Personne n’est naïf : Patricia Petibon est arrivée sur scène auréolée d’une réputation de frappadingue, d’originale, d’excentrique, de fêlée, de… enfin, vous avez compris. De ce point de vue, le public n’a pas été déçu. Pas surpris non plus, car cela fait quelques années que Patricia Petibon surfe sur cette image de cantatrice « décalée » qu’elle a patiemment élaborée. Et à parler franc, elle s’en sort plutôt bien.

 

patricia petibon
Patricia Petibon

D’abord, elle ne se moque pas de son public. Deux périodes de 45 minutes entrecoupées de 20 minutes d’entracte représentent une phase de chant assez longue et physiquement éprouvante – elle exécute prés de 30 pièces différentes. Elle sait bien s’entourer, son excellente et très complice pianiste Erika Guiomar tout comme le percussionniste François Verly lui assurent sur scène un socle de qualité.

Patricia PetibonLa composition même de son programme de chant, après une lecture attentive, s’avère parfaitement pensée. Elle sait à la fois mettre sa voix à l’épreuve progressivement et faire monter l’intensité des moments burlesques avec mesure. Elle évite ainsi de nous agacer par un excès de ces mimiques ou de minauderies qui lui sont fréquemment reprochées. À cet égard, on comprend les remarques formulées par François Laurent dans son article de Diapason consacré au CD du spectacle de Petibon qui estime que les « grimaces et autres onomatopées qui, si elles n’ajoutent rien, restent en situation dans les enfantines de Rosenthal ou Poulenc ». Ces déroutants borborygmes peuvent paraître étranges sur un disque, ils sont plus explicables dans un spectacle vivant.

Patricia PetibonC’est vrai qu’elle est belle notre excentrique. Dés son arrivée sur scène, la taille bien prise dans une robe fourreau noire qui met en valeur son éblouissante carnation et sa flamboyante chevelure rousse, Patricia Petibon impressionne son public. Ses interprétations sont belles et elle émeut aussi bien dans « A Chloris » de Reynaldo Hahn qu’elle amuse dans les « chanson du monsieur bleu » de Manuel Rosenthal. Elle n’hésite pas à utiliser des accessoires inattendus, affublant sa pianiste d’une trompe d’éléphant ou son percussionniste d’oreilles de chat. Elle puise dans le piano Steinway toutes sortes d’objets qui le transforment en coffre à jouets géant.

Patricia PetibonSi l’intérêt est indiscutable, l’émotion n’est pas toujours au rendez-vous. A la fin de la première partie, on a le sentiment d’un petit manque. La seconde partie efface ce moment d’incertitude. Dans l’interprétation d’airs espagnols comme « Asturias », de Manuel de Falla, « Cantares », de Joaquin Turina, ou le très beau « Granada », de Augustin Lara, Patricia Petibon démontre qu’elle tient les rênes du concert et nous entraîne dans son monde enfantin comme elle le décide. C’est particulièrement vrai lorsqu’elle interprète de manière inspirée le très fameux « Somewhere over the rainbow » tiré du magicien d’Oz. Les enfants – assez nombreux lors de cette représentation – adhèrent totalement et paraissent d’ailleurs beaucoup plus à l’aise que les adultes et le flot d’oiseaux, de peluches, de balles de ping-pong et autres accessoires incongrus volant à tous moments sur scène leur paraît la chose la plus normale du monde dans cette salle d’opéra au décor délicieusement suranné.

Patricia Petibon
Discographie de Patricia Petibon

Aller écouter Patricia Petibon est en soi une expérience passionnante, les retardataires pourront s’en rendre compte encore le jeudi 23 octobre 2014 à 20h à l’opéra de Rennes. Pas question de s’attendre à un récital classique comme celui que nous a offert Myrtò Papatanasiu il y a quelques jours, c’est une atmosphère très différente et passablement déroutante qui vous attend.

Alain Surrans en invitant cette belle excentrique à Rennes joue une fois de plus le rôle de Pygmalion auprès du public rennais en l’entraînant vers de nouvelles approches de l’opéra. C’est étonnant, mais quel plaisir de refaire pour un instant une incursion dans le monde magique de l’enfance et de ses sortilèges ! C’est encore possible… il ne tient qu’à vous.

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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