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ACTUS BD FÉVRIER 2018, FLORILÈGE D’ADAPTATIONS DE ROMANS

Ce mois-ci quelques adaptations de romans en BD et des parutions de deux dessinateurs reconnus ont retenu notre attention. Parmi d’autres.

ACTUS BD FEVRIER 2018

Pas de gros titres a priori pour ce mois de février, susceptibles d’atteindre des tirages exceptionnels. Le plus connu, et peut-être le plus attendu, sera la publication du deuxième et dernier tome de La Déconfiture (1) de Pascal Rabaté, dans lequel on devrait retrouver Videgrain, notre soldat français perdu sur les routes de l’exode avec ces camarades de rencontre, qui vont être faits prisonniers par l’armée allemande. Une fin attendue pour un des succès de l’année 2017.

ACTUS BD FEVRIER 2018

Autre nom connu, celui de Canardo (2) cher à Sokal, son créateur. Cet enquêteur privé et palmé va devoir démêler les fils d’une intrigue au nom évocateur Un con en hiver, un surnom qui ne convient certainement pas au héros qui fête là son 25e tome et le tome 1 de son intégrale (3).

ACTUS BD FEVRIER 2018

Les adaptations de roman en BD sont décidément à la mode, notamment chez Gallimard. Cette fois-ci, c’est le dernier roman de Paule Constant Des chauves-souris, des singes et des hommes (4), auteure qui avait obtenu le Prix Goncourt en 1998 avec Confidence pour Confidence, qui est mis en dessins par Barroux. On attend beaucoup de cette collaboration dans un récit qui prend la forme d’un conte africain où le cadavre d’un singe argenté semble propager un mal pernicieux.

ACTUS BD FEVRIER 2018

Futuropolis publie également la mise en BD du roman de Alessandro Baricco Trois fois dès l’aube, roman composé de trois histoires nocturnes qui se terminent à l’aube. Denis Lapiere et Aude Samama qui avaient adapté avec succès Martin Eden de Jack London, essaient cette fois-ci de transmettre par le texte et le dessin le charme de la triple rencontre de deux personnages (5).

ACTUS BD FEVRIER 2018

Encore une adaptation, celle du roman de Stefan Zweig 24 heures de la vie d’une femme (6) , que met en images Nicolas Otero, qui reprend ce grand classique de la littérature pour le transposer dans le Las Vegas des années 80. Une description d’une passion que l’on attend avec impatience.

ACTUS BD FEVRIER 2018

Autre auteur connu à l’honneur ce mois-ci, Zidrou qui narre, avec La Petite Souriante (7), un récit noir mis en images par Springer : un scénario qui laisse entrevoir de drôles de surprises puisqu’il est question d’une femme tuée et jetée dans un puits, mais toujours vivante, le tout dans un élevage d’autruches dans une tienda isolée. Tout un programme que la couverture intrigante nous laisse imaginer.

ACTUS BD FEVRIER 2018

La Boîte à Bulles reste fidèle à une ligne éditoriale originale de témoignages et d’oubliés de l’Histoire qu’elle poursuit avec Maison sans fenêtres (8), cette maison étant la République Centrafricaine, dans laquelle les auteurs partent à la découverte d’enfants exploités dans des mines de diamants ou de réfugiés dans des camps de transit.

ACTUS BD FEVRIER 2018

Pour terminer cette rubrique, un peu plus de légèreté avec le tome 2 de Le Nouveau Monde (9), qui 6 mois après le tome 1, devrait rencontrer de nouveau les lecteurs amoureux d’aventures exotiques et historiques portés par de superbes dessins qui restituent l’atmosphère violente du XVIe siècle et de la civilisation aztèque.

Mais peut-être un best-seller futur improbable sortira des bacs ce mois-ci. Charme de la lecture et de la découverte. Bonne lecture à toutes et tous. Et rendez-vous chez vos libraires préférés.

(1) « La déconfiture » : tome 2. Pascal Rabaté. Éditions Futuropolis. 120 pages. 20€. Sortie le 22 février 2018.
(2) Éditions Casterman. 48 pages. 11,50€. Parution le 21/02/2018.
(3) Intégrale de Canardo. 208 pages. 25€. Parution le 21/02/2018.
(4). Éditions Gallimard. Collection Fétiches. 80 pages. 18€. Parution le 01/02/2018.
(5). 104 pages. 20€. Parution le 08/02/2018.
(6) Éditions Glénat. 12 pages. 19,50€. Parution le 28/02/2018.
(7). Éditions Dupuis. 72 pages. 14,50€. Parution le 02/02/2018.
(8) Scénario : Marc Ellison. Dessin : Didier Kassai.160 pages. 18€. Parution le 07/02/2018.
(9) « Les sept cités de Cibola ». Éditions Dargaud. Scénario : F Armanet et J Helpert. Dessin ; S Carloni. 13,99€. Parution le 23/02/2018.

JOUDE JASSOUMA, LA FUITE VERS LA PAIX DE LA SYRIE À LA BRETAGNE

« Quand on parle des réfugiés, beaucoup de personnes se demandent : qu’est-ce qu’ils font là, pourquoi ils viennent voler notre travail », déplore Joude Jassouma. Le 9 mars 2016, ce professeur de français originaire d’Alep, au nord de la Syrie, a atterri à l’aéroport de Nantes, pour recevoir en France le statut de réfugié. Rencontre à Rennes aujourd’hui

Dans un livre coécrit avec la journaliste Laurence de Cambronne, Je viens d’Alep, il témoigne de son parcours, de sa ville d’origine jusqu’en Bretagne. Ce jeudi 1er février, il viendra de nouveau poser ses propres mots sur les multiples destins des réfugiés, au TNB, après la projection du film HumanFlow de l’artiste chinois Ai Weiwei.

« Un réfugié, c’est un être humain, avec sa famille, ses enfants, ses rêves », explique-t-il. « C’est quelqu’un qui cherche un coin de paix. » Lui se souvient encore de la Syrie d’avant la guerre. « J’avais une belle voiture, une belle maison, je gagnais bien ma vie », détaille-t-il. Diplômé de littérature française, il avait enseigné en Arabie Saoudite, avant de revenir dans sa ville d’Alep. La vie en Syrie était calme, et les différentes communautés coexistaient en paix. Seulement, il n’y avait aucune critique possible du régime. « J’ai 35 ans, et je n’ai jamais connu que Hafez puis Bachar al-Assad. »

« LA SYRIE VA VERS L’ENFER »

En mars 2011, des premières manifestations éclatent à Deraa, au sud de la Syrie. Puis elles gagnent le pays entier. Elles sont réprimées violemment. « Les mains étrangères, l’Arabie Saoudite, le Koweit, le Qatar, ont commencé à nourrir certains protagonistes, qui ont commencé à grandir », dénonce Joude Jassouma. Alors que les djihadistes prennent la direction des mouvements, le professeur de français se dit : « la Syrie va vers l’enfer ». Près de huit ans plus tard, le conflit dure toujours.

Petit à petit, la guerre rejoint la ville d’Alep. « J’ai dû déménager quatre fois, à chaque fois que ma maison a été bombardée, que ce soit par le régime, les russes ou les rebelles », témoignage le réfugié. A chaque fois, ils doivent partir avec seulement deux ou trois sacs pour emporter leurs affaires personnelles. Avec l’occupation, les collèges et lycées ferment. Alors pour gagner sa vie, il vend des vêtements, en porte-à-porte.

A l’automne 2014, l’armée syrienne intensifie les mesures de mobilisation. Pour échapper au service militaire, Joude Jassouma décide de se dissimuler. Puis vient le déclic, avec un nouveau déménagement. « Après quelques jours, on a entendu les tirs qui se rapprochaient, raconte-t-il. J’étais sur le balcon, quand j’ai vu un chien qui s’approchait avec quelque chose dans sa bouche. Je me suis demandé ce que ça pouvait être. Ce n’était ni un chat, ni un rat. C’était une tête décapitée. »

FUITE VERS LA TURQUIE

Sous le choc, il explique à sa femme qu’il leur faut quitter la Syrie. Ils déménagent de nouveau, au huitième étage d’un immeuble, alors qu’elle est enceinte de huit mois. « C’était moins cher, à cause des bombardements », explique-t-il. Sa femme a ses premières contractions en pleine nuit. Après avoir payé des pots de vin aux différents checkpoints, ils arrivent ensemble à l’hôpital, où elle accouche sans médecin, alors que les bombes tombent sur la ville. Trois jours plus tard, lui prend le chemin de la Turquie.

« J’ai passé un accord avec un passeur, qui m’a conduit à un passage », se rappelle Joude Jassouma. Refusant de rejoindre l’armée, il ne peut en effet pas obtenir de passeport. « Il y avait un trou dans les barbelés, de cinquante ou soixante centimètres. » Son passeur le laisse là, il doit se faufiler lui-même. De l’autre côté, deux gardes-frontières turcs sont positionnés, pour surveiller cette frontière tenue par les forces armées kurdes. « Je me suis caché dans un trou pendant vingt minutes, parce qu’on m’avait dit que les soldats tiraient sur ceux qui passaient la frontière. »

Puis c’est la course effrenée, pour s’éloigner de la frontière. Il se perd dans les champs de maïs, puis de blé, trébuche plusieurs fois, s’écorche les jambes, respire la poussière, doit franchir un canal. « Finalement, je suis tombé sur un homme, c’était comme un ange pour moi », se souvient-il. De nouveau, il doit payer, pour s’assurer de sa discrétion. Grâce à lui, il rejoint, en bus, Istanbul, à 2 000 km de la frontière.

