« J’aime tout ce qui s’écrit sur le silence.
L’immobilité. L’écriture est alors l’imperceptible mouvement,
l’à-peine audible respiration d’un infini,
un instant attentif à l’homme. »
(Suite bigoudène effilochée, 1982)

Il y a 20 ans mourrait d’un cancer à l’âge de 62 ans Paul Quéré, peintre et poète. Son nom ne dira sans doute pas grand-chose à nombre de lecteurs, car secret et discret, il n’a jamais voulu paraître ni intriguer pour se faire connaître ou publier ses ouvrages. Refusant toute concession, il a édité le plus souvent lui-même, en toute indépendance, ses recueils et les revues qu’il a créées. La poésie n’a jamais été pour lui synonyme de mondanité, mais l’acte de vivre son rapport au monde. Il a peu exposé de son vivant. Les principales expositions de ses œuvres, dont une admirable rétrospective en 2000 au château de Pont-l’Abbé, ont été posthumes. Pourtant, Paul Quéré a marqué ceux qui ont approché sa poésie et sa peinture, vécues par lui comme une recherche spirituelle permanente.

Le celtaoïsme dévoilé en Bretagne

Paul Quéré
Paul Quéré

Paul Quéré est né en 1931 à Reims, dans une famille modeste d’origine bretonne. Son père, ouvrier agricole à Tréogat, devint cheminot en 1929. La famille dut alors s’exiler à Reims. Durant son enfance, la Bretagne demeura toujours présente, Paul et son frère passant leurs vacances chez leur grand-père à Plonéour-Lanvern. Après 27 ans passés dans le sud, Paul et sa compagne Ariane ont installé leur atelier de poterie en 1979, avec leurs deux filles,  en Bretagne, dans la baie d’Audierne, lieu des origines et des attaches familiales, mais aussi lieu choisi, élu.

Paul savait que quelque chose d’essentiel l’y attendait. Il espérait qu’un grand mouvement de fond, à la suite de Yves Elléouet, Georges Perros, Youenn Gwernig, était en train de s’opérer. S’il fut déçu par la suite des évènements et en garda un désenchantement et une déchirure, si le grand élan espéré vers une matière de Bretagne moderne et universelle n’eut pas lieu, il n’en reste pas moins que Paul y trouva l’énergie et la substance poétique qu’il attendait dans la confrontation avec le réel et le paysage, réduit à l’essentiel, à sa nudité géologique et aux éléments. C’est là, de son cosmodrome entre terre et mer, que se dévoila à lui l’idée d’un celtaoïsme qu’il partagea avec Kenneth White, son frère de lait, avec qui il correspondit. C’est là, loin de l’agitation du monde factice, que sa démarche poétique se fonda sur l’intuition que tout est relié dans l’univers. C’est là que sa trajectoire rencontra les lieux « que les arbres éclaboussent / d’une mémoire endormie » et qu’il devint le poêtre d’une écriture de la terre, d’une géo-graphie où l’esprit du tao s’est uni à la matière celtique.

La baie d’Audierne, à la frontière tumultueuse des terres et de l’océan, irrigue sa poésie, inquiète et lucide, portée par la terre, le silence, la mémoire, les lieux et la force de se penser, de se regarder. Paul Quéré fait partie de ces rares poètes qui accueillent en eux le monde réel, la présence de l’univers.  Il a fait de ces frontières fluides et fluctuantes qui dialoguent avec les mythes un lieu universel à la fois réel et imaginaire où il ancre ses interrogations, partagé entre les doutes qui mobilisent et les certitudes qui apaisent, « épaule contre épaule avec/ le rugissant Nord-Ouest ». « Il  fait avec le vent une parole tactile », a écrit Guy Darol à propos de son recueil posthume Bodérès d’Octobre.

Paul Quéré savait voir le monde à la fois avec ses sens et son intelligence, dans les emmêlements de ce qui est vivant. Il était en quelque sorte un mystique de la matière.

Paul Quéré était un lecteur assidu et curieux de tous les domaines de la connaissance. Sa bibliothèque, qui vient d’être distribuée à ses amis par Ariane sa compagne et leurs deux filles, témoignait de ses lectures variées. Mais il se tenait volontairement à l’écart de toute théorisation excessive : « La connaissance pour la connaissance est peut-être quelque chose de dangereusement psychotique » (entretien avec Jacky Essirard, Quimper est Poésie, 1993).

