Tous les éditeurs vous le diront : un bon livre avec une mauvaise couverture revient à se tirer une balle dans le pied. À la fin des années 50, les éditions J’ai Lu se démarquèrent du classique titre noir sur fond clair, en accordant à leur production une cohérence visuelle ludique et attractive. Chaque ouvrage bénéficiait d’une illustration originale et repensée régulièrement afin d’être en permanence au goût du jour. Ce qui semble banal aujourd’hui relevait à l’époque d’une petite révolution. C’est ainsi qu’à partir de 1968, Paul Durand se vit confier les premières de couverture de J’ai Lu. Jusqu’en 1977 où il disparaît brusquement, il aura (re)dessiné plus d’un quart des 764 présentes sur le marché. 

paul durand, lasserrePaul Durand ? C’est un trait vif et rectiligne, identifiable au premier coup d’œil. Ajoutez-y une souplesse, une douceur particulière, supplément d’âme qui électrise formes et couleurs, et vous obtenez la poésie qui habite son œuvre, véritable langage pictural entre romantisme et symbolisme, un peu comme si le talent de Gaston Bussière avait rencontré celui de Bernard Buffet. Car Durand c’est une maitrise exceptionnelle du rapport chromatique (ce en quoi il se rapproche de Buffet) à travers des ruptures, des fondus et des camaïeux d’une rare élégance. Le travail accompli pour les éditions J’ai Lu est à ce titre unique et le restera longtemps, puisque la photographie a désormais remplacé le dessin. Trente-cinq ans après sa disparition, Paul Durand est devenu un illustrateur mythique à travers des couvertures de livres étudiés par toute une génération. Nous avons rencontré sa fille, Anne-Marie Durand, afin qu’elle évoque la mémoire de son père.

Jérôme Enez-Vriad : Pouvez-vous nous expliquer le parcours de votre père ? S’il était autodidacte ou s’il a suivi des cours de dessin, de peinture, les Beaux Arts ?

paul durand, lasserreAnne-Marie Durand : Il était principalement autodidacte. C’est ma mère qui, ayant suivi des cours de dessin, a détecté le don qu’il avait et lui a enseigné la technique. Elle avait également étudié l’histoire de l’art, fait des recherches sur le costume, et travaillait depuis 1947 au Jardin des Modes [mensuel féminin créé en 1922]. Au début, mon père l’a accompagnée pour faire des croquis chez les couturiers. Il l’aidait. Sur les robes, il dessinait les mains, les visages avec beaucoup de facilité. Sa première illustration de livre a été pour Hachette en 1952 : Seul à travers l’Atlantique, paru dans la Bibliothèque Verte. Personne ne voulait illustrer ce titre, or lui était passionné de bateaux. C’est là qu’avec ma mère ils ont commencé le travail à l’encre de Chine. Elle lui a appris comment avec un seul trait vif obtenir plus d’effets qu’avec de petits traits.

Quels matériaux utilisait-il : aquarelle, huile, gouache… ? Et avec lequel était-il le plus à l’aise ?

paul durand, lasserreIl utilisait principalement la gouache en tubes, qu’il déposait sur une assiette en la diluant plus ou moins afin d’obtenir un « effet » aquarelle ; mais il travaillait aussi la matière en épaisseur. C’était le cas pour les éditions J’ai Lu. Certains dessins en noir se faisaient sur de grandes pages contrecollées, il installait les encarts aux dimensions des illustrations pour l’ensemble du livre, ensuite il remplissait sa page, un peu comme font les dessinateurs de BD. Mon père avait aussi une grande maitrise de l’aquarelle et de l’encre de chine (avec plume) utilisées pour les hors-textes de la Bibliothèque Verte. L’huile, c’était davantage pour son plaisir.

Quels étaient ses formats et supports favoris ? Par exemple, les originaux pour J’ai Lu étaient-ils tous du même format et lequel ?

Pour J’ai Lu, il peignait sur des formats plus grands que le livre. C’est ce qu’il préférait. Mais très souvent pour des raisons économiques, il utilisait le format de l’impression. Par exemple, pour Le grand Meaulnes (Flammarion – 1962) il a refait tous les dessins au format du livre.

Lorsqu’il illustrait une couverture, était-ce sur un résumé ou lisait-il le livre en entier ?

paul durand, lasserreIl a toujours aimé lire et avait une grande culture littéraire. Ma mère et lui lisaient en équipe. Ensuite, ils en discutaient, échangeaient leurs idées… Ma mère relevait certains détails, les pages intéressantes, et surtout pour les J’ai Lu, les caractéristiques des personnages.

