Les romans de Yôko Ogawa s’inscrivent souvent dans des lieux clos qui enferment les corps et les esprits. Son oeuvre s’appuie sur la volonté de garder une trace du passé. D’une écriture blanche, l’auteure compose le monde intérieur de ses personnages avec beaucoup de délicatesse et de tendresse. Petites boites, son vingt-sixième roman traduit en français n’échappe pas à cette règle.

Depuis qu’elle vit dans cette ancienne école maternelle, le corps de la narratrice s’adapte au mobilier de petite taille. Seule dans ce bâtiment déserté de toute vie enfantine, elle veille particulièrement sur la salle de l’auditorium où des boites en verre sont dédiées aux enfants morts. Régulièrement, des parents viennent y déposer des présents, simulant ainsi la continuité de leur vie. La narratrice se fait alors discrète, agrémentant leurs visites de l’odeur d’une bougie parfumée.

Autrefois, ces boîtes contenaient des trésors archéologiques dans le musée d’histoire locale, aujourd’hui désaffecté. Dans ce monde flottant, rien n’est dit sur la destruction de la maternité, le déplacement de la bibliothèque ou la fin du musée. Nous ne saurons pas non plus, même si nous pouvons nous en douter, pourquoi les enfants sont morts. L’auteure ne laisse effleurer que poésie, douceur et sourire dans ce deuil partagé par toute une communauté.

petites boites yoko ogawa
© Chad Greiter (Unsplash : https://unsplash.com/@cgreiter)

Ce roman a l’allure d’un conte et les personnages sont des trésors de bizarrerie et de sensibilité. Monsieur Baryton, ancien conservateur du musée, ne s’exprime qu’en chantant. Chaque jour, il amène à la narratrice des lettres à traduire de sa bien-aimée, cloîtrée dans une maison de repos. Lui ne peut lire ces caractères de plus en plus petits qui couvrent les pages en long, en large et en diagonale.

« Vous connaissez les petites choses mieux que personne. Ici, autrefois, c’était le paradis des enfants. Ils sont le symbole de ce qui est petit. Vous en êtes la gardienne. »

Mais il y a aussi la cousine qui ne lit que des auteurs morts, la patronne de la blanchisserie qui vient faire de la gymnastique sur l’aire de jeux de l’école maternelle, la coiffeuse ou le dentiste qui façonnent de minuscules instruments de musique avec des os, des fragments d’ongle et des cheveux d’enfants. Chacun s’affaire à trouver des instants de bonheur pour contrer le deuil et l’abandon.

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© Prateek Katyal

Le plus bel instant de communion est sans doute « le concert de soi à soi ». Les parents arborent sur leurs lobes d’oreilles de minuscules instruments de musique qu’un souffle de vent fait tinter uniquement dans l’oreille de son propriétaire. Ainsi les musiciens retrouvaient la voix des enfants morts sur la colline.

Malgré la mort qui accompagne les personnages, ce roman n’est ni triste ni nostalgique. Car l’auteur sait capter la beauté des moments, la délicatesse de ses personnages. De cet univers poétique et fantastique, il faut entendre murmurer la fragilité de la vie, la sérénité de la nature, le réconfort de la communauté. Les enfants morts continuent à grandir dans leur boite en verre au sein de leur école. Il faut tendre l’oreille pour saisir leur musique.

La traductrice, Sophie Refle, fait un travail remarquable afin de transmettre au lecteur la sensibilité, la puissance de l’écriture blanche de Yôko Ogawa.

Petites boîtes de Yôko Ogawa, chez Actes Sud, traduit du japonais par Sophie Refle, 208 pages, Prix : 21 euros, ISBN : 9782330161293. Parution : 2 février 2022.

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Yoko Ogawa

Née en 1962, Yôko Ogawa vit au Japon. Elle est incontestablement l’un des plus grands écrivains de sa génération. Ses livres, traduits dans le monde entier, ont fait l’objet de plusieurs adaptations cinématographiques et théâtrales. L’œuvre de Yôko Ogawa est publiée en France par Actes Sud.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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