Il y a mieux qu’un cabinet de psychanalyste pour comprendre la psyché humaine : un couloir dans un train de nuit et une dizaine de personnages réunis par hasard. Philippe Besson poursuit avec talent son observation de nos vies. Remarquable.

Philippe besson

C’est un compagnon de route. De vie. Depuis exactement vingt ans, Philippe Besson nous offre au début de chaque année un roman, calibré, peu épais, mais si important. Amour, temps qui passe, homosexualité, intimité, autant de thèmes qui traversent en permanence son oeuvre.

GARE DE BRIANCON

Aussi quand la quatrième de couverture de Paris-Briançon nous annonce un roman au « suspense redoutable » qui se passe à bord d’un train de nuit N°5789 entre Paris et Briançon, on se dit que l’écrivain se lance à son tour dans un nouveau genre pour lui, le polar, et qu’il place sa plume dans le sillage d’Agatha Christie et son Crime de l’Orient Express. De plus, on nous annonce dès la deuxième page, que « certains seront morts au lever du jour ». On se trompe totalement.

Philippe besson

Certes comme dans un livre de la romancière britannique le lecteur s’installe dans un huis clos, un couloir, dix compartiments et dans ces cases que le hasard a distribuées il observe, comme un veilleur de nuit, une dizaine de personnages pour lesquels le voyage va être un moment de découvertes réciproques. Le train de nuit « c’est un cocon, c’est l’ancien monde, et on peut faire des rencontres ».

Victor, hockeyeur, va rencontrer Alexis, médecin. Catherine et Jean-Louis, retraités vont dormir à côté d’une bande de jeunes, Julia, mère de deux enfants, va se confier à Serge, représentant. C’est la nuit dans un univers fermé et on sait que l’on a peu de chances de se revoir une fois arrivés en gare. Alors on se confie et on brise les a priori, la surface des choses, car derrière les apparences « il y a presque toujours des êtres cabossés ».

Tunnel Train
Crédit Photo Unsplash / Florian Olivo

Ainsi Serge « veut parler des discours qu’on tient et des secrets qu’on dissimule. Il veut dire qu’ils sont des gens simples, des gens ordinaires, mais que ça ne les empêche pas, de temps en temps, d’avoir du mal avec la vie ». Sur le roulis continu des rails, dans l’obscurité des régions traversées, ignorantes de la vie des hommes, les préoccupations de chacun des personnages vont briser le silence et se dire à voix haute. Elles sont lourdes souvent à porter ces souffrances, cancer, sexualité refoulée, violence, licenciement, et n’échappent pas à notre époque. Alors l’étranger devient confident, amant, ami et dans cet espace hors du temps chacun se révèle aux autres, mais aussi à soi-même.

gare de nuit
Crédit Photo : Unsplash / Amol Tyagi

Aucun doute, Philippe Besson n’est donc pas devenu auteur de polar. Il a repris son scalpel de chirurgien des âmes, fouillant dans les apparences banales de nos vies, les petites ou grandes fractures, le hasard ou la destinée, les affrontements ou les contournements qui font que chaque vie ressemble à une autre et, en même temps, si différente. L’écrivain nous parle et sa petite musique, écrite avec des notes simples, nous touche. Et puis quand il veut appuyer sur un fait, nous inviter à prendre de la hauteur pour observer ou souligner comme une voix « off » une situation, il met ses parenthèses, pour quelques mots ou un paragraphe entier de plusieurs lignes.

Comme une invite à la relecture. Comme une manière d’attirer votre attention, de vous guider, de vous prendre par la main. Finalement il faut bien dire un mot du suspense annoncé, alors on ajoute un personnage. Il s’appelle Giovanni Messina, mais vous n’avez pas besoin d’en savoir plus. Il est là, placé par le hasard, le destin, ou un Dieu quelconque. Il va modifier la vie d’hommes et de femmes. C’est beaucoup.

« Quelquefois la tristesse ça nous rattrape, d’ailleurs souvent ça nous rattrape quand juste avant on a été joyeux, comme s’il y avait un prix à payer »: joie et tristesse se conjuguent dans ce roman dans lequel une nouvelle fois Philippe Besson fait de l’ordinaire de nos vies des histoires uniques et multiples où chacun puisera des ressemblances, des différences.

Paris-Briançon de Philippe Besson. Éditions Julliard. 204 pages. Parution 6 janvier 2022.

Page Facebook de Philippe Besson.

Philippe Besson Dîner à Montréal
Crédit photo : ©Maxime Reychman
Philippe besson

Auteur de premier plan, Philippe Besson a publié aux éditions Julliard une vingtaine de romans, dont En l’absence des hommes, prix Emmanuel-Roblès, Son frère, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, L’Arrière-saison, La Maison atlantique, Un personnage de roman, Arrête avec tes mensonges, prix Maison de la Presse, en cours d’adaptation au cinéma, et Le Dernier Enfant.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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