UNE VIE IMPOSSIBLE A ISTANBUL

Arrivé dans la plus grande ville de Turquie, il lui faut travailler, pour payer l’accouchement de sa femme et organiser sa venue. « J’ai dû travailler dans un atelier de confection, 14h par jour, jour et nuit, et le week-end », témoigne-t-il. Finalement, sa femme et sa fille le rejoignent. Ils sont logés avec une autre famille dans un petit appartement en sous-sol, saturé d’humidité. « Un ou deux mois après, ma petite est tombée malade, avec de l’asthme », poursuit Joude Jassouma. Pour les médecins, s’ils ne déménagent pas, elle ne pourrait pas tenir.

Le professeur de français d’Alep se décide à rejoindre l’Europe. « Je me suis dit : je ne veux pas voir ma petite mourir devant moi sans rien faire, je préfère mourir noyé que de la voir comme ça. » Sa femme refuse qu’il les quitte de nouveau en les laissant derrière. En plein hiver, ils rejoignent Izmir, sur la côte. La frontière terrestre avec la Grèce, elle, est fermée.

« On est arrivé en février 2016 dans cette gare routière, et on y a payé 650 dollars par personne pour la traversée », détaille Joude Jassouma. Une somme plutôt basse pour un tel passage, explique-t-il, parce que les risques sont beaucoup plus élevés en hiver. En été, le tarif peut dépasser les 2 000 dollars selon lui.

Joude Jassouma
Joude Jassouma

A TRAVERS LA MÉDITERRANÉE

« La traversée a été un cauchemar, on était à 55 personnes, sur un pneumatique prévu pour 12 », raconte-t-il. Le passeur les abandonne, ne leur donnant que pour toute indication un point de lumière au loin. La Grèce, explique-t-il. Un homme de Lattakié se porte volontaire pour gouverner le frêle esquif. Joude Jassouma, lui, le guide à l’aide de google maps, sur son portable.

« J’avais peur que ma femme et ma petite meurent pendant la traversée, je me suis dit que si ça arrivait, je me suiciderais. » Au loin, les gardes côtes turcs les laissent passer. Un mois plus tard, en vertu d’accords avec l’Union Européenne, le passage par la mer était lui aussi coupé.

Finalement, leur canot pneumatique s’échoue sur un îlot militaire grec, d’où ils sont escortés pour l’île de Leos. Là , ils sont suivis par la Croix Rouge, avant d’arriver enfin au Pirée, le port d’Athènes. « Il y avait 5 000 demandeurs d’asile par terre, parce que la frontière avec la Macédoine avait été fermée », continue Joude Jassouma. Il refuse de payer de nouveaux passeurs : il ne leur reste que 250 euros, pour payer le lait de leur bébé. Finalement, le couple accepte de se plier au programme européen de relocalisation des réfugiés, sans savoir où ils arriveront.

« On a attendu 3 mois et demi, et on a été choisi par la France », résume le réfugié. A Athènes, le pays souffre d’une mauvaise réputation, les réfugiés préfèrent éviter la France pour favoriser l’Allemagne, plus ouverte. « C’était l’apogée du problème de Calais, on voyait les images à la télévision, c’était l’angoisse. »

DES FRANCES PARALLÈLES

On leur propose de s’installer à Martigné Ferchaud, ville de quelques 2 000 habitants à 50 kilomètres de Rennes. Ils ne connaissent pas Rennes. Encore moins Martigné Ferchaud. Mais pour Joude Jassouma, la France ne peut pas se limiter aux images de Calais. « J’avais déjà été à Clermont Ferrant dans le cadre d’un échange, pour moi, la France c’était Balzac, Zola, l’égalité, la révolution ! » explique-t-il.

Dans le village, aux côtés de la directrice de l’école, des médecins, de bénévoles, le maire les accueille avec une phrase en arabe : bienvenue à Martigné Ferchaud, je suis le maire. « Il y a cette France parallèle, cette France des bénévoles », raconte Joude Jassouma. « Ca c’est la France que je connais, la France des droits de l’Homme. » Alors que ceux qu’il connaît qui ont immigré en Allemagne font face à des attitudes de rejet, il assure que jamais il n’a rencontré de réaction négative.

« La France est une terre d’accueil », assure-t-il. A Martigné-Ferchaud, le centre où ils ont été reçus à leur arrivée a été transformé en centre d’accueil officiel, avec un autre centre pour apprendre le français. Ils font face, comme tous les autres réfugiés syriens assure-t-il, à de nombreux problèmes administratifs. « Il y a un groupe facebook de plus de 43 000 personnes pour les Syriens en France, où on s’entraide, on parle des démarches compliquées. » Pour lui, l’inscription à la faculté de Rennes 2 a été difficile, jusqu’à ce qu’il soit reçu contre toute attente en master. Au mois d’avril, il pourra le soutenir face à son jury.

« Il faut parler de ces problèmes d’administration, oui », répète-t-il. « Mais il faut aussi parler des points positifs, les bénévoles nous ont toujours tendu la main, et il faut insister sur cette France parallèle. »

joude jassouma
Joude Jassouma, avec Laurence de Cambronne
Je viens d’Alep, itinéraire d’un réfugié ordinaire
Biographie
224 pages | 18,90€
En librairie le 23 mars 2017
EAN : 978-2-37073-121-0

Ciné Débat HumanFlow avec Joude Jassouma , SOS Méditerranée, LDH,, 1 février 2018 19:30-1 février 2018 23:00, Rennes TNB, 1 rue Saint Helier, Rennes Amnesty Rennes.

ACTUALITÉS LITTÉRAIRES FÉVRIER 2018

Vous avez envie de changer d’air, de partir loin de la grisaille, des pluies et vents violents qui s’abattent sur notre pays. La lecture offre toujours de nouveaux horizons. Voici une petite sélection littéraire qui devrait embellir votre mois de février.

actus littéraires février 2018

Partons tout d’abord au Chili avec La quatrième dimension (Stock, 21 février 2018), dernier roman de Nona Fernández, qui a grandi sous Pinochet. Scénariste pour la télévision, alors que son pays prône la réconciliation nationale, le droit à l’oubli, elle décide d’écrire l’histoire de Andrés Antonio Valenzuela Morales, agent du renseignement des Forces Armées Chiliennes, qui en août 1984 avait témoigné (J’ai torturé) sur l’enlèvement, la torture et l’assassinat de milliers de personnes disparues. Nona avait treize ans mais ce témoignage l’a hantée, tout comme cette période pèse sur la mémoire des chiliens de sa génération. C’est le poids de cet héritage qu’elle traduit ici avec force et émotion.

ACTUS LITTéRAIRES février 2018

Continuons avec de la littérature tchèque. Lenka HORŇÁKOVÁ-CIVADE, peintre et écrivaine née en 1971 dans l’actuelle république tchèque vit aujourd’hui en France. Giboulées de soleil (Alma, 2016) a obtenu le prix Renaudot des lycéens 2016. Son second roman, Une verrière sous le ciel (Alma, 1er février 2018) raconte le destin de Ana, une jeune fille envoyée en colonie de vacances en France par le parti communiste tchécoslovaque qui, à l’orée de ses dix-huit ans, refuse de rentrer dans son pays. Un récit d’initiation pour une jeune femme chargée d’un lourd passé et une auteure à découvrir.

Romans février 2018

Jens-Christian Gröndahl fait partie des auteurs qui excelle dans l’analyse de la relation de couple. Avec Quelle n’est pas ma joie (Gallimard, 8 février 2018), l’auteur y ajoute une facette sur l’acceptation du deuil. Elinor, soixante-dix ans vient de perdre Georg, son mari. Elle se confie à sa meilleure amie, Anna qui fut la première femme de Georg et la maîtresse du premier mari d’Elinor. Autrefois les deux couples étaient très liés et passaient leurs vacances ensemble. Rancoeurs, jalousie, au crépuscule de sa vie, Elinor oscille entre vengeance et compréhension. Une situation suffisamment complexe pour révéler le grand art de l’écrivain danois.

Actus littéraires

Pour vous sortir de la grisaille de ces jours hivernaux, Entrez dans la danse (Julliard, 1er février 2018) avec Jean Teulé. Une fois de plus, l’auteur s’empare d’un fait historique pour donner libre cours à son humour noir et sa fantaisie. En juillet 1518, une femme sort de chez elle pour aller noyer son enfant qu’elle n’a pas les moyens de nourrir. Désespoir, folie, elle se met ensuite à danser dans la rue du jeu des enfants. Très vite, un homme condamné à manger sa fille la rejoint. Puis d’autres danseurs tous aussi misérables. Si vous souhaitez connaître la suite de cette danse frénétique qui dura plus de deux mois et connaître la version « Teuléenne » de cette comptine alsacienne, entrez dans la danse !

Actualités littéraires

Pour les amateurs de romans noirs, Caryl Ferey revient avec son héros récurrent, l’inspecteur borgne et déjanté, McCash dans Plus jamais seul (Gallimard, 8 février 2018). En vacances, McCash fait l’apprentissage de la paternité avec sa fille , Alice. Mais l’annonce de la mort accidentelle de son ami le plonge dans une enquête à haut risque.

