Phantom Thread est un film visuellement sublime de bout en bout. Paul Thomas Anderson, l’un des cinéastes américains actuels les plus brillants interroge les rapports de force qui président à l’harmonie du couple.

Dans les premiers plans de There Will Be Blood, Paul Thomas Anderson filmait dans une vertigineuse contre-plongée un homme remontant péniblement d’un puits où il recherche du pétrole, suggérant ainsi symboliquement une des thématiques centrales de son film : l’ascension individuelle. Au début de Phantom Thread, par un effet de rappel, la caméra s’élève pour filmer – toujours en contre-plongée – des jeunes femmes montant les escaliers de l’atelier de Reynolds Woodcock, espérant être retenues pour collaborer avec ce couturier renommé. Même élévation, mais autre point de vue : cette fois, nous sommes déjà en haut de l’échelle.

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D’emblée, Phantom Thread apparaît donc comme une sorte de miroir de There Will Be Blood. Car si ce dernier film racontait la déshumanisation progressive d’un homme prêt à tout pour réussir, la nouvelle œuvre de « P.T.A. » s’attache à un être qui a déjà réussi, et qui semble avoir sacrifié tous ses rapports humains à son désir maniaque de perfection. Froid, direct et souvent désagréable, il n’est pas sans rappeler – toutes proportions gardées – le Daniel Plainview de la fin de There Will Be Blood.

Aussi s’agira-t-il cette fois de conter la ré-humanisation, ou du moins la réincarnation (au sens propre d’un retour à la chair) d’un homme au contact de l’amour et, en particulier, d’une femme : Alma, qui, comme le suggère l’étymologie de son nom, occupe pour Woodcock le rôle d’une mère nourricière de substitution.

Contre toute attente, Phantom Thread évite à tout prix le mélodrame. Anderson ne cherche pas à bouleverser son spectateur, mais à ménager un espace entre lui et les personnages, par une superbe mise en scène d’un classicisme achevé, nous invitant ainsi à exercer un regard distant sur le comportement des personnages. Sans tomber dans le psychologisme ou le jugement facile des personnages, il refuse les extrêmes : il n’y aura ni déchirement absolu, ni parfaite félicité. Tout se tient dans un délicat entre-deux, fait de rapports de pouvoir et de jeux d’inversion qui aboutissent à un équilibre tout en tensions, qui apparaît ici comme le propre de l’amour véritable ; car si Woodcock commence par faire d’Alma sa créature, une nouvelle muse parmi d’autres dont il méprise les goûts, la jeune fille ne se laisse pas dompter, et sait prendre à son tour le pouvoir en sein du couple.

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Moins qu’un film sur la création (l’analogie entre l’art du cinéaste et l’art du couturier semble évidente, mais n’est en fait pas véritablement approfondie), Phantom Thread est donc un film sur un créateur. Il n’est peut-être pas anodin que les initiales du titre soient aussi celles de « Paul Thomas », comme si ce dernier, aujourd’hui à l’apogée de sa carrière, nous suggérait qu’il s’agit aussi pour lui de jeter un regard sur l’homme qu’il est devenu au contact du succès. Mais le film dépasse ces déterminations locales, le choix de la figure d’un artiste permettant de proposer une réflexion plus large sur le couple comme possible échappatoire à l’égoïsme.

Pour Reynolds, cet amour signifie avant tout un retour du risque et de l’incertitude dans son existence : Alma est le foyer de pulsions de vie, mais aussi de pulsions de mort, toutes symbolisées par la nourriture. C’est dans cette négativité même que réside la force de leur relation, qui n’est pas le confort d’une habitude, mais la perpétuelle mise en danger des certitudes de chacun, qui rend ainsi possible la préservation respectueuse, quoique fragile, d’une altérité infranchissable. Car au terme des différentes luttes d’ego qui jalonnent le film, Reynolds et Alma ne découvrent pas autre chose que la singularité de l’être aimé, qu’ils ne pourront rendre entièrement conforme à leurs désirs respectifs.

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La subtilité psychologique du film Phantom Thread est superbement servie par trois acteurs éblouissants : face à un immense Daniel Day-Lewis toujours aussi impressionnant de justesse, Vicky Krieps est loin de démériter. La jeune actrice luxembourgeoise, pourtant confrontée à un des monstres sacrés du cinéma contemporain, a le courage de son personnage : entre pudeur et détermination, elle incarne à elle seule le sens du risque qui est au cœur de sa relation avec le couturier. Leslie Manville, qui campe avec une grande finesse la sœur du couturier, occupe un rôle de médiatrice entre les deux amants, ce qui permet à Anderson de suggérer que l’équilibre du couple n’est pas nécessairement binaire.

La superbe partition de Jonny Greenwood, associée à quelques pièces du répertoire classique (Fauré, Schubert et Debussy entre autres), apporte quant à elle une sorte de supplément d’âme à la mise en scène. Onde d’émotion sous un vernis plastique impeccable, elle est à l’image du fil fantôme qui donne son titre au film : elle incarne cette harmonie mystérieuse qui, envers et contre tout, relie des êtres que tout semble opposer.

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Titre original et français : Phantom Thread
Titre québécois : Le Fil caché
Réalisation et scénario : Paul Thomas Anderson
Direction artistique: Mark Tildesley
Décors : Véronique Melery
Costumes : Mark Bridges
Photographie : Paul Thomas Anderson
Montage : Dylan Tichenor
Musique : Jonny Greenwood
Production : Paul Thomas Anderson, Megan Ellison et JoAnne Sellar
Sociétés de production : Annapurna Pictures et Ghoulardi Film Company
Sociétés de distribution : Focus Features et Universal Pictures, Universal Pictures International France (France)
Budget : 35 millions de dollars
Pays d’origine : Drapeau des États-Unis États-Unis / Drapeau : Royaume-Uni Royaume-Uni
Langue : anglais
Format : couleur
Genre : drame
Durée : 116 minutes
Dates de sortie :
États-Unis : 24 novembre 2017 (sortie limitée) ; 25 décembre 2017 (sortie nationale)
Royaume-Uni : 2 février 2018
France : 14 février 2018

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Valentin Denis
Normalien (ULM) et étudiant en philosophie, Valentin Denis est notamment passionné par le 7e art et la musique.

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