Paul Durand jouait beaucoup sur l’opposition chromatique, n’hésitant pas à mettre un rouge à côté d’un vert ou un violet au-dessus d’un jaune. Chaque fois, l’effet est explosif, mais toujours d’une rare élégance. Était-ce spontané ou faisait-il beaucoup d’essais avant d’obtenir l’effet recherché ?

Il imaginait son dessin devant sa feuille blanche, réfléchissait un moment le pinceau à la main, puis le travail prenait forme de manière spontanée. En cas d’insatisfaction, il recommençait, mais c’était plutôt rare. Il était aussi à l’aise avec l’aquarelle, rajoutant parfois des motifs plus contrastés à la gouache.

Malgré la multiplicité des techniques, on reconnaît immédiatement son travail. Avait-il conscience d’avoir un style ?

paul durand, lasserreBien que n’ayant jamais cherché à en avoir un, son style était effectivement très personnel. Cela lui est venu naturellement. Seul lui importait d’être le plus fidèle possible aux intentions de l’auteur. Sa maitrise relevait d’une admiration certaine pour les impressionnistes. « On dessine ce qu’on sent, pas ce qu’on pense » avait-il l’habitude de dire, cherchant davantage à traduire un sensation qu’une idée.

Quels artistes admirait-il ?

Les illustrateurs Pécoud, Fontanarosa, Christian Bérard, Demachy, Norman Rockwell, entre autres, mais peut-être aussi Cézanne, Manet, Le Titien, Van Eyke, Vermeer…  dont nous avions de nombreux livres à la maison. Mes parents avaient aussi beaucoup d’admiration pour certains illustrateurs de l’époque : Gruau, Demachy… Le magazine Vogue des années 49/50 les a beaucoup inspirés. En fait, l’influence du dessin de mode a sans doute été déterminante dans la construction de son style.

Quels étaient ses rapports avec les auteurs ?

paul durand, lasserreLa plupart ont beaucoup apprécié son travail. Il aimait discuter avec eux et beaucoup sont devenus des amis. Il a rencontré André Demaison, Joseph Peyré, René Guillot, Maurice Genevoix. Pour J’ai Lu, il côtoyait les auteurs avec beaucoup de plaisir et ses dessins étaient très appréciés : Bernard Clavel, Gilbert Cesbron, Guy des Cars, Henri Troyat…Il se savait reconnu, et plusieurs d’entre eux ont demandé à être illustrés par lui, par exemple Maurice Genevoix, René Guillot, Michel Tournier… Lorsque le Général de Gaulle l’a choisi pour son livre destiné aux enfants il a été très touché [Message de Noël aux enfants de France, éditions G.P. – 1970].

Savez-vous duquel il a illustré le plus de titres ?

Pour J’ai Lu, sans doute est-ce Henri Troyat (18 couvertures). Sinon, 19 albums de René Guillot.

Les menus qu’il a dessinés pour Lasserre sont d’une distinction folle à quarante ans de distance. Quelle est la genèse de cette collaboration avec l’un des plus grands restaurateurs français des années 70 ?

paul durand, lasserreC’est monsieur Lasserre qui désirait voir ses menus illustrés par lui. Mon père travaillait beaucoup au « feeling », et ils se sont très bien entendus. Lasserre lui a expliqué comment il avait débuté. Ils se sont trouvé des points communs. Mes parents ont été invités au restaurant, puis ce fut toute la famille… C’était à la fois généreux et très impressionnant.

Faisait-il des portraits de ses proches ?

Oui, il a peint des huiles de ses 4 enfants, de ma mère, mais aussi de quelques amis. Il avait plaisir à travailler l’huile, mais regrettait le manque de temps.

Ses œuvres sont-elles exposées ou en état de l’être

Il y  a eu quelques expositions, il y a longtemps, mais plus pour l’instant.

Si les lecteurs d’Unidivers souhaitent acheter un Paul Durand ?

Nous n’avons jamais vendu ses dessins.

De quelle manière peut-on aujourd’hui vous aider à sauvegarder la mémoire de son œuvre ?

Je suis très touchée que des personnes comme vous s’y intéressent. On souhaiterait faire des expositions, bien sûr, ce qui demande un travail de protection des dessins, d’archivage, de photographie que nous essayons de faire avec ma famille.

Si Paul Durand avait le dernier mot, qu’aurait-il pu dire afin de clôturer l’entretien ?

Probablement : Le rêve et l’imagination sont très importants, si l’on croit à ses rêves, on peut les réaliser avec de la volonté et du travail…

Et vous, Madame, quel sera le vôtre ?

Merci de faire revivre l’œuvre de mon père avec un regard nouveau.

Propos recueillis par Jérôme Enez-Vriad

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Jérôme Enez-Vriad
Jérôme Enez-Vriad est blogueur, chroniqueur et romancier. Son dernier roman paru est Shuffle aux Editions Dialogues.

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