Actus litéraires

Les formats poche permettent quelques rattrapages. Unidivers vous en avait parlé lors de sa parution chez Gallimard en avril 2016, M Train de Patti Smith paraît chez Folio le 8 février. L’auteur emmène son lecteur pour un grand voyage au coeur de ses inspirations.

Actus littéraires

Chez Points, retrouvez Un fils parfait (Prix Claude-Chabrol 2017 du roman noir), le roman poignant de Mathieu Menegaux qui campe le combat d’une mère contre le pouvoir judiciaire lorsqu’elle voit son mariage idéal voler en éclats.

Entre Chandeleur et Nouvel an chinois, lisez sans modération.

AVALANCHE QUARTET, HENK HOFSTEDE DONNE VIE À LEONARD COHEN

Les chansons de Leonard Cohen traversent la vie du chanteur de pop néerlandais Henk Hofstede comme un fil rouge. Avec Avalanche Quartet, le chanteur reprend le répertoire du poète canadien, entre fidélité et interprétation. Ils joueront à l’Antipode de Rennes le dimanche 4 février.

avalanche quartet rennes

Si l’on n’y prenait garde, on croirait entendre de nouveau Leonard Cohen. Henk Hofstede, le leader néerlandais des Nits, a la même voix basse et grave, souvent mélancolique, peut-être un peu moins rocailleuse. Qu’il reprenne Who by Fire ou Bird on a wire, il reste fidèle au poète, et se réapproprie son répertoire sans chercher à y imposer sa marque personnelle. A ses côtés, le multi-instrumentiste Pim Kops, la chanteuse Marjolein van der Klauw et la contrebassiste Arwen Linnemann recréent la même douce atmosphère qui habille si souvent les albums du chanteur canadien.

« J’ai découvert Leonard Cohen sur un album de CBS sorti dans les années 60, The Rock Machine Turns You On, qui rassemblait plusieurs artistes », se souvient Henk Hofstede. Entre les titres de Bob Dylan et de Simon & Garfunkel, une chanson retient son attention : Sisters of Mercy. « Après cela, j’ai commencé à acheter tous les albums de Leonard Cohen dès leur sortie », explique-t-il.

Fervent admirateur du chanteur, il l’a croisé pour la première fois en 1988, dans un studio de télévision de Bruxelles. Les deux chanteurs échangent, poursuivent leur soirée ensemble dans une cafétéria. Leonard Cohen préparait alors une nouvelle tournée, et cherchait un groupe pour l’accompagner. Il propose au néerlandais de se joindre à lui. Mais le leader des Nits débute lui-même une tournée mondiale, et ils ne peuvent se coordonner. Le rêve se transforme en acte manqué, mais le lien entre les deux ne se rompt pas.

L’année suivante, Henk Hofstede embarque pour l’île grecque d’Hydra, au large de la côte orientale du Péloponnèse. Comme de nombreux autres chanteurs, Leonard Cohen avait acheté une petite maison, en 1960. Au sommet d’une volée de marches, la bâtisse de pierre n’a pas même l’électricité. De cette chambre que l’on aperçoit sur la pochette de son album Songs from a room, il compose, il écrit des poèmes, son premier puis son deuxième livre. C’est sur cette île qu’il voit les oiseaux de Bird on a wire, c’est là qu’il rencontre sa muse Marianne Ihlen, à laquelle il dédie So Long Marianne. Avec son autorisation, Henk Hofstede visite cette maison, pour réaliser un documentaire.

Il retourne sur cette île en 2002. « J’ai été invité à chanter pour une rencontre internationale de fans de Leonard Cohen », explique-t-il. Le Néerlandais y rencontre Marc Hendrickx, un écrivain belge. « Il écrivait un livre sur Cohen, et voulait y inclure un CD de ses chansons chantées par moi », explique le chanteur néerlandais. Avec son ami multi-instrumentiste Pim Kops et aux côtés de Marjolein van der Klauw et Arwen Linnemann, ils lancent Avalanche Quartet. Cinq ans plus tard, ils sortent leur album de reprises : Leonard Cohen songs; puis un deuxième en 2013, Rainy Night House.

Paradoxalement, Henk Hofstede considère n’avoir pas été tellement influencé par Leonard Cohen. « J’ose davantage chanter à voix basse, et je commence à mieux m’habiller qu’avant », s’amuse-t-il. Le leader des Nits refuse de le considérer comme un monument de la chanson, et reprend son répertoire sans éprouver de difficultés. « Il n’est pas si dur de reprendre ses chansons », explique-t-il. Pour lui, la célébrité mondiale du poète canadien facilite la reprise de ses textes les plus connus.

Avec Avalanche Quartet, Henk Hofstede ne cherche pas à s’émanciper de Leonard Cohen. Certaines de ses reprises épousent les versions du chanteur canadien. Peut-être même trop, parfois, puisque le moindre écart se fait alors remarquer. Quand Henk Hofstede chante Who by Fire, peut-être le timbre de sa voix se fait-il moins rocailleux, l’introduction de Famous Blue Raincoat est sans doute davantage parlée. D’autres reprises sont plus personnelles, la voix de Marjolein van der Klauw apporte une nouvelle profondeur à une Story of Isaac revisitée, One of Us Cannot be wrong voit ses arrangements musicaux remaniés, pour devenir électro, et presque déstabilisante.

« Un an après sa disparition, il me reste de Leonard Cohen ses chansons, son histoire, la maison sur l’île d’Hydra », témoigne Henk Hofstede. Grâce à lui, le répertoire du poète canadien connaît une deuxième jeunesse, et une nouvelle vie.

Concert AVALANCHE QUARTET organisé par Les Tombées de la Nuit de Rennes à l’Antipode MJC dimanche 4 février 2018, 16h-17h. Antipode MJC, Rue André Trasbot, Rennes.

Tarifs : 10€ / 8€ / 4€. Accédez ici à la : BILLETTERIE
Les personnes, bénéficiant de la carte sortir, peuvent acheter leurs billets à l’Office du Tourisme de Rennes ou sur place 30 min avant les représentations dans la limite des places disponibles.

DANS LA SÉRIE RIVER STELLAN SKARSGARD INCARNE UN FLIC TOURMENTÉ

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River est une série policière britannique créée par Abi Morgan avec Stellan Skarsgård. Le colosse suédois, acteur fétiche de Lars von Trier très apprécié outre-Atlantique (Will Hunting, Mamma Mia, Millenium…), joue formidablement un policier londonien habité par d’étranges visions. À Londres, un flic vieillissant peine à se remettre de l’assassinat de sa jeune coéquipière. En proie à des visions, il se lance dans une redoutable enquête. Aussi noire que tendre, une série à la mélancolie envoûtante sur la perte de l’être aimé…

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Qui était vraiment Stevie ? Que cachait-elle, que savait-elle ? A-t-on voulu la faire taire ? Au fil de six épisodes hautement addictifs, John River, anti-héros magistralement campé par Stellan Skarsgard, dialogue avec la disparue (Nicola Walker, également remarquable) qu’il est le seul à voir. Manifestations d’un déséquilibre intérieur qui contraste avec sa silhouette colossale, ses « projections » prennent aussi les visages et les voix d’un tueur en série exécuté au siècle dernier, d’une ado désespérée, de Riley, le jeune dealer dont il a involontairement causé la mort… Tour à tour, elles viennent le tancer, aiguillonner ses recherches, ou le préserver de ses gouffres intimes. Peignant à touches délicates la trajectoire d’êtres déracinés, pris dans le tourbillon d’une société sans repères ni morale ou piégés par de lourds secrets de famille, la scénariste Abi Morgan (Les suffragettes, The Hour, Shame…) cisèle une intrigue retorse et envoûtante, teintée de mélancolie. Et d’une redoutable efficacité.

Les « projections »
« Je joue John River, un officier de police qui souffre de troubles mentaux. Il y a certes des gens qui entendent des voix, mais River, lui, voit réellement des personnes, avec lesquelles il s’entretient à haute voix. Il s’agit le plus souvent des victimes des crimes sur lesquels il enquête. Elles apparaissent soudainement et discutent avec lui. Ce ne sont pas des fantômes, ce sont ses propres créations. Dans la série, nous les appelons des “projections”. Le spectateur peut les voir comme si elles étaient des personnages réels et va s’habituer au fil des épisodes à les retrouver. Elles lui deviennent familières, même s’il sait que ce sont des morts. Leurs apparitions créent un effet très intrigant, elles ébranlent en quelque sorte la réalité. »

Alter ego
« Lorsque River parle avec les “projections”, ces dialogues lui permettent d’avancer dans son enquête. C’est un outil dramatique fantastique, qui me permet de jouer la vie intérieure du personnage. Elles remplissent pour River, un homme terriblement seul, une autre fonction. Ce sont ses amis, tout comme les enfants ont des amis imaginaires, sauf que dans son cas cela relève de la pathologie. Elles ont la même utilité que celle qu’un dialogue avec soi-même peut revêtir pour chacun de nous. Mais parfois, elles le terrorisent aussi, parce que certaines d’entre elles représentent son propre côté obscur. »