Il s’abandonnait au lâcher-prise : « Le poème ou le tableau qui n’échappe pas à son auteur est à tous les coups raté. » (entretien avec Jacky Essirard). Il se sentait proche de l’urgence du cri d’Artaud.

Dans le celtatoïsme, il englobait l’incertitude et le doute fondamental, l’attente et le questionnement permanent, le vide et le souffle, le dévoilement et la disparition. C’est pourquoi à  la lecture de Paul Quéré, une étrange alchimie s’opère. On se sent immédiatement proche d’un itinéraire de vie et de savoir, suspendu aux règnes minéral, végétal et organique. On entre en symbiose avec ses mots qui « depuis la Bretagne voit l’infini » (Guy Darol). Chez Paul Quéré « les mots prennent tout leur sens ». Âpres et forts, ils demeurent après avoir refermé les pages, tel un rêve complice qui s’attarde. Ses interrogations sont des points de suspension semés sur nos propres parcours.

Poésie et peinture, une même poétique du regard

Paul Quéré : Bouteille à la mer, Huile sur toile, 73X50
Paul Quéré : Bouteille à la mer, Huile sur toile, 73X50

Paul Quéré a toujours convoqué poésie et peinture, dans une même poétique du regard. Les revues qu’il a créées répondaient à ce souci d’associer peinture et écriture. Il a illustré ses propres recueils et plusieurs ouvrages de poésie de ses amis écrivains.

Il a toujours été étranger à l’art conformiste qui a perdu tout contact avec la vie, devenu à soi-même son propre objet, sans existence intellectuelle et sensible. Il a donc peu exposé, hormis lors d’expositions collectives. Sa reconnaissance publique en a souffert. « Laissant la peinture / interroger les traces / d’un passage possible / à l’éveil »(1), il compte pourtant parmi les peintres les plus régénérants des dernières décennies du XXe siècle. Ses toiles, aux racines charnelles, viennent d’un monde rendu aux éclats nus de l’origine, qui prend pour clarté ses ténèbres.

À son arrivée à Plonéour-Lanvern, et plus précisément à Bodérès, Paul put enfin disposer d’un atelier et dès lors se consacra davantage, avec bonheur, à la peinture, autant qu’il le put jusqu’à ses derniers instants.  L’expérience de la poterie lui a d’emblée apporté la maîtrise du geste, de la forme et des couleurs, celle de la poésie a permis l’osmose entre le sensible et la conscience. Poésie et peinture ont alors mêlé leurs profondeurs, dans un dialogue fécond et vivifiant. Pour Paul Quéré, peinture et poésie ne sont pas des créations, mais « une révélation / dont il est le médiateur »(1). « Attendant des couleurs / qu’elles fassent elles-mêmes la lumière en elles »(1), il abordait « la toile comme / une conscience sollicitée »(1).

Paul Quéré : l'estran échoué, Huile sur carton, 120 X 80
Paul Quéré : l’estran échoué, Huile sur carton, 120 X 80

Par la peinture, son rapport avec la langue s’en trouva modifié. Ses néologismes, ses mots  composés procèdent de la démarche picturale. À mesure que la peinture est devenue de plus en plus présente, ses mots ont trouvé un regain de sensualité, leur mouvement s’est fait  plus fluide, abandonnant toute ponctuation et majuscule. En témoigne l’ensemble Faisceaux, où sa poésie concise interroge son acte de peindre « dans l’orage permanent de l’inconscient ». Peindre et écrire ont bien  participé du même regard, du même mouvement, de la même quête dans la démarche de Paul Quéré.

Paul Quéré le sourcier

Doté d’une intuition suraigüe et d’une exceptionnelle sensibilité, Paul Quéré était un sourcier en poésie. Il pratiquait une sorte de poétique maïeutique qui consiste à amener ses interlocuteurs, en particulier les jeunes poètes qu’il publiait dans ses revues, à trouver en eux ce qu’ils portaient sans en avoir conscience. Conscient des réminiscences dont nous sommes porteurs, il savait percevoir les frémissements, guider et encourager, sans rien imposer, parfois sans dire un mot. Son exigence propre suffisait pour se mettre au diapason.

