Rennes Métropole veut préfigurer un dispositif de Paiements pour services environnementaux (PSE) pour rémunérer des agricultrices et agriculteurs engagés dans la transition (avec, au cœur, l’objectif de réduction forte jusqu’à l’arrêt des pesticides de synthèse pour une première vague d’entrées à partir de 2027). Avant d’en juger l’ambition, une question s’impose : qu’est-ce que donnent les PSE là où ils existent déjà ?
La réponse est nuancée : les résultats sont globalement encourageants en matière de mobilisation et d’adhésion, mais la “preuve” d’impacts environnementaux massifs (baisse mesurée des pesticides dans l’eau, restauration de biodiversité à grande échelle) est souvent encore en construction, parce que ces effets demandent du temps, un ciblage fin et une évaluation solide.
Ce que montrent les évaluations nationales : un outil attractif, mais exigeant
Le bilan (novembre 2024) de la première phase d’évaluation nationale du dispositif PSE (piloté par le ministère et financé via les Agences de l’eau) donne une photographie utile :
- Montée en puissance réelle : 113 projets engagés financièrement avant fin 2022, portés majoritairement par des syndicats d’eau (40 %) et des intercommunalités (37 %).
- Un outil “sur-mesure” : indicateurs construits localement, rémunération souvent sur 5 ans, logique de paiement liée au niveau de pratiques / résultats observés.
- Une réussite nette : embarquer. L’évaluation parle d’une “mobilisation des territoires” qui est un succès, et d’un taux d’engagement jugé satisfaisant.
- Point clé : le PSE a permis de mobiliser de nouveaux agriculteurs : 85 % des exploitants engagés n’étaient pas déjà dans une autre action de la collectivité (selon cette évaluation).
- Des ordres de grandeur : début 2023, environ 131,7 M€ engagés sur 5 ans pour la rémunération directe ; montants annuels par hectare souvent entre 75 et 125 €/ha (fortes variations selon projets).
Le dispositif a aussi été “sécurisé” juridiquement pour faciliter l’entrée des collectivités : un régime d’aide “exempté” (juillet 2024) encadre les conditions et insiste sur un point : l’accompagnement/animation des agriculteurs n’est pas un bonus, mais un élément central pour maximiser l’impact (animation territoriale, accès à l’expertise, formation si besoin, etc.).
Exemples urbains et métropolitains : des modèles utiles pour Rennes
Sur le terrain, la diversité des montages est grande. Pour une métropole comme Rennes, quatre familles d’exemples sont particulièrement éclairantes.
A. Les “villes de l’eau” : quand un opérateur d’eau potable pilote la transition
Eau de Paris est l’exemple le plus documenté, parce qu’il relie un dispositif d’aides agricoles à un enjeu lisible : l’eau potable. La régie a lancé un PSE (ou régime d’aides sur le principe des PSE) approuvé au niveau européen, ouvert sur la période 2020–2025. Elle a communiqué sur un ensemble d’engagements d’exploitants (115) et sur un accompagnement technique + financier avec des montants annoncés entre 150 et 450 €/ha.
Le retour d’expérience le plus intéressant n’est pas “tout est réglé”, mais plutôt : lorsque la collectivité investit dans la prévention (changement de pratiques en amont), elle peut espérer des gains concrets (réduction de pressions, conversions, etc.) et défendre politiquement l’idée que cela coûte moins cher que le curatif à long terme. Des articles de suivi (Banque des Territoires, Le Monde) évoquent des signaux positifs (dont des baisses de pics de pesticides dans certaines nappes, sous réserve des détails méthodologiques et du temps long des tendances).
Pour Rennes, la leçon est simple : si le PSE est attaché à un enjeu très lisible (captages / eau potable / santé), il devient “narrable” et défendable — y compris face aux contribuables.
B. Les métropoles “agro-écologie territoriale” : PSE comme outil d’animation et de cohérence
L’Eurométropole de Strasbourg déploie un PSE sur des zones à enjeux eau, érosion, biodiversité, avec une rémunération sur 5 ans (projet 2022–2027). C’est typiquement un montage “métropolitain” : le PSE n’est pas une prime isolée, mais une pièce au sein d’une stratégie plus large de transition agricole.