RIVER

Abi Morgan
« J’ai accepté de jouer dans cette série en raison de l’écriture si particulière de la scénariste Abi Morgan qui ne ressemble à aucune autre. Son écriture n’est pas linéaire, mais obéit à des impulsions bizarres qui vous projettent d’une pensée à une autre et, selon moi, cela ressemble plus à la vraie vie que nombre de scripts à la structure parfaite que je reçois. La plupart sont la fidèle illustration du manuel Comment écrire un scénario ! Or là, je peux jouer avec les mots d’Abi Morgan. Son écriture a de réels accents poétiques. Si c’était une série télévisée normale, il serait facile de raconter l’intrigue, mais ce n’est pas le cas et c’est justement ce qui me motive. En surface, il s’agit d’une histoire criminelle, mais en réalité, le sujet principal, c’est plutôt la dépression, le deuil, la vulnérabilité. Les relations entre les personnages et les comportements humains sont abordés de façon très originale, avec une empathie chaleureuse qui, pour autant, ne tombe jamais dans le sentimentalisme. »

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DANS LA SÉRIE RIVER STELLAN SKARSGARD INCARNE UN FLIC TOURMENTÉ

River, série créée par Abi Morgan avec Stellan Skarsgård, Nicola Walker, Adeel Akhtar, Georgina Rich, Lesley Manville (Royaume-Uni, 2015, 6×60’, VF/VOSTF). Diffusion sur Arte, jeudi 1er et 8 février 2018 à 20.55 et à voir sur Arte.tv

Réalisation : Richard Laxton, Jessica Hobbs, Tim Fywell – Avec : Stellan Skarsgard (John River), Nicola Walker (Jackie « Stevie » Stevenson), Adeel Akhtar (Ira King), Lesley Manville (Chrissie Read), Eddie Marsan (Thomas Cream), Georgina Rich (Rosa Fallows) – Production : Kudos Film and Television. Nymphe d’or, Monte-Carlo 2016

COULEURS DE L’INCENDIE, UN ROMAN BRÛLANT DE PIERRE LEMAITRE

Dans Couleurs de l’incendie, Pierre Lemaitre poursuit son récit entamé avec Au Revoir là-haut. Les années trente encadrent une terrible histoire de vengeance et de libération. Un récit haletant et étrangement contemporain.

PIERRE LEMAITRE

Il est des vins que vous buvez au cours d’un repas sans y prêter trop attention, des vins qui accompagnent les mets, auxquels on pense seulement après la dégustation. Par le goût qu’ils vous laissent en bouche, par leur souvenir. Les livres de Pierre Lemaitre sont un peu identiques à ces vins. Le lecteur tourne les pages les unes après les autres. Les phrases glissent aisément, les mots coulent rapidement. Mais à la fin du livre, on se rend compte alors du plaisir que l’on a pris, de l’envie croissante d’atteindre le dénouement.

PIERRE LEMAITRE INCENDIE

L’auteur qui était prisé surtout pour ses romans policiers, avant de connaître la consécration avec le Goncourt 2013 pour Au revoir là-haut (adapté au cinéma par Albert Dupontel et en Bande Dessinée par Christian De Metter) a toujours eu l’habitude d’emmener ainsi le lecteur à ses côtés, de le promener sans temps mort d’univers en univers. De ses « polars », Pierre Lemaitre a gardé l’écriture simple, efficace, n’hésitant pas parfois à nous choisir comme témoin, à nous parler comme à un ami. Après l’immense succès public d’Au revoir là-haut, on attendait donc avec impatience, le deuxième tome d’une suite annoncée qui devrait se prolonger avec l’exode de 1940, pour se terminer, plusieurs ouvrages plus tard, en 2020.

Couleurs de l’incendie, qui peut se lire isolément, débute ainsi en 1927, sous les auspices de la grande crise financière mondiale qui couve. Marcel Péricourt, patriarche intransigeant à la tête d’un important empire financier, vient de décéder. Lors de ses obsèques, son petit fils Paul est mystérieusement défenestré et tombe sur le cercueil de son grand-père. Tout désormais repose sur les épaules de Madeleine, fille de Marcel et mère de Paul. On devine qu’en cette fin des années 20, Madeleine ne va guère faire le poids. Les femmes ont compté pendant l’effort de guerre. Celui-ci terminé, on les renvoie aux fourneaux ou à leur rôle de génitrice, selon leur classe sociale.

PIERRE LEMAITRE

Avec un plaisir d’écriture évident, s’appuyant sur une riche documentation pourtant invisible, Pierre Lemaitre trace le portrait d’une époque, d’une classe sociale, celle de la grande bourgeoisie affairiste, engoncée dans un carcan moral de façade. Les hommes sont tout. Du moins en apparence. Ils détiennent l’exclusivité du pouvoir politique comme Charles, l’oncle de Madeleine et député, dont les seules qualités sont d’avoir été le frère de Marcel. Ils détiennent le pouvoir économique comme Gustave Joubert, fondé de pouvoir, gris et médiocre sous sa redingote figée. Très vite ces hommes vont ruiner Madeleine, profitant de son inexpérience et du conformisme social auquel, inconsciemment, elle se plie.

Aussi rapidement que cette scénographie s’est mise en place, le livre va basculer pour nous offrir le lent écrasement de ces mâles dominants, qui ne voient guère plus loin que leurs intérêts immédiats. Le roman devient alors le roman de la vengeance et le roman de femmes. Le roman de Madeleine, évidemment, transformée par ce sentiment d’injustice mais aussi celui de Vladi, cette employée polonaise, au formidable entrain sexuel et à l’optimisme débridé. Ou celui encore de Solange Gallinato, véritable Castafiore, qui saura, sous des apparences de grand-guignol contester à sa manière la naissance du III ème Reich, à Berlin même. Magnifiques portraits de personnages secondaires mais vivants.

 

Pierre Lemaitre alterne l’ironie, la noirceur, le suspense mais avec cette fois-ci des thèmes qui résonnent de manière contemporaine dans nos esprits: comptes anonymes dans des banques suisses, fraude fiscale, indépendance de la justice, rôle de la presse, caractère artificiel des fortunes boursières, pédophilie, autant de travers qui rendent le propos de l’auteur plus profond et plus cynique que ces précédents ouvrages. On rit jaune quand Charles se trouve nommé à la tête d’une commission chargée de lutter contre la fraude fiscale, lui qui a toujours combattu l’impôt. On maugrée lorsque des grandes fortunes envoient leur argent en Suisse sur des comptes anonymes. L’auteur nous promène ainsi, allègrement, d’un monde à l’autre, celui de l’aéronautique à celui de la presse, celui de 1929 à celui de 2018.

CAHUZAC

En refermant l’ouvrage, malgré le siècle écoulé, on a le sentiment étrange de lire une histoire d’aujourd’hui. Comme si rien n’avait changé. Comme si l’actualité et la politique faisaient du sur-place. Comme si Charles Péricourt pouvait s’appeler Jérôme Cahuzac ou la crise de 1929 être celle des subprimes. Et cela est particulièrement déroutant. Et surtout, passionnant.

Couleurs de l’incendie un roman de Pierre Lemaitre. Éditions Albin Michel. 535 pages. 22 €.

1 février Pierre Lemaitre à Amiens
Rencontre et dédicace à partir de 18h à la librairie Martelle.
3 rue des Vergeaux
80000 Amiens

2 février Pierre Lemaitre au Havre
Rencontre et dédicace à partir de 18h à la librairie La Galerne.
148 rue Victor Hugo
76600 Le Havre

3 février Pierre Lemaitre à Yvetot
Rencontre et dédicace à partir de 11h à la librairie La Buissonnière.
10 Place Victor Hugo
76190 Yvetot

RENNES, DERNIÈRE BAIGNADE AU CLAIR DE LUNE PISCINE SAINT-GEORGES

Dans le cadre des Tombées de la nuit, le Museum of the Moon de Luke Jerram a illuminé pour un mois de plus la piscine Saint-Georges de Rennes. Pour sa dernière soirée, samedi 27 janvier, l’établissement a organisé une baignade nocturne, accompagnée par les DJ Barbes & Velours.

LUNE PISCINE

Il y a la même atmosphère que dans toute piscine. Les mêmes cris joyeux, la même humidité dans l’air lourde de chaleur, la même odeur chlorée persistante. Et puis, au-dessus du bassin, il y a cette lune, immense.

Ce samedi 27 janvier, la piscine Saint-Georges a voulu adresser un dernier salut à l’astre qu’elle hébergeait en son sein. Elle a offert à son public une dernière baignade nocturne, sous la lune artificielle du plasticien britannique Luke Jerram. Large de sept mètres, la sphère gonflée à l’hélium y avait déjà été exposée au mois de juin. Six mois plus tard, en janvier, ce Museum of the Moon avait fait son retour. Financée en partie par les Tombées de la Nuit, cette nouvelle version, copie de l’originale, n’a rien à lui envier.

LUNE JERRAM

Dans l’eau, au bord du bassin, les couples d’amoureux s’enlacent au clair de cette lune artificielle. Au-dessus de la lune, sous le plafond de la piscine, les DJ rennais Barbes & Velours enchaîne les morceaux, loin des regards. Certains dansent dans l’eau, d’autres s’élancent pour tenter d’effleurer l’astre. En vain.

LUNE RENNES

La musique envahit l’atmosphère chlorée pendant que les familles s’ébattent dans l’eau bleutée. Dans les galeries qui surplombent le bassin, certains profitent de ce spectacle poétique, assis dans des fauteuils. D’autres se photographient, pour une fois élevés au niveau de cette lune.

lune saint-georges rennes psicine

Pour une nouvelle fois, les mers lunaires effleurent presque la surface de l’eau. Mer de la tranquillité, mer de la sérénité, mer des humeurs… Des balustrades qui surplombent le bassin, on peut les voir avec netteté, pour peu que l’on sache les situer. Mais le plus souvent, l’on ne vient pas faire là des observations astronomiques; davantage, peut-être, admirer la beauté poétique de l’astre bercé de lumière.