Paul Quéré : Rose météore, Huile sur carton, 120 X 80
Paul Quéré : Rose météore, Huile sur carton, 120 X 80

Secret et discret, tourmenté, Paul portait d’invisibles écorchures. Mais, d’une grande humilité, il émanait de lui une douceur généreuse et un charme solaire. Bien que solitaire et ayant en horreur les rassemblements grégaires, il était à la recherche des démarches collectives et les provoquaient au besoin. Conscient de la dimension sonore de la poésie, avec la participation de sa compagne Ariane Mathieu il créa avec Jacques Morin un audiopériodique : Les Chronicules de l’Ouïe. Il a également animé avec passion des émissions consacrées à la poésie sur Radio Braden à Quimper. Les travaux de l’Institut International de Géopoétique de son ami Kenneth White l’intéressaient et lui semblaient répondre en partie à la poétique qu’il recherchait. Il a participé à plusieurs revues comme chroniqueur (Décharge et Foldaan). Répondant à son besoin impérieux de voies collectives, il a créé lui-même plusieurs revues, Les Texticules du hasard à Draguignan en 1970 et en Bretagne, Ecriterres en 1983 et Le nouvel Ecriterres en 1990.

Ecriterres (10 numéros entre 1983 et 1985, 44 auteurs réguliers et occasionnels), revue de petit format d’une vingtaine de pages, encourageait  à entretenir le « contact amical encourageant » entre auteurs par le « témoignage de l’écriture » en élaboration, éphémère dans ses traces vouées à disparaître et perpétuelles. « Ces signes de vie que nous nous donnons chaque saison ne sont-ils pas ceux de cet autre monde que les anciens nommaient logos ? Chacun le dévoilant à sa manière dans sa propre avancée en lui » interroge-t-il dans Le nouvel Ecriterres (n° 4, hiver 90-91).

Le nouvel Ecriterres (6 numéros entre janvier 1990 et l’été 1991, 34 auteurs) témoignait de la « communauté de vue » du peintre et du poète, de la « poétique d’un regard ». « L’idée c’est d’essayer d’aller tous plus ou moins dans le même sens. Évité si tu veux de trop personnaliser (explicitement je veux dire par la seule expression de sentiments personnels) pour créer une suite de fonds commun imaginaire. » (Lettre à Marie-Josée Christien du 3/02/1990). La revue, composée à la manière d’un livre d’artiste, se présentait sous forme de feuillets de beau papier de format A4, rangés sous une pochette comportant une œuvre de Paul. Parmi les auteurs qui y ont participé : Guillevic, Bernard Berrou, Daniel Biga, Hervé Carn, Michel Cosem, Pierre Dhainaut, Michel Dugué, Serge Pey, Vahé Godel, Jean Rousselot, Roberto San Geroteo, Jean-Claude Schneider, Michel Valprémy, Lucien Wasselin, Pierre Oster Soussouev. Le dernier numéro était consacré au peintre Jean Bazaine, dont il appréciait le double voisinage géographique et intellectuel.

Corset n°1, 53/60, Huile sur toile
Corset n°1, 53/60, Huile sur toile

 J’ai eu la chance de faire partie des quelques auteurs (avec Jean-Marie Le Sidaner, Alain Jégou, Jacques Josse, Alexis Gloaguen, Gérard Le Gouic, Dominique Quélen, François Rannou et Jean-Louis Aven) qui ont participé à la fois à Ecriterres et au nouvel Ecriterres, ses deux dernières revues, et d’être de ses amis. Grand lecteur, il avait repéré en 1983 l’un de mes textes dans la revue Folddan et après avoir demandé mon adresse à Jacques Josse, fondateur et  responsable de la revue, m’avait contactée. Paul mettait la barre très haut, repérant du premier coup d’œil les fonds de tiroir et les textes approximatifs, l’écriture laxiste. J’ai aussitôt faite mienne son exigence et j’avais à cœur de ne lui proposer que des textes que je savais aboutis. Cette aventure m’a certainement permis d’épurer mon écriture de ses scories, et en la nourrissant et en la pensant, d’éviter l’écueil du  nombrilisme où tout jeune auteur peut rapidement sombrer. Ses questionnements m’ont ouvert des horizons. C’est par son entremise que je suis ainsi devenue membre de l’Institut International de Géopoétique, fondé par Kenneth White.

Paul Quéré a aussi influencé une génération d’auteurs qui n’ont pas participé à ses revues, mais ont été ses fervents lecteurs : Louis Bertholom, Bruno Geneste, Guy Darol, Elpée, Jean-Yves Guigot, Gilbert Joncour… Il avait connu certains d’entre eux à Radio Braden ou en côtoyant la revue Quimper est Poésie.