Le point fort pour Rennes : ce modèle montre qu’un PSE peut tenir ensemble plusieurs objectifs (eau + sols + biodiversité) à condition d’éviter le piège du “trop large, trop flou”. La contrepartie : plus l’ambition est plurielle, plus le dispositif doit être lisible et l’évaluation robuste.
C. Les agglomérations “PSE thématiques” : un objectif clair, donc des critères plus simples
Le Havre Seine Métropole illustre l’approche “PSE thématique” : candidature à un appel à projet “PSE Herbe” visant à protéger les prairies. Sur la fiche projet nationale, les indicateurs sont concrets (part de prairies non traitées, niveau d’azote minéral) et les règles d’éligibilité sont cadrées.
Pour Rennes, si l’objectif prioritaire est la sortie des pesticides de synthèse, une approche “thématique” peut être un avantage : elle réduit les débats sans fin sur des indicateurs multiples. En revanche, elle peut exclure des exploitations qui ne rentrent pas dans le “bon profil”, d’où la nécessité d’une stratégie parallèle (conseil technique, aides à l’investissement, filières, débouchés, restauration collective) pour ne pas laisser les autres sur le bord du chemin.
D. Les grandes villes et agglos “captages/AAC” : efficacité attendue, mais bataille des périmètres
Beaucoup de PSE sont structurés autour des aires d’alimentation de captage (AAC). C’est logique : c’est là qu’un effet environnemental (sur l’eau) est le plus attendu, donc le plus “évaluable”. Mais c’est aussi là que naissent des frictions : définition des périmètres, arbitrages entre “ciblage strict” et “approche exploitation entière”, acceptation locale, etc.
L’évaluation nationale note d’ailleurs que l’enjeu “eau captage” est majoritaire dans plusieurs bassins, et que l’engagement peut porter sur la totalité de l’exploitation (logique système) — ce qui peut améliorer l’adhésion, mais aussi diluer l’effet si l’on cherche un impact rapide sur une zone très précise.
Freins, limites et “échecs” possibles : ce qui fait dérailler un PSE
Dans les retours d’expérience, les “échecs” ne prennent pas toujours la forme d’un abandon officiel. Ils ressemblent plus souvent à des dispositifs qui se déploient lentement, qui “embarquent” mais transforment peu, ou dont les effets sont impossibles à attribuer. Les principaux points de vigilance sont connus :
- Le coût d’ingénierie : monter un PSE, animer, suivre les indicateurs, payer à temps, contrôler… cela demande des moyens. Sans équipe dédiée, un PSE devient un millefeuille administratif.
- Indicateurs mal calibrés : trop simples (effet d’aubaine, paiement du statu quo) ou trop complexes (incompréhensibles, décourageants). L’enjeu est de payer le service environnemental sans créer un “Excel de la culpabilité”.
- Montant insuffisant : si le paiement ne compense pas le risque économique (rendement, investissement, organisation du travail), l’adhésion plafonne ou ne concerne que les plus “déjà prêts”.
- Temps long de l’environnement : l’eau souterraine et les métabolites de pesticides réagissent sur des horizons parfois longs. Annoncer une “baisse” trop tôt expose à des retours de bâton.
- Articulation avec les aides existantes : MAEC, aides bio, politiques de filières, etc. Une mauvaise articulation crée des doublons ou des zones grises (certains PSE excluent des exploitants déjà engagés dans certaines aides, selon projets).
- Le risque politique : un PSE peut être attaqué comme “subvention” injuste, ou à l’inverse comme “rustine” insuffisante. Il faut un récit public clair : prévention, santé, eau, économie agricole, justice territoriale.
Ce qui ressemble à une réussite : les conditions qui font “prendre” le dispositif
Au vu des évaluations et des cas urbains, trois conditions reviennent comme des facteurs de réussite :
- Un objectif prioritaire lisible (eau potable, captages, pesticides, prairies, biodiversité) et un périmètre cohérent.
- Une animation agricole solide : conseil, accompagnement, formation, suivi — l’État insiste sur ce point dans le cadre du régime 2024.