Museum of the moon

Il a fallu 15 ans au plasticien britannique Luke Jerram pour concevoir ce Museum of the Moon. A partir d’images de la NASA rendues accessible au public, il a pu retranscrire avec précision le moindre détail de l’astre lunaire. Chaque centimètre de la sphère représente cinq kilomètres de la lune, et l’on peut se perdre dans ces micro-détails pendant de longs moments, enveloppés dans la musique.

lune saint-georges rennes psicine

« Chaque culture a sa propre relation à la lune, laquelle varie d’un pays à l’autre », expliquait Luke Jerram. Dans la mythologie chinoise, un lièvre y réside, et y pile la drogue d’immortalité. Avant la colonisation espagnole, les populations du Mexique associaient le lapin à l’astre, symbole de fécondité; pour les Grecs au contraire elle était associée à la chaste Artémis.

Partout, on cherche à expliquer les brûlures figurées par ses cratères, ses cycles de disparition. Elle rythme les différents calendriers, se fait, dans la littérature, la complice des amours secrètes, nocturnes. Pour le plasticien britannique, elle est un « miroir culturel de nos croyances, de nos compréhensions du monde et de nos façons de voir les choses ».

lune saint-georges rennes psicine

Classée aux monuments historiques, avec ses mosaïques Odorico, la piscine offre un écrin parfait à cette lune. Son éclat bleuté offre un écho poétique aux arcades, aux balustrades de fer forgé, aux tessons multicolores qui recouvrent les murs, le sol. Elle renoue pour cette fois à sa proximité avec l’eau, elle qui provoque les marées. Elle devient surtout un objet magique, suspendu dans l’air au-dessus du bassin aussi bien pour les simples spectateurs que pour les nageurs.

Barbes et Velours
Photo issue de la page FB de Barbes & Velours

Pour une dernière fois, ceux-ci se laissent dériver dans l’eau sous sa masse impressionnante, brisant son reflet dans les éclaboussures du crawl. L’heure passe sans que la musique ne cesse, et ce soir-là, la lune appartient encore à la nuit, avant de partir illuminer d’autres cieux. Au moins restera-t-il encore l’autre lune, la vraie, que l’on pourra toujours admirer dans le ciel rennais quoi qu’il arrive, les cheveux toujours mouillés et sentant le chlore.

Crédit Photo : Yves Souben (sauf mention contraire)

Les DJ rennais Barbes & Velours à découvrir ici et sur leur page Facebook.

RENNES. AU CAFÉ JOYEUX RUE VASSELOT LE HANDICAP RÉCHAUFFE LES CŒURS

Le Joyeux est un coffee-shop d’un genre nouveau qui vient d’ouvrir ses portes au 14 rue Vasselot à Rennes. Huit jeunes adultes qui présentent un handicap mental ou cognitif accueillent et servent café, viennoiseries maison, plats et salades aux clients rennais du Joyeux. Les employés de ce café, créé par Yann Bucaille Lanrezac, ont décidé en conscience de vivre une expérience unique, enrichissante et valorisante.

JOYEUX
Yann Bucaille Lanrezac, entrepreneur et fondateur du Joyeux

Le Joyeux occupe une place originale dans le paysage des cafés bretons puisqu’il fonctionne avec un effectif composé principalement de huit jeunes adultes en situation de handicap mental ou cognitif, atteints de trisomie ou d’autisme.

Quel parcours vous a conduit à créer le Joyeux ?

Yann Bucaille Lanrezac : C’est un parcours semé de bonnes surprises. Ce sont des rencontres plutôt qu’un parcours. Le point fort de mon « parcours » est la création d’une association avec mon épouse qui s’appelle Émeraude Voile Solidaire. On a fait construire un gros catamaran pour permettre d’embarquer avec des personnes en fragilité, en souffrance. Cette association nous a permis, avec mon épouse, d’être davantage au contact de la différence.

Ensuite, cela nous a sensibilisés sur le fait que dans le monde du travail, il y a une exclusion encore plus forte auprès des personnes qui ont un handicap mental. Le taux de chômage en France pour les personnes handicapées mentales est beaucoup plus fort que le taux de chômage qui est déjà trop important en France. L’idée est de se dire comment peut-on faire quelque chose même modestement. Ce n’est pas seulement l’objectif de créer de l’emploi pour des personnes exclues, c’est aussi l’objectif de permettre à ces personnes de travailler en milieu ordinaire, au coeur de la ville.
Cela permet la rencontre avec des personnes comme vous et moi qui n’y sont pas forcément habituées. On ne voit pas beaucoup de personnes en situation de handicap alors qu’en réalité il y en a beaucoup plus qu’on ne le croit, mais ces personnes sont mises à l’écart. Elles sont souvent mises à l’écart dans des structures spécialisées, ce qu’on appelle le « monde protégé » c’est-à-dire dans des ESAT (Établissement et service d’aide par le travail), ce qu’on appelait les CAT (Centre d’aide au travail) à une époque, dans des foyers de vie.

Là l’idée est de dire qu’elles peuvent travailler dans une des plus belles rues de Rennes au milieu des boutiques chics. C’est possible, ça fonctionne. Je ne sais pas si on peut parler de parcours, mais de rencontres, ça, c’est sûr avec une réelle volonté au départ qui est de dire : comment est-ce que je peux contribuer au bien commun ; on a tous envie d’y participer.

L’idée de créer ce coffee-shop novateur est venue à la suite de la demande de Théo – un jeune homme de 20 ans marqué par des troubles autistiques – qui vous a demandé lors d’une sortie en mer organisée par votre fondation Émeraude solidaire, si vous pouviez lui trouver du travail. Question à laquelle vous avez dû répondre par la négative. Le jeune homme s’est énervé au motif qu’il trouvait votre réponse injuste.

Combien de temps s’est écoulé entre cet épisode et l’ouverture du café ?

Yann Bucaille Lanrezac : Il s’est passé plus de quatre ans, car c’est long à mettre en place. Au départ, j’étais parti sur un autre projet qui était dans les D3E (Déchets d’équipements électriques et électroniques). C’est un projet qui pouvait être intéressant pour proposer du travail aux personnes handicapées, mais qui ne m’a, au final, pas satisfait totalement parce qu’on était encore à l’extérieur. C’était un projet industriel. Tout cela a pris du temps. Ensuite, il y a eu deux ans de travail sur Joyeux.

Vous aviez à l’origine fondé une entreprise dans l’énergie solaire. Monter un projet de coffee-shop avec une forte valeur ajoutée humaine vous a-t-il mis face à de difficultés inconnues ?

Yann Bucaille Lanrezac : On retrouve un peu les mêmes difficultés qui sont, comme tout projet entrepreunarial, des défis humains. Que ce soit dans l’énergie solaire comme dans les coffee-shop la réussite repose sur un bon esprit d’équipe, réussir à faire en sorte que chacun puisse dévoiler ses talents à la hauteur de sa personnalité : Vianney je pense qu’il serait incapable de vous cuisiner un brownie. Par contre, il est excellent pour l’accueil. Brandon, j’espère qu’un jour il deviendra le meilleur cuisinier de pâtisseries et de sandwich de Rennes, car il est passionné ! En revanche, il a moins d’affinités pour le service. Dans tout projet, il faut réussir à trouver la bonne place pour chacun, à mettre en lumière leur talent.

JOYEUX
Thérèse, serveuse au Joyeux

Vous êtes-vous inspiré d’autres initiatives pratiquées en France ou dans le monde ?

Yann Bucaille Lanrezac : Il y a plein de choses qui se font dans le domaine de la restauration. Il y a énormément de choses qui se font déjà en France : les ESAT qui ont un système de restauration, mais c’est souvent malheureusement toujours un petit peu cloisonné. Ensuite, il existe à Rome depuis vingt ans, trois restaurants, des pizzerias, qui font travailler des personnes trisomiques. Il y a notamment un restaurant où nous sommes allés, avec mon épouse, qui s’appelle Sant’Egidio. C’est moins branché qu’ici, mais c’est sympa aussi. Ça fonctionne. C’est quand même dans Rome. Ensuite, nous sommes allés déjeuner Au Reflet, qui est un restaurant à Nantes. Il y a aussi un projet aux États-Unis. Il existe des choses.

Là où nous sommes très innovants, c’est que nous sommes le seul restaurant ou café qui, à ma connaissance, est ouvert toute la journée. Les gens rentrent sans réservation, c’est unique à ma connaissance. Il faut s’adapter au flux de personnes qui arrivent sans anticiper le nombre, sans réservation.

JOYEUX

Jean Vanier est un humaniste, philosophe et théologien reconnu qui vous a inspiré. Quel enseignement retenez-vous de lui en particulier ?

Yann Bucaille Lanrezac : Jean Vanier est un prophète des temps modernes, qui est encore en vie. C’est un homme incroyable. C’est vraiment une source d’inspiration. Il compare le monde à un corps humain. Dans votre corps vous avez des parties qui sont aux yeux de l’extérieur plus honorables que d’autres. Vous allez mettre en avant votre visage, vous maquiller. Par contre, il y a des parties de votre corps que vous allez cacher. Ces parties de votre corps cachées sont essentielles. Vos yeux sont beaux, mais ne peuvent pas se passer de vos mains, de vos pieds. Jean Vanier dit que pour la civilisation humaine c’est la même chose.