Découvrir Paul Quéré aujourd’hui

poemes_celtaoistes_paul_querre

Au-delà d’un cercle d’amis et d’amateurs éclairés qui s’étendait malgré tout de loin en loin, Paul Quéré de son vivant n’a pas eu l’audience que son œuvre peinte et écrite mérite. Sa discrétion en fut peut-être en partie responsable. Mais c’est surtout la singularité de son œuvre, et peut-être son ampleur et son importance, qui ne permettait pas de la mettre dans les petites cases de l’édition et de l’art et de la conformer aux modes du moment.  Il va de soi que la mort prématurée de Paul a été un frein supplémentaire à sa reconnaissance.

Les ouvrages posthumes, Ana 1 (La Poèterie, 1994),  Bodérès d’octobre  (L’Authenticiste, 1994), Poèmes d’en Bretagne  (Cahiers Blanc Silex, 1997), Murs mourants  (Supplément Décharge, 1997), publiés à petits tirages, sont hélas aujourd’hui épuisés ou  indisponibles. L’association « Bodérès d’Octobre »(2), créée pour faire connaître son œuvre, a édité en 1997 Faisceaux, suite de petits poèmes courts sur la peinture, préfacée par Jean-Claude Schneider et illustrée de quelques toiles. En 2000 est paru aux éditions Apogée, un gros ouvrage, L’œuvre peint, qui reproduit toiles, gouaches, encres et dessins érotiques, accompagnés d’extraits de Faisceaux, d’un commentaire de Bernard Noël et d’un article de Jean-Claude Schneider. Seuls ces deux derniers ouvrages sont encore disponibles.

paul quéréVingt ans après sa mort prématurée, quelques initiatives bienvenues s’amorcent et s’annoncent. Une page wikipédia est enfin consacrée à Paul depuis fin 2012. Le n°18 de la revue Spered Gouez lui a  consacré son dossier « Mémoire »,  préparé par Louis Bertholom, tandis que le n°19 reproduira quelques-unes de ses toiles. Le poète Louis Bertholom lui rend aussi hommage dans Bréviaire de sel(3), son hymne à la baie d’Audierne, qui montre que l’œuvre de Paul continue à irriguer, toujours vivifiante et irradiante. La revue Décharge et Jacques Morin, qui a connu Paul Quéré à Draguignan, lui consacrent un dossier dans le n°159.  Cap Caval présentera ses liens forts avec le pays bigouden, dans son numéro de décembre 2013.  Les Editions Sauvages(3) préparent activement, avec le soutien de sa famille et de « Bodérès d’Octobre », l’édition d’un choix de poèmes celtaoïstes(4) de Paul Quéré, illustré de quelques-unes de ses toiles, pour que nous puissions à nouveau le lire et le relire, et surtout à de nouveaux lecteurs de découvrir cette œuvre de premier plan.

Marie-Josée Christien

 Notes

(1) Extrait de Faisceaux (Bodérès d’Octobre, 1997)

(2) Bodérès d’Octobre, La Poèterie, Bodérès, 29720 Plonéour-Lanvern

(3) Les Editions Sauvages : http://editionssauvages.monsite-orange.fr

(4) Paul Quéré : Poèmes celtaoïstes (choix de poèmes 1979-1993), préface de Marie-Josée Christien, postface de Bruno Geneste, à paraître début 2014 aux Editions Sauvages.

Crédits : Photos de Marie-Josée Christien (janvier 2013), reproduites avec l’aimable autorisation d’Ariane Mathieu. Portrait de Paul Quéré avec l’autorisation d’Ariane Mathieu

Marie-Josée Christien, poète et critique, fondatrice et responsable de la revue Spered Gouez / l’esprit sauvage, a fait partie des amis proches de Paul Quéré et a participé à ses deux dernières revues.  Elle collabore à la revue ArMen. Lauréate du prix Xavier-Grall pour l’ensemble de son œuvre, elle est l’auteure d’une quinzaine d’ouvrages dont Lascaux & autres sanctuaires (Jacques André Editeur), Conversation de l’arbre et du vent (Tertium), Les extraits du temps (Les Editions Sauvages), Aspects du canal (Sac à mots éditions), L’attente du chat (Les Editions Sauvages, 2012). À paraître en 2014 : Petites notes d’amertume (préface de Claire Fourier, Les Editions Sauvages).

 

Poèmes celtaoïstes (choix 1979-1993) : extraits

Meil Boulan  (extrait)

Bretagne. Ici on ne pense pas, on chante, on danse la pensée. On ne pèse pas les mots, les arguments, on les laisse s’accorder à une mélodie, une musique interne suscitée par le lieu, l’élément, pluie et vent. Le corps la joue, comme les branches de l’arbre, la voile du bateau, le conduit de la cheminée, le rocher battu de la vague. L’âme caisse de résonance ?