- Une chaîne complète : paiements + débouchés (restauration collective, filières locales), foncier, structuration logistique, communication. C’est précisément la logique d’un PAT bien piloté.
Le bilan national souligne déjà la capacité du PSE à mobiliser des agriculteurs “nouveaux” et à donner aux collectivités un outil “sur-mesure” jugé valorisant. Ce sont des acquis importants : un PSE peut devenir une porte d’entrée vers des changements plus profonds.
Le potentiel pour Rennes Métropole si le pari réussit
Si Rennes Métropole réussit sa préfiguration et évite les pièges classiques, le potentiel est double.
A. Au plan environnemental et sanitaire
- Réduction durable de la pression pesticides sur les zones prioritaires (eau, santé publique), avec un suivi d’indicateurs qui rend la progression visible.
- Effet de levier sur l’agro-écologie : rotations, infrastructures agroécologiques, prairies, baisse d’azote minéral — selon le design retenu.
B. Au plan économique et territorial
- Sécurisation économique pour des exploitations qui prennent des risques de transition (le nerf de la guerre).
- Cohérence renforcée avec le PAT : foncier, installation, Terres de Sources, restauration collective, circuits courts. Un PSE peut devenir l’outil “financier” qui manque souvent à l’animation.
- Attractivité agricole : rendre l’installation et la conversion plus réalistes sur un territoire urbain sous pression foncière.
En clair : le PSE n’est pas une baguette magique, mais, bien conçu, il peut être le chaînon entre discours et bascule réelle — en particulier si la métropole rennaise assume une priorité (pesticides de synthèse) tout en restant capable d’élargir ensuite aux autres enjeux (eau, biodiversité, sols) sans perdre en lisibilité.
Une boussole pour la préfiguration rennaise : trois questions décisives
- À qui paye-t-on quoi, exactement ? (réduction, non-usage, résultats mesurés, moyens mis en œuvre, mix d’indicateurs)
- Où cible-t-on en premier ? (AAC / zones à enjeux santé-eau / périmètres expérimentaux) et avec quel équilibre entre “zone” et “exploitation entière”.
- Avec quelle ingénierie ? (animation, expertise, simplification administrative, cofinancements) — parce que c’est là que se joue la différence entre un dispositif vivant et une usine à gaz…
Sources
- Ministère de la Transition écologique (CGDD) — Bilan de la 1ère phase de l’évaluation des PSE publics, version novembre 2024 (PDF) : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/Resume%20de%20l%20evaluation%20fini-2.pdf
- Ministère de la Transition écologique — Portail officiel PSE (projets, dispositif) : https://pse-environnement.developpement-durable.gouv.fr/
- Ministère de la Transition écologique — SA.115044 – Régime exempté PSE_2024 (PDF, juillet 2024) : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/SA.115044%20-%20R%C3%A9gime%20exempt%C3%A9%20PSE_2024.pdf
- Eurométropole de Strasbourg — Fiche projet “PSE 2022/2027” : https://pse-environnement.developpement-durable.gouv.fr/projets/pse-eurometropole-de-strasbourg-2022-2027
- Eau de Paris — Présentation du dispositif financier d’aides agricoles / PSE (2020–2025) : https://www.eaudeparis.fr/le-dispositif-financier-daides-agricoles-deau-de-paris
- Eau de Paris — Actualité sur le dispositif (montants/engagements) : https://www.eaudeparis.fr/actualit%C3%A9s/un-dispositif-unique-pour-accompagner-les-agriculteurs-vers-une-transition-durable
- Le Havre Seine Métropole — Actualité sur l’expérimentation PSE (17/07/2023) : https://www.lehavreseinemetropole.fr/actualites/la-communaute-urbaine-experimente-les-paiements-pour-services-environnementaux-pse-afin
- Le Havre Seine Métropole — Fiche projet PSE (portail national) : https://pse-environnement.developpement-durable.gouv.fr/projets/paiement-pour-services-environnementaux-le-havre-seine-metropole
- Banque des Territoires — “Eau de Paris constate des diminutions des pics de pesticides…” (02/12/2024) : https://www.banquedesterritoires.fr/eau-de-paris-constate-des-diminutions-des-pics-de-pesticides-dans-certaines-nappes-grace-un