On a des gens forts, puissants, beaux qui sont mis en avant et puis il y en a d’autres qui, sous prétexte de leur différence, sont mis de côté, sont cachés. Et pourtant, on a besoin d’eux. Pourtant le monde a besoin des pauvres. Les pauvres en général comme les appelle Jean Vanier, les gens différents sont eux qui permettent d’unifier et d’apaiser le monde. Il faut passer par ces gens là. Dès l’instant qu’on cache ces personnes fragiles, qu’on les met à l’écart, car on a honte d’eux. C’est vraiment ça.

Il y a des pays comme en Chine, dans pas mal de pays asiatiques ou dans certaines zones du monde, en Afrique aussi, c’est la honte d’être handicapé. On les cache voire on les tue. La paix peut passer si on accepte d’être ensemble avec les différences et on se rend compte qu’on va progresser, voire s’édifier grâce aux personnes fragiles. Donc oui, Jean Vanier est une source d’inspiration importante pour nous.

Il n’a pas fait que parler. Il a monté 180 foyers d’accueil de personnes en situation de handicap mental et foyers de vie où les personnes habitent ensemble avec des personnes dites ordinaires. C’est aussi un homme d’action avec une énorme humilité, c’est un exemple. Il habite et travail dans une toute petite pièce, tout modestement. Il rêverait de venir, mais sa santé ne le permet pas. À quatre-vingts ans, il fait des conférences en français et en anglais sur le handicap et la fragilité. Il explique à quel point la fragilité non seulement on la rejette, mais on devrait prendre conscience qu’elle est presque nécessaire dans un monde où on veut que tout le monde soit parfait. Le but de ce projet Joyeux est aussi de dire que la différence n’est pas là par hasard. Elle est peut-être là pour ouvrir nos cœurs.

JOYEUX

En matière de ressources humaines, comment recrutez-vous votre personnel et jouit-il de tous les avantages des droits contractuels en vigueur ?

Yann Bucaille Lanrezac : Nous sommes passés par des organismes, des IME (Institut médico-éducatif), des associations, des foyers. Nous sommes, par exemple, passés par le foyer d’accueil de l’Arche à Bruz de Jean Vanier. Nous sommes rentrés en contact avec des familles directement qui sont venues avec leur enfant en entretien. On a fait toutes les formules au niveau administratif : le stage, la mise à disposition et puis on a commencé à signer les premiers C.D.I.

Parfois, il y a des aides comme des exonérations de charges, on ne s’en prive pas, on les prend, c’est très bien. Mais notre modèle ne repose pas là-dessus. On est vraiment une entreprise comme les autres. Toutes les entreprises qui font ce que nous faisons peuvent bénéficier des mêmes aides s’il y en a. On a vraiment insisté pour avoir une approche entrepreunariale et pas associative, car on veut démontrer que c’est le milieu ordinaire de l’économie. Nous ne sommes pas en train de tout adapter et tout faire spécialement pour eux. C’est pour montrer que cela peut fonctionner dans l’économie avec une spécificité qui est que l’actionnaire unique de cette entreprise est une fondation. Ce ne sont pas des individus privés.

La fondation dont vous parlez est-elle la fondation Émeraude Solidaire ?

Yann Bucaille Lanrezac : Oui, quand il y aura des dividendes, des profits qui remonteront à l’actionnaire, ils remonteront à cette fondation qui vit depuis presque 10 ans et distribue ces dons à plein d’associations différentes.

JOYEUX

Quel type de projets et d’associations votre fondation finance ou soutient-elle ?

Yann Bucaille Lanrezac : La fondation permet de soutenir des projets dans plein de causes différentes, à l’étranger, en France. Cela peut être dans l’éducation, la construction d’écoles en Asie ou en Afrique. En France, dans le soutien de personnes qui vont à la rencontre de personnes exclues, marginalisées. Par exemple, des associations qui soutiennent des gens de la rue, qui vont à la rencontre de prostituées. Il y a une grosse association, Émeraude Voile Solidaire qui est soutenue par la fondation. On fait 70 sorties par an sur le bateau Ephata qui permet d’organiser des sorties pour les personnes en fragilité.

Est-ce que le statut de fondation offre des avantages, notamment fiscaux ?

Yann Bucaille Lanrezac : C’est une fondation donc les dons qu’elle collecte sont défiscalisés comme toute fondation. Par rapport à Joyeux cela ne change rien. Joyeux n’est pas une fondation, c’est une entreprise, une SARL.

Vous n’avez donc pas d’autres soutiens financiers que la fondation ?

Yann Bucaille Lanrezac : C’est une fondation privée qui est financée uniquement sur fonds privés.

Le management au sein du Joyeux est-il différent d’un coffee-shop standard ?

Yann Bucaille Lanrezac : Le management d’un coffee shop comme Joyeux est forcément un peu différent car il demande une flexibilité importante. Le rythme de travail de chaque cuisinier et serveur Joyeux varie. Les pauses sont aussi plus récurrentes. Manager l’équipe des Joyeux nécessite de l’écoute, de l’attention et de l’anticipation ainsi qu’une grosse dose d’humanisme. Chaque contrat est personnalisé. Il faut s’adapter à chaque compétence et agir avec bienveillance pour révéler les talents de chaque membre de l’équipe.

JOYEUX

Vous avez pour projet d’ouvrir un Café Joyeux à Paris qui s’apparente à celui de Rennes. Le deuxième d’une longue lignée ?

Yann Bucaille Lanrezac : On aimerait bien un jour ouvrir un Joyeux à Paris, c’est en projet. Si ici ça marche, on aimerait bien en mettre d’autres ailleurs. On ne peut pas se prononcer là-dessus, car nous ne sommes sûrs de rien.

Café coffee-shop Le Joyeux, 14 rue Vasselot, 35000 Rennes. 02 99 86 06 55

Horaires :
lundi Fermé
mardi 09:00–18:00
mercredi 09:00–18:00
jeudi 09:00–18:00
vendredi 09:00–18:00
samedi 09:00–18:00
dimanche Fermé

https://www.youtube.com/watch?v=wpCEOnasjh4

LES INDIFFÉRENTS UN ROMAN DE JULIEN DUFRESNE-LAMY

Pour son quatrième roman, Julien Dufresne-Lamy, nous entraîne dans la bonne société du Cap Ferret, celle qui passe les hivers à Paris, celle qui parade sur cette langue de sable et de pins, l’été venu. Le lieu, s’il paraît enchanteur, reste hélas réservé à une poignée de privilégiés. Ne passe pas ses étés, ses vacances au Cap qui veut. C’est pourtant le lot de ces adolescents que nous allons fréquenter tout au long de ce récit qui oscille entre innocence, légèreté autant que cruauté, insolence et gravité. Eh non, on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans !

LES INDIFFÉRENTS JULIEN DUFRESNE-LAMY

Cette bande-là, si elle peut sembler attachante par certains côtés, n’est pas sans nous rappeler notre adolescence à nous autres lectrices, lecteurs, même si nous n’avons pas tous eu la chance de pouvoir évoluer dans de somptueuses maisons avec vue sur la mer ou la dune du Pilat, l’île aux oiseaux et brûler nos soirées estivales dans des fêtes grandioses au bord d’une piscine. Derrière l’idyllique se dissimule souvent le pire…

LES INDIFFÉRENTS JULIEN DUFRESNE-LAMY

Dans cette bande-là, Théo, Daisy, Léonard et les autres se surnomment Les Indifférents. Ils sont les élus, les enfants bénis et personne ne les approche ou n’oserait les approcher. On pourrait les traiter de merdeux, de crâneurs, de bourgeois, pauvres de nous petits envieux crasseux. En fait, ce sont eux qui méprisent les autres, les moquent ou mieux les ignorent. Car les autres, les modestes, les pauvres, les laissés-pour-compte les indifférent totalement, sauf quand ils trouvent en eux d’excellents boucs-émissaires.

LES INDIFFÉRENTS JULIEN DUFRESNE-LAMY

Encore que… Quand Justine arrive de son Alsace natale avec sa mère, pour tenter de se reconstruire et retrouver le Cap Ferret des vacances, la jeune fille, pourtant issue de milieu modeste, réussit à intégrer le clan des Indifférents, pour des joies éphémères, pour de nombreuses nuits désenchantées. Elle devra faire son apprentissage. Elle découvrira aussi que les parents des Indifférents, y compris sa mère, leur ont légué leurs histoires du passé, leur propre adolescence, un passé souvent trouble où l’omerta est légion.

Un drame survient. L’un des membres du groupe va mourir. Lequel ou laquelle ? Julien Dufresne-Lamy, plume aiguisée autant qu’agile ne nous le dévoilera que très tard. Et c’est heureux car le suspense est maintenu jusque dans les toutes dernières pages. Maestria de l’artiste. Les tableaux se succèdent, les peurs et les angoisses montent ou redescendent, au rythme des marées.

Cruauté adolescente, désillusion, hérédité féroce, Les Indifférents raconte la vie et la mort d’une bande. Implacable comme une vague frappant la rive.

Les Indifférents, Éditions Belfond, 336 pages, parution février 2018, Prix : 19,00 €.

