Paris. Vente aux enchères d’une centaine d’oeuvres de l’artiste Marie Vassilieff

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Maria Vassilieff

Marie Vassilieff fera l’objet d’une vente aux enchères rare à Paris, au cœur d’une collection bâtie pendant quarante ans.

Une vente aux enchères consacrée aux œuvres de la peintre, sculptrice et décoratrice Marie Vassilieff (1884-1957) se tiendra samedi 6 juin 2026 dans un appartement parisien du 9e arrondissement. À la manœuvre, le commissaire-priseur Aymeric Rouillac, qui présentera une collection aussi ample que cohérente, constituée patiemment par Claude Bernès (1941-2025), grand connaisseur de l’artiste.

Maria Vassilieff

Un « banc d’essai » pour la cote : entre rareté, redécouverte et marché encore fragile

Les estimations n’ont pas encore été rendues publiques. Le travail d’expertise doit d’abord fixer des fourchettes réalistes, en tenant compte d’un marché où plusieurs forces contradictoires coexistent : la raréfaction des ensembles homogènes (qui soutient les prix), la moindre présence de certains acheteurs internationaux (qui peut les contenir), et la revalorisation progressive des artistes femmes de l’avant-garde historique (qui peut, au contraire, créer un effet d’accélération). Dans ce contexte, l’enjeu dépasse la seule adjudication : la vente pourrait servir de test grandeur nature pour une réévaluation à la fois critique et économique de Marie Vassilieff.

Aymeric Rouillac rappelle aussi un signal de marché récent : l’œuvre Pierrot sa maman et son chat (1929) a été adjugée 36 000 euros en mai 2025 à Stockholm, en Suède. Un repère qui, sans suffire à lui seul, indique l’attention renaissante portée à cette figure singulière de la modernité parisienne.

Maria Vassilieff

Claude Bernès, ou la patience du collectionneur : faire émerger une œuvre « lisible »

La vente se tiendra dans un cadre intime : un appartement où seront présentées des pièces issues d’un ensemble construit comme une enquête au long cours. Claude Bernès, amoureux de la peinture et spécialiste reconnu de Marie Vassilieff, a contribué à préserver et à rendre visible un parcours souvent resté à la lisière des grands récits officiels de l’avant-garde.

C’est au cours des années 1970 qu’il acquiert ses premières œuvres de l’artiste lors d’une vente publique. L’expérience agit comme un déclencheur. Dès lors, il consacre plusieurs décennies à identifier, documenter et réunir peintures, dessins, archives et objets, jusqu’à former une collection de plus d’une centaine de pièces. Sa force : la variété et la continuité, qui permettent de suivre l’évolution stylistique de Vassilieff entre les deux guerres, des années d’effervescence montparnassienne jusqu’aux inflexions plus tardives de son œuvre.

Claude Bernès
Claude Bernès

Biographie : une avant-gardiste à Montparnasse, de la peinture aux poupées, de la décoration à la céramique

De son nom de naissance Maria Ivanovna Vassilieva, Marie Vassilieff naît à Smolensk, en Russie, le 12 février 1884. Issue d’une famille aisée qui l’imagine volontiers dans des études « sérieuses », elle choisit pourtant l’art, et s’y engage avec une détermination qui ne la quittera plus.

Maria Vassilieff
Maria Vassilieff

En 1903, à 19 ans, elle entre à l’Académie impériale des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg. Deux ans plus tard, elle arrive à Paris, alors capitale mondiale des avant-gardes. Elle s’intègre rapidement aux milieux artistiques et suit notamment l’enseignement d’Henri Matisse (1869-1954), dont elle se rapproche. En parallèle, pour vivre, elle travaille comme correspondante pour plusieurs journaux russes : une double vie, à la fois dans l’atelier et dans l’actualité, qui aiguise son regard.

Lorsque l’atelier de Matisse ferme, Vassilieff ouvre en 1912 sa propre structure : l’Académie Vassilieff, avenue du Maine (14e). Très vite, l’adresse devient un point de gravité montparnassien : lieu de travail, de circulation, de rencontres, d’entraide aussi. Ce rapport au collectif, à la vie concrète des artistes, fait partie intégrante de sa légende et de son geste.

Au cours d’un séjour en Russie, elle expose à Moscou en mars 1916, et présente pour la première fois les poupées qui contribueront à sa notoriété : figures composées de carton, de tissus, d’éléments récupérés, souvent inspirées de ses proches. À travers elles, Vassilieff invente une forme d’art à la fois populaire, moderne et affective : une galerie de présences, entre portrait, théâtre et artisanat poétique.

De retour sur la scène de Montparnasse en 1917, devenue mère, elle peint de nombreux portraits de son fils Pierre et affirme un tempérament d’artiste pluridisciplinaire. Peinture, dessin, sculpture, objets, décoration : son œuvre se déploie comme une constellation de pratiques, fidèle à une même énergie de fabrication et d’invention. Elle conçoit aussi des affiches et des images pour des bals et des événements, inscrivant son art dans la ville, dans le quotidien, dans la fête.

En 1927, elle participe, avec de nombreux autres artistes, à la décoration intérieure de la brasserie La Coupole, boulevard du Montparnasse, devenue depuis un lieu emblématique de la vie parisienne. Elle réalise la décoration de deux piliers : l’un accueille notamment le portrait de son ami compositeur Claude Duboscq, accompagné d’un renard juché sur son épaule, et une Vierge noire — alliance étonnante d’intimité, de symbole et de malice, comme un condensé de sa liberté iconographique.

Dans les années 1940, Marie Vassilieff se tourne vers la céramique et crée des pièces de table, des vases, des formes sculptées. En 1949, elle réalise des sculptures plus audacieuses, parfois mystiques, parfois érotiques, où se lit une volonté intacte d’explorer, malgré l’éloignement progressif des grandes scènes d’exposition.

Dans les années 1950, elle se retire davantage de la scène artistique. Elle réside à la Maison nationale de retraite des artistes de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne). Elle s’éteint le 14 mai 1957, à l’âge de 73 ans, et est inhumée au cimetière de Nogent-sur-Marne.

Une collection « complète » : l’occasion de relire Vassilieff, au plan artistique comme au plan patrimonial

À l’échelle d’un marché souvent friand de noms déjà canonisés, la vente du 6 juin 2026 propose autre chose : un ensemble capable de restituer une trajectoire. C’est là sa valeur principale. Une collection bâtie avec méthode, enrichie par l’archive et le regard d’expert de Claude Bernès, peut redonner à Marie Vassilieff la place qui lui revient : non comme une figure périphérique de Montparnasse, mais comme une créatrice aux prises multiples, dont l’œuvre circule entre l’intime et le décoratif, le portrait et l’objet, l’avant-garde et l’art de vivre. Si la vente fait date, ce sera peut-être d’abord pour cela : offrir, enfin, une lecture globale et cohérente d’une artiste qu’on redécouvre encore.

Maison de ventes Rouillac

41, boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Téléphone Paris (bureau) : 01 45 44 34 34 (bureau Paris, boulevard du Montparnasse)
Site : Interencheres
Email : rouillac@rouillac.com 

Dans le cadre d’une vente en appartement privé, l’adresse précise n’est communiquée qu’aux personnes inscrites ou intéressées par la vente après tuilage.

Martine Gatti
Martine Gatti est une jeune retraitée correspondante de presse locale à Paris et dans le pays de Ploërmel depuis bien des années.