À 20 km du centre de Paris, Le Chesnay, paisible petite bourgade des Yvelines entourée d’églises et de familles catholiques, l’agitation est à son comble. La raison ? Le maire a signé fin octobre un permis autorisant la construction dans la ville du premier temple mormon en France. À une lieu du parc du château de Versailles, le bâtiment occupera près de 7 000 m2 sur un terrain d’envergure racheté 20 millions d’euros à EDF-GDF.

En sus de l’association Avenir 46, dont les membres s’opposent fermement à cette installation et craignent « une modification en profondeur de la ville », plusieurs élus ne cachent pas leur perplexité. L’un d’eux est même allé jusqu’à démissionner en réclamant une préemption du terrain au profit des logements sociaux et des équipements sportifs. De fait, la Ville accuse un retard très important en la matière. Tous les opposants se sont réunis autour d’une pétition réclamant qu’une consultation publique soit organisée au sujet de l’avenir du 46, boulevard Saint-Antoine.

Plus étonnant, le maire aurait signé l’arrêté de permis de construire seulement 82 jours après le dépôt de la demande. Une durée particulièrement courte. Philippe Brillault (UMP dissident) justifie son action en soulignant que les mormons n’étant pas considérés comme une secte, il n’avait aucune raison juridique de s’opposer à leur demande.

Mi-figue mi-raisin, le diocèse de Versailles a expliqué qu’il n’avait aucun droit de s’opposer à cette décision, mais compte éditer et distribuer plusieurs milliers de tracts rappelant qu’aux yeux de l’Église catholique, les mormons ne sont pas considérés comme chrétiens quand bien même ils ne seraient pas les adeptes d’une secte.

Le fond du problème est avant tout religieux

Les mormons font peur. Mais qui sont-ils ?

L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours a vu le jour aux États-Unis au XIXe siècle. Son créateur, Joseph Smith pense qu’une 13e tribu d’Israël se serait perdue jusqu’aux Amériques(1). C’est ce que des plaques trouvés sous terre et l’ange Moroni lui auraient révélé en 1823 dans un enseignement qui constitue un complément au Nouveau Testament. Aujourd’hui, l’Église mormone compterait plus de 10 millions d’adeptes répartis dans 130 temples dans le monde, 40 000 sectateurs dans les territoires français fréquenteraient une poignée de temples.

Quoi qu’il en soit, les mormons dérangent plus par certaines de leurs pratiques que par leur foi. D’une part, ils sont très prosélytes. Dans les centres des grandes villes, qui n’a jamais croisé, voire n’a été alpagué (toujours courtoisement), par ces jeunes garçons américains (souvent originaires de Salt Lake City) très propres sur eux, vêtus d’un costume noir et d’une chemise blanche ?

D’autre part, persuadés d’être les seuls à détenir la clé du salut éternel, ils acquièrent dans le monde des milliers de fichiers d’état civil afin de baptiser des millions de morts (sans autorisation des intéressés, et pour cause…) afin de leur permettre de transiter vers le paradis.

 Enfin, la pratique polygame de certains a pu déranger, quand bien même elle est officiellement interdite depuis 1890. Elle était bel et bien parfaitement accepté car des documents attestent, notamment,que Joseph Smith, fondateur de l’Eglise mormone, a marié en 1842 Brigham Young à Lucy Decker Seeley alors qu’il était déjà marié à Mary Ann Angell Young. On pense surtout immédiatement au tristement connu pasteur Warren Jeffs. Il aura fallu attendre son arrestation en août 2006 pour que ce mouvement déclare n’avoir aucun rapport avec cet apôtre de la pédophilie. Cela étant, les mariages avec de jeunes adolescentes étaient monnaie courante jusqu’à la réévaluation de l’âge officiel du mariage à 16 ans dans l’Etat de l’Utah (berceau des Mormons) en… 1998.

Cela étant, en France, les fidèles mormons semblent bien intégrés à la société et respecter la législation relative à la monogamie. Sans doute, leur manière de vivre très centrée sur la communauté – à travers des temples réservés aux adeptes, des organisations destinées à chaque âge, des réseaux sociaux et commerciaux performants – suscite-t-elle l’inquiétude. Autrement dit, les Chesnaysiens craignent le déploiement d’une socialisation parallèle qui mettrait en danger l’espace public. Un espace fortement marqué et structuré par une historicité catholique…

Nicolas Roberti

(1)  Jacob a eu 12 fils et 1 fille.. Jacob élève au rang de fils (donc des tribus) les 2 fils de Joseph, Manassé et Ephraïm, ses petits-fils. Les listes s’en tiennent presque toujours aux «12 tribus d’Israël», l’une étant occultée (souvent Lévi).

 

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il a créé en 2011 le magazine Unidivers dont il dirige la rédaction.

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