Couverture : © Voiture 14 – A. Bullat-Piscaglia & G. Bullat – Photo Julien DUFRESNE-LAMY – © Belfond

LES INDIFFÉRENTS JULIEN DUFRESNE-LAMY
Crédit photo : © Melania Avanzato

Julien DUFRESNE-LAMY

Né en 1987, Julien Dufresne-Lamy vit et travaille à Paris. Il est l’auteur de Dans ma tête, je m’appelle Alice (Stock, 2012), Mauvais joueurs (Actes Sud junior, 2016) et Deux cigarettes dans le noir (Belfond, 2016). Les Indifférents est son quatrième roman.

FAUVE D’OR À ANGOULÊME, BD LA SAGA DE GRIMR, COMMENT NAÎT UN VOLCAN ?

Comment naît un volcan ? Dans une BD aux aquarelles superbes intitulée La saga de Grimr Jérémie Moreau apporte une réponse sous forme de saga islandaise. Magnifique. La Saga de Grimr a reçu le Prix Fauve au festival de BD d’Angoulême.

BD LA SAGA DE GRIMR

Si l’on devait décrire un lieu à l’origine du monde, nul doute que celui-ci ressemblerait à l’Islande. La terre y est instable comme un nouveau né. Le feu la dévore prêt à tout engloutir en quelques secondes. Le rouge incandescent côtoie le noir de la suie. Le vert et le violet de la belle saison s’estompent parfois au profit du gris et du blanc hivernal. Et l’homme a ses racines dans les branches d’une généalogie ininterrompue (on naît « Sson » fils de, ou « Döttir » fille de) qui puise sa sève dans les sagas, ces textes anonymes ou des inconnus veulent se libérer de leur modeste condition humaine pour être sauvé de l’oubli et vaincre leur propre mort.
BD LA SAGA DE GRIMRC’est sur cette terre si belle et si dure à la fois que Jérémie Moreau pose des dessins pour raconter l’histoire de Grimr, appelé « Grimr Enginsson, fils de personne », terrible dénomination dans ce pays où l’on se doit de survivre, au moins par son nom, au-delà de son dernier souffle. Placé sous le joug danois en ce XVIIIe siècle, la misère islandaise est généralisée, et Grimr cet enfant à la force herculéenne, à la chevelure rousse, couleur de feu, va connaître toutes les injustices. Élevé par un voleur, loin des hommes, il devient passeur de fjord avant d’être accusé d’assassinat par un mystérieux émissaire danois. Confronté à toutes les noirceurs et injustices de la vie, Grimr consacre alors sa force à ramasser des pierres, à les transporter dans un but mystérieux. Dès les premières cases, le regard haineux de Grimr, envers les hommes, n’a d’égal que sa volonté à exister à leurs yeux. Sa force magnifiée s’atténuera lorsqu’il découvrira l’amour, un amour lui aussi contrarié et qui décuplera sa violence. Fidèle à la définition de la saga, le récit  nous promène entre une réalité sociale et économique bien réelle (en France une révolution va bientôt éclater) et des éléments de légende surnaturelle.BD LA SAGA DE GRIMR

Jérémie Moreau touche, avec ses dessins à l’ordinateur, au sublime exprimant avec un talent renouvelé toute la noirceur et la beauté de l’île. Avec son dernier grand succès « Le singe de Hartlepool » il avait accompagné le scénario de Lupiano, le dessin s’effaçant devant un récit captivant. Dans la BD La sage de Grimr en renouvelant son style, l’auteur brise la monochromie du récit par l’explosion d’une magnifique palette de couleurs pour peindre les paysages pleine page, faisant vrombir les volcans en frisant parfois l’abstraction comme dans les photos de Ernst Haas. La démesure de la nature, la taille infime de l’Homme sont parfaitement suggérées et montrent la nécessité qui Lui est faite de grandir pour affronter son destin et rentrer dans l’éternité. La volonté de Grimr répond en un écho tellurique à la violence des éléments naturels. Tout n’est que force, force non maîtrisée de la nature, force destructrice de l’âme humaine. Parfois même le dessin se fait vibrionnant, tremblotant pour montrer le caractère instable d’un monde sous la main des puissants. Jérémie Moreau sait dessiner et raconter, avec un talent rare, la démesure, quand la nature répond aux moments opportuns aux bassesses humaines. Le dessin alors domine le texte.

BD LA SAGA DE GRIMRAvec cette magnifique bande dessinée La saga de Grimr, le voyageur qui a eu la chance de se rendre en Islande se retrouvera de suite en terrain connu. Celui qui n’a pas marché dans les fjords et sur les volcans de l’île ressentira l’âme de ce pays unique. Il ressentira la puissance d’un volcan en train de naître, celui de Grimr. Ou d’un autre héros qui est passé du côté de l’éternité, malgré la petitesse des hommes.

BD LA SAGA DE GRIMR

BD La Saga de Grimr Jérémie Moreau, Éditions Delcourt, septembre 2017, 25,50€.

YVES LIGNON GUIDE LE VOYAGEUR AU PAYS DU PARANORMAL

Yves Lignon est un personnage dans le monde des phénomènes inexpliqués. Maître de conférences honoraire de mathématiques à l’université Jean Jaurès de Toulouse, fondateur du laboratoire de parapsychologie de la ville, en 1974, Yves Lignon est aussi un enquêteur vigilant, un chasseur de charlatans et d’illuminés, mais, surtout, un chercheur passionné, notamment par le paranormal. Expert dans ce vaste domaine, il vient de publier le Petit guide scientifique du voyageur au pays du paranormal (éditions La Vallée Heureuse). Une palpitante somme qui évoque tant la voyance, la télépathie et les prémonitions, que les guérisseurs, les fantômes, les maisons hantées et les grandes énigmes telles que l’alchimie. Si chacun des chapitres de son livre s’appuie justement sur des travaux scientifiques et qu’Yves Lignon revendique l’importance de ces sujets de recherche, souvent injustement méprisés, il n’oublie pas qu’il écrit pour des lecteurs, mêlant anecdotes et repères historiques dans cette « carte » du pays du paranormal qui en devient aussi un livre d’enquêtes et d’aventures. Entretien avec un « étudiant » persévérant.

Vous établissez une cartographie du « pays du paranormal » que vous avez exploré en tant que scientifique en créant dès 1974 le laboratoire de parapsychologie de Toulouse. Était-ce alors une gageure ?

Yves Lignon : Oui c’était une gageure et je n’en étais pas conscient. La génération précédente m’avait pourtant prévenu. Qu’un universitaire aussi prestigieux, aussi réputé à l’international, que le biologiste Rémy Chauvin a été obligé de prendre un pseudonyme pour publier en anglais les résultats de certaines expériences aurait dû me retenir. Et comme cela arrive de temps à autre aux inconscients, j’ai eu de la chance. Aussi tumultueuses qu’aient pu être, par périodes, mes relations avec les dirigeants de mon université j’ai toujours été soutenu par mes collègues du département de mathématiques. Pour elles et eux, « pas de tabou pour l’investigation scientifique » n’a jamais été un vain mot et cela m’a permis de disposer sans interruption d’une logistique (local, ligne téléphonique…) pendant 34 ans.

yves lignon guide paranormal
Yves Lignon

Quelle était votre ambition alors ? Plonger justement dans les zones d’ombres dans lesquelles peu de scientifiques s’aventurent ?

Yves Lignon : Comme tout humain je suis attiré par le merveilleux. Peut-être un peu plus que la moyenne puisque dès le début de l’adolescence je suis devenu un fan de littérature et de cinéma fantastique — ma première lecture a été La vénus d’Ille de Prosper Mérimée. Découvrir que l’imaginaire dans lequel baignent ces romans et ces films pouvait être accessible à la science m’a enthousiasmé parce que je revendique aussi d’être un scientifique pur et dur, pas loin de l’intégriste (rires). Et en même temps le constat du désintéressement de la communauté scientifique française m’a semblé inacceptable — toujours l’inconscience.

yves lignon paranormal

Quel était votre objectif premier en publiant ce guide ? Donner des bases aux néophytes ? Insister sur les dérives encore prégnantes aujourd’hui ?

Yves Lignon : Ce n’est pas parce qu’il se drape dans une blanche hermine qu’un universitaire peut oublier qu’il ne doit pas seulement exposer un savoir devant qui ne le possède pas. Rappeler la nécessité de développer l’esprit critique relève de la lapalissade. Dans l’Allemagne des années 30, le pullulement des « voyants » a précédé l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Et l’attitude scientiste du « circulez, il n’y a rien à voir » a un effet pervers, car elle laisse le champ libre aux charlatans. Voilà pourquoi j’écris des livres, parce que la dérive vers l’irrationnel m’effraie et que je me dis, avec Churchill, que pour attraper les carpes on peut vider le bassin en se servant d’une cuiller à thé.

On comprend en vous lisant toutes les affaires auxquelles vous vous êtes intéressées depuis plus de 40 ans. Comment ont évolué la recherche et l’opinion publique depuis les années 70 ? Pourquoi la France est-elle si en retard dans le domaine ?

