En 1975, un professeur d’université australien, Peter Singer, actuellement professeur de bioéthique à l’Université de Princeton (USA), publiait un livre intitulé La Libération animale. Le succès fut immédiat, et ne cesse depuis plus de 40 ans, porté par les mouvements associatifs, les réseaux sociaux et les nombreux ouvrages consacrés à la maltraitance animale, dont le populaire Eating animals (2009) traduit en français sous le titre Faut-il manger les animaux ? (2011) du romancier américain Jonathan Safran Foer. La clarté d’expression du texte de Peter Singer, éloigné d’un vocabulaire philosophique abscons, a aidé aussi grandement à sa large diffusion mondiale.

La libération animale

Peter Singer a eu des inspirateurs, en particulier Jeremy Bentham, penseur anglais du XVIIIe siècle, fondateur du mouvement utilitariste, philosophe de la liberté individuelle et de l’égalité sociale. Jeremy Bentham s’est intéressé dès 1789 aux animaux et à leur statut en posant ainsi le problème : « La question n’est pas : Peuvent-ils raisonner ? Peuvent-ils parler ? Mais peuvent-ils souffrir ? ». Jean-Jacques Rousseau, lui aussi, désignait aussi bien l’animal que l’homme comme « être sensible, qualité qui, étant commune à la bête et à l’homme, doit au moins donner à l’une le droit de n’être point maltraitée inutilement par l’autre » (in: Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes).

« Chacun compte pour un et nul ne compte pour plus d’un » affirme Bentham dans son principe d’utilité. Et Peter Singer de préciser : « Si le fait pour un humain de posséder un degré d’intelligence plus élevé qu’un autre ne justifie pas qu’il se serve de cet autre comme moyen pour ses fins, comment cela pourrait-il justifier qu’un humain exploite des êtres non-humains ? » (in: L’égalité animale expliquée aux humain.es).

Jeremy Bentham
Jeremy Bentham est un philosophe anglais né en 1748 et décédé en 1832.

D’où le refus, étendu aux animaux, de toute forme d’asservissement et de souffrance, comme le sont les combats contre le racisme ou le sexisme, selon Peter Singer. Dans « L’égalité animale… », Singer poursuit: « Les racistes violent le principe d’égalité en accordant plus de poids aux intérêts des membres de leur propre race, quand ces intérêts sont en conflit avec ceux des membres d’une autre race. De même les « spécistes » [ceux qui distinguent et ostracisent selon l’espèce] permettent aux intérêts des membres de leur propre espèce de l’emporter face à des intérêts supérieurs des membres d’autres espèces […]. Je soutiens qu’il ne peut y avoir aucune raison, hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur, de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces ».

Fidèle à Bentham, Peter Singer estime que c’est la douleur de l’animal, avant tout, qui doit nous préoccuper. Les philosophes utilitaristes soutiennent, en effet, que la maximisation du bien-être de tous passe par celui de tout être sensible, et qu’il faut, en toute logique, respecter aussi la vie des animaux non humains, quel que soit leur niveau d’intelligence et de conscience.
Pour illustrer son propos théorique, Singer fait, dans La Libération animale, de longues et glaçantes descriptions des pratiques dans les laboratoires de recherche agro-alimentaire, dans les « fermes-usines » d’élevage industriel ou les abattoirs dont les aléatoires techniques d’abattage peuvent tourner au carnage.

Dans le prolongement de sa pensée, Peter Singer aborde aussi les régimes alimentaires et le végétarisme dont il est devenu un adepte : « Il n’est pas possible dans la pratique d’élever les animaux pour la consommation sur une grande échelle sans leur infliger une quantité considérable de souffrance […]. Devenir végétarien n’est pas seulement un geste symbolique, c’est un geste hautement pratique et efficace que l’on peut faire pour contribuer à mettre fin tant à la mort qu’à la souffrance que l’on inflige aux animaux non humains ».

Peter Singer
Peter Singer

Dans La Libération animale, Peter Singer s’attache aussi à faire un historique de l’évolution du sort de l’animal, depuis les textes bibliques jusqu’à nos jours. Et nous rappelle, en fin d’ouvrage, les principes d’égalité et d’humanité essentiels, selon lui, à la survie de toutes les espèces, et de la Terre en général : « Les humains ont le pouvoir de continuer à opprimer les autres espèces soit indéfiniment, soit jusqu’au jour où nous aurons rendu cette planète inhabitable pour les êtres vivants. Ou au contraire nous élèverons-nous à la hauteur du défi et prouverons-nous notre capacité à l’altruisme authentique en mettant fin à notre impitoyable exploitation des espèces en notre pouvoir parce que nous aurons admis que notre position est indéfendable ? »

Beau et passionnant texte, d’une permanente actualité tant la maltraitance animale reste un problème récurrent.

 

► La libération animale (Animal Liberation, 1975) de Peter Singer, trad. par Louise Rousselle, préf. par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Payot, coll. Petite Bibliothèque, 2012, ISBN 978-2-228-90814-6, prix : 10.65 euros.

► À lire aussi : Les actes d’un colloque organisé par l’université de Rennes 2 en 2015 en présence de Peter Singer : Peter Singer et la libération animale quarante ans plus tard par Emilie Dardenne, Presses universitaires de Rennes, coll. Essais, 2017, ISBN 978-2-7535-5255-5, prix : 18 euros.

► À noter: l’Université de Rennes 2 a ouvert en 2019 un DU intitulé « Animaux et société »

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