titres des romans qu’il imaginait. Les cas, imaginaires ou réels, sont innombrables. Enrique Vila-Matas, dans Bartleby et compagnie, avait déjà parlé de ces « écrivains négatifs » :

Cela fait longtemps que je quadrille le large spectre du syndrome de Bartleby en littérature, longtemps que j’étudie cette maladie, ce mal endémique des lettres contemporaines, cette pulsion négative ou cette attirance vers le néant, qui fait que certains créateurs en dépit (ou peut-être précisément à cause)d’un haut niveau d’exigence littéraire, ne parviennent jamais à écrire ; ou bien écrivent un ou deux livres avant de renoncer à l’écriture ; ou encore, après avoir mis sans difficulté une œuvre en chantier, se trouvent un jour littéralement paralysés à jamais.

Philippe Claudel finitude

Les deux récits ont en commun leur fantaisie mais aussi leur manière, relativement inédite, de considérer le phénomène littéraire. L’envisager par l’échec revient à prendre la pleine mesure de ce qu’il est, mais surtout de ce qu’il ne peut être. On y apprend d’une part que l’écriture littéraire demeure presque toujours une obsession ; que, dans son principe, elle échoue dans l’idée de transcription ; ou encore, qu’elle est décidément irréductible à la vie. On croise des fous littéraires, des faussaires démasqués, de maudits poètes, de pauvres plagiaires par anticipation. Par moments, le tragique perce sous la drôlerie malheureuse des situations. La littérature existe aussi dans sa disparition, elle sert l’homme dans sa volonté de survivre à l’impensable, elle s’adonne à l’imagination sans se donner forcément à la page. Une bonne histoire ne sert-elle pas aussi à s’endormir ? Par la négative, comme les visages qui se profilent lors d’une gravure en creux, l’autre littéraire surgit, pareil à un spectre, un frère ennemi. Et puis, retombe dans l’oubli. L’alter ego de la littérature, c’est peut-être le silence.

& cet autre, Norbert Artiguette, rentier monégasque, qui inonda un bon nombre de maisons d’édition anglaise, américaine, japonaise, allemande, estonienne, espagnole, finlandaise, croate et thaïlandaise des exemplaires de son manuscrit, Le Fil du rasoir – constamment refusé – ce qui lui permettait tout de même dans les dîners en ville d’affirmer – et il ne mentait pas complètement – qu’il avait des lecteurs dans près d’une dizaine de pays.

& cet autre homme incarcéré durablement par un régime autoritaire et qu’on priva de tout loisir, dont la cellule était aussi nue que lui l’avait été au premier jour de sa vie et qui, pour passer le temps qui ne passait pas, s’inventa pour lui seul des romans de tous genres et de tous styles, qu’il écrivait mentalement et avec patience, pour les ranger ensuite dans son cerveau qu’il avait remodelé comme une bibliothèque et qui contenait, au moment de sa mort, mais ses geôliers n’en surent rien, six cent quarante trois ouvrages.

Site des éditions Finitude

De quelques amoureux des livres… Philippe Claudel, éditions Finitude, décembre 2015, 120 pages, 13,50 €.

lire un extrait ici

Bartleby et compagnie, Enrique Vila-Matas, Christian Bourgeois éditeur, 2009, 224 pages, 6 €.

 

De Philippe Claudel également : l’arbre du pays Toraja

 

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