Nous nous en remettons à ce chant intérieur, d’ailleurs moins personnel que création commune. Secret de notre silence sauvage.

Il neige. Poésie en hibernation dans le sein chaleureux de la terre qui l’écoute, la sens, lui parle : comme la mère à l’enfant qu’elle porte.

Le silence est une œuvre au noir.

Autre temps, autres lieux, le Bouddha, Lao Tseu et le Bodhidharma, invitaient, eux aussi, à danser la pensée…

Secrète nature, muette nature, le chant intérieur n’est pas personnel. Il est bien commun, viole de Bretagne, violon bigouden !

Etre en harmonie avec l’espace vécu comme une célébration : nous nous sentons, ici, plus près d’un Orient même extrême, que d’un Occident bavard, raisonneur, ratiocineur, dont nous ne pouvons saisir les paroles tant leur flot nous submerge, nous étouffe, nous noie…

Autres pluies, autres mœurs !

Chanteur de silence, danseur de pensée…

Gavotte et jabadao

«  Nageurs morts suivrons-nous d’ahan

Ton cours vers d’autres nébuleuses… »

Ah laissons dériver les saisons fantomales vers la pierre usée de l’obscure histoire.

Ne plus tenter d’élucider les voyages de chair qui poussent sous les os des légendes !

Nous n’en pouvons plus d’être en équilibre sur la crête des nerfs…

Un amas de chairs fond dans le creuset des aubes. Terre d’asile ou d’exil, ma pensée se rétracte…

Chansonneurs, biniouseux, vent en tête debout s’agitant : danseurs de silence, chanteurs de pensée…

Moulin de Pontalan,

en breton francisé : Pont-Land

en bigouden « Meil Boulan »

Moulin du bout de la lande…

J’y entends la circulation des « blancs ruisseaux de Chanaan, ô ma sœur lumineuse, et des corps blancs des amoureuses… »

Sur la route de Pont-l’Abbé à Audierne.

Et la voie lactée nous mène là où finit la terre, au ras de Sein, y faire naufrage.

Ne fût-ce qu’à cette idée, Bretagne énuclée, Bretagne nucléable, j’abonde à ton non-sens, poésie.

Paul Quéré

Meil Boulan en Plovan, 1979/1980
La Poèterie en Plonéour-Lanvern, 1982
Publié dans Suite bigoudène effilochée(La Poèterie, 1982)

Breizh ah Tao

A moins d’un silence la route

qui

d’un soleil à l’autre

d’une poignée de pluie aux yeux

des vents à l’autre

ne cesse de diminuer

précise l’horizon

dans la bruine des promesses

d’une enfance dunaire

aux chardons à présent piétinés

par les foules de morts vivants

 

La rose de personne adapte

ses pétales aux vents

domestiqués

Au front des mers jette ses robes

désorientées

 

Robert Walzer

et sa perfection de l’échec

Georges Perros et son rêve

d’un livre publié à seule fin

de n’être jamais lu

 

Toute à l’œuvre à te perdre

sans t’être retrouvée

Ah Bretagne te voilà réinventée

 

Ah Tao te voilà réaffecté

 

Il te suffirait de peu de choses pour

désirer vraiment ce qui arrive

Mais justement ce « peu de choses »

Quel accablement

Paul Quéré
Publié dans Poèmes d’en Bretagne (Cahiers Blanc Silex, 1997)

 

Article précédentMozart au Japon, pari gagné pour l’OSB et Darell Ang
Article suivantAu Cinéma, Ma vie avec Liberace, incroyable performance d’acteurs
Marie-Josée Christien
Marie-Josée Christien est poète et critique. Elle est responsable de la revue annuelle Spered Gouez / l’esprit sauvage qu’elle a fondée en 1991. Lauréate du prix Xavier-Grall pour l’ensemble de son œuvre, traduite en allemand, bulgare, espagnol, portugais et breton, elle est présente dans une trentaine d’anthologies et d’ouvrages collectifs. Elle a publié une vingtaine d’ouvrages dont Lascaux & autres sanctuaires (Jacques André Editeur), Conversation de l’arbre et du vent (liste de référence du Ministère de l’Education Nationale en 2013, Tertium éditions), Les extraits du temps (Les Editions Sauvages), Aspects du canal (Sac à mots éditions), et en 2014 aux Editions Sauvages, Temps morts (préface de Pierre Maubé) et Petites notes d’amertume (préface de Claire Fourier).

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici