« Ce qu’on devrait appeler miracle, c’est que l’homme arrive à comprendre un fait inexpliqué ». Ces mots de Dragan Brkic, si justes, nous plongent dans la Yougoslavie d’avant la guerre. La Yougoslavie fantasmée, celle qui a donné naissance, sans que l’on ne parvienne jamais à comprendre pourquoi, à l’une des pires boucheries du XXe siècle.

L’auteur part à la recherche de cette raison qui pourrait expliquer l’horreur et sur laquelle personne n’a pu encore mettre le doigt. Pourquoi la vie, d’un seul coup, se trouve déchiquetée ?

Le petit noir des balkans, brkicL’auteur fonce, avec la volonté de tout dire, celle d’être bien compris. Expliquer comme il faut « les rudiments de ce micmac « yougo ». Il faut déconstruire ces incompréhensions nouées au fil des pages de nos quotidiens, de nos mensuels et magazines, qui nous détruisent ou nous laissent muet de stupeur.

Un fil directeur tout au long de l’ouvrage : le café. Le petit noir des Balkans. Les personnages émergent des vapeurs de café. Autant de tasses comme autant de portraits : un vieux traducteur malade, la mère déracinée et perdue, le père… Peut-être nous aideront-ils à comprendre ?

Non. Ils laissent s’étioler le peu de vie qu’il leur reste, le peu de temps d’humanité encore disponible, pas encore gâchée et piétinée. Cet abandon serait presque comique si nous n’en connaissions l’issue tragique. Que peut-on faire encore puisque le destin est scellé ? Partager un dernier café. Et parler. Les mots qui ne servent à rien. Les laisser s’envoler, tout là-haut, là où quelqu’un comprend peut-être quelque chose. Mais on en doute : les mots sont si légers, une brise à dû les disperser avant qu’ils n’atteignent leur destinataire. Ils sont si légers qu’on est bien obligé de constater qu’il n’y a plus rien à faire dans ce monde où on aspire à un néant reposant.

« Devant nos tasses à café, la vie, sa dureté, sa beauté, c’était l’évidence même ! Il ne nous restait plus qu’à regarder et patienter, en songeant au moment où, à un endroit de cet espace-temps, nous nous retrouverions pour boire une tasse de café, en nous humectant le gosier de l’arôme de l’éternité – et que ce moment, ce morceau de temps, ça ne soit pas autre chose que ce fameux “rien” ».

Jusqu’à la fin. Avant ? On attend. Que le ciel s’effondre, que la terre tremble, que les voisins avec qui on s’entendait pourtant si bien ne brandissent leurs armes pour nous trouer la peau.

De quoi s’agit-il au fond dans ce livre ? Mener une réflexion ? Faire un état des lieux ? Plutôt établir le constat d’un pays qui se décompose. La description de cet état aujourd’hui disparu, si mal connu, qui a été le théâtre d’un des moments les plus durs de notre histoire. Où a-t-on planté la graine et quand ? Qui ? Qui est ce jardinier mal intentionné ? Dragan Brkic nous offre enfin l’identité du tueur : l’ennui. La « démission générale ». Voilà qui devrait nous pousser tous à réfléchir, avant que les tasses ne soient à nouveau brisées, que le café ait un goût amer et que la folie se déverse sur terre.

Le petit noir des Balkans, Dragan Brkic, 2004, 13€. Editions Publibook

 

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