Yves Lignon : Dans la communauté universitaire française, l’idéologie dominante exclut l’existence de certaines capacités humaines. L’idée que quelqu’un puisse agir sur un organisme humain est rejetée a priori sous prétexte d’irrationalité et de lutte contre l’obscurantisme. Situation paradoxale puisque l’irrationnel se trouve justement dans le fait de refuser d’aller voir les choses de près et qu’en mettant la tête dans un trou, l’autruche plonge ses yeux dans le noir. Et, bien que n’équivalant pas à « idéologie majoritaire », l’expression « idéologie dominante » tient au fait que ceux qui s’en réclament tiennent fréquemment les leviers de commande. Combien de mes collègues sont venus me demander l’adresse d’un voyant ou d’un guérisseur avant de s’abstenir prudemment — parce qu’ils pensaient à la suite de leur carrière — au moment d’un vote sur l’attribution de crédits à la recherche en parapsychologie !!! Bref le retard de la France tient à des raisons philosophiques et historiques certainement pas à des raisons véritablement scientifiques.

Les scientifiques s’intéressant à ces domaines sont-ils selon vous moins déconsidérés qu’auparavant ? Les phénomènes paranormaux ou inexpliqués sont-ils en passe de devenir des sujets d’étude « propres » ?

Yves Lignon : Je penche vers un optimisme sans exagération. Oui, il y a du changement. Le mur de Berlin n’est pas encore tombé, mais on entend de mieux en mieux les craquements. Généralement jeunes, les scientifiques qui s’intéressent aujourd’hui aux phénomènes paranormaux n’ont plus besoin de se cacher et ne sont plus attaqués comme j’ai pu l’être, même s’ils ne peuvent pas encore travailler dans le cadre universitaire, car la création d’un Institut français de parapsychologie n’est pas pour tout de suite.

Vous rencontrez toujours des obstacles, des inimitiés dans un univers parfois violent. Qu’est-ce qui vous pousse à toujours poursuivre vos recherches ?

Yves Lignon : Explique-t-on la couleur des cheveux ? La passion d’apprendre doit être inscrite dans les chromosomes. Si je devais choisir un pseudonyme, ce pourrait être Student. Malheureusement, il est déjà pris par le grand statisticien W.S. Gosset, un de mes modèles.

Ces recherches se sont doublées de ce que Jacques Pradel, qui préface votre livre, appelle « une chasse aux escrocs ». Prend-elle parfois le pas sur l’aspect scientifique parce que leur nombre augmente… ?

Yves Lignon : À mes débuts je ne pensais que travail de laboratoire. Après une intervention dans une affaire médiatisée (les incendies de Seron en 1979), notre groupe a commencé à recevoir des demandes auxquelles nous ne nous attendions pas. Nous avons choisi de répondre en nous référant à des valeurs que nous partagions. Et dès le milieu des années 1980, ce que nous appelions « les activités d’hygiène mentale » occupait la moitié du temps.

https://youtu.be/ABc7qq-_DyE

J’insiste sur « valeurs partagées » : dans le groupe ressemblant à l’abbaye de Thélème qu’était le Laboratoire de Parapsychologie de Toulouse, on s’accordait plus facilement quand on parlait de rugby ou de jazz qu’en discutant politique, mais toutes celles et ceux qui m’ont accompagné de 1974 à 2008 jugeaient insupportable l’exploitation de la détresse morale et psychologique.

On suit ce « petit guide de voyage », empli d’exemples précis, d’histoires incroyables, comme le précédent l’était de récits palpitants (Chroniques du Mystère, éd. La Vallée Heureuse, 2016), comme un roman d’aventures ou d’enquêtes. Était-ce aussi votre objectif ?

Yves Lignon : Un peu. Parce qu’à mon âge, j’éprouve plus que jamais le sentiment d’une double frustration. Celle de ne pas avoir étudié le latin et celle d’être incapable d’écrire un roman. Quand un éditeur et ami m’a encouragé à essayer, je lui ai répondu que pour écrire un roman, un vrai, pas un de ces détestables trucs à succès baptisés autofiction, il faut inventer des personnages et construire une intrigue, deux choses que je ne saurai jamais faire. La preuve : le seul texte de fiction que j’ai publié (chez un autre ami) a pour héros Sherlock Holmes et pour sujet un fait divers toulousain. Alors comme tous les frustrés je compense à ma manière, soit en essayant de raconter des histoires vécues.

yves lignon guide paranormal
Joseph Banks Rhine, pionniers de la parapsychologie a suivi la ligne que poursuit Yves Lignon : « Nous ne croyons pas au paranormal, nous l’étudions »

Est-ce l’inconnu qui vous a toujours attiré ? Finalement, n’est-ce pas la quête elle-même qui vous motive — sur des sujets, comme vous l’écrivez, sur lesquels on apporte peu de réponses encore — plus que son issue ? Les points d’interrogation davantage que les réponses ?

Yves Lignon : Encore les chromosomes. Est-ce la mer ou le voyage qui attirait le Marius de Pagnol ? N’importe quel membre de la communauté scientifique s’attaque à l’inconnu parce que la rage de chercher le motive et cherche parce que l’idée de s’attaquer à l’inconnu le fascine. La vieille blague « On trouve des chercheurs qui cherchent, mais on cherche des chercheurs qui trouvent » n’a de sens qu’appliquée aux tire-au-flanc (on en trouve dans le milieu universitaire comme on en trouve ailleurs, mais pas davantage) et depuis toujours la connaissance a progressé parce que si la galère de la science est pilotée par des génies ce sont les tâcherons qui rament pour qu’elle avance.

https://youtu.be/Q2lLItO1O20

L’arrière-plan de ces phénomènes, souvent reliés aux grandes questions de l’existence et de sa fin, est-il aussi essentiel dans votre implication ?

Yves Lignon : Ah bien sûr. Étudier les phénomènes paranormaux pose davantage de questions que la recherche sur la physiologie d’Elliot le dragon. Et là, c’est mon passé qui a joué : j’ai fait mes études secondaires au lycée de Limoux (dans l’Aude, en Occitanie), une ville de 10 000 habitants (où la télévision n’est arrivée que l’année où j’ai passé le bac) et eu la chance, énorme, immense, d’avoir affaire à une constellation de professeurs qui éduquaient tout en enseignant. Quand, en classe de seconde, on vous fait lire Dickens et Cervantès dans le texte, quand un prof de maths vous explique que si une bombe atomique tombait sur votre commune les journaux mettraient surtout en évidence « à 800 km de Paris », quand le prof de philo vous parle de Bertrand Russell… on se retrouve bien armé pour s’interroger une fois parvenu à l’âge adulte.

Votre précédent préfacier, Philippe Marlin, vous qualifiait de « guerrier des temps modernes ». Jacques Pradel de « vieux sage » : cela vous convient ? Ou plutôt guide passionné ? Où préférez-vous rester « simplement » chercheur en parapsychologie ?

Yves Lignon : Les amis prennent leurs responsabilités quand ils parlent de moi, mais ils ne devraient pas exagérer !!! J’ai dit plus haut quel pseudo j’aurai voulu pouvoir choisir (Student). On peut y ajouter la maxime de Philippe Soupault : « Quand on est jeune, c’est pour la vie ».

Jacques Pradel rappelle la devise de Rhine (l’Américain Joseph Banks Rhine est l’un des pionniers de la parapsychologie) « Nous ne croyons pas au paranormal, nous l’étudions ». La faites-vous effectivement vôtre ?

Yves Lignon : Oh là, là oui et archi-oui. La recherche en parapsychologie consiste tout simplement à se pencher sur certaines anomalies en prenant la raison par le bon bout. Et prendre la raison par le bon bout impose de laisser de côté l’affectif pour s’en tenir à ce que l’on sait ou ne sait pas. Il en résulte que le verbe croire n’a pas de sens scientifiquement parlant.

Diriez-vous, en tant que scientifique, mathématicien rigoureux, que l’étude des phénomènes paranormaux vous a apporté une vision différente de l’existence et de la mort ?

Yves Lignon : Certainement et je le redis volontiers. Les phénomènes parapsychologiques posent d’abord d’importantes questions strictement scientifiques telles que, par exemple, celle de la découverte des mécanismes naturels qui font qu’un guérisseur guérit ou que quelqu’un peut prendre connaissance d’un événement avant qu’il se produise. Ce ne sont pas les seules. Les dernières avancées de la parapsychologie amènent à s’interroger sur la nature de la conscience humaine. Est-elle vraiment produite par le cerveau comme tout le donnait à penser jusqu’à présent ? Parce que la question est nouvelle, la science ignore la réponse, mais si jamais cette réponse se révélait positive elle impliquerait que l’être humain n’est pas seulement une mécanique biologique destinée à tomber un jour définitivement en panne. Excusez du peu.

Yves Lignon Petit guide scientifique du voyageur au pays du paranormal, Éditions La Vallée Heureuse, 10 octobre 2017, 18 €, 264 pages, 978 236 696 044.

 

EXPO PHOTOS RENNES 2, LA BRETAGNE DANS L’OBJECTIF DE THERSI

L’exposition Mon pays, je l’invente – la Bretagne dans l’objectif de Thersi se déroule à la Galerie la Chambre claire de l’Université Rennes 2 du 23 janvier au 23 mars 2018. En partenariat avec l’association des Amis de Thersi, le service culturel de l’Université  consacre une exposition au photographe breton Michel Thersiquel. À travers une série de portraits noir et blanc, artistes, paysans, artisans forment, côte à côte, une Bretagne aux multiples visages.

Michel Thersiquel
Michel Thersiquel dit Thersi

Jean-Michel Le Boulanger, premier vice-président de la Région Bretagne, chargé de la culture et de la démocratie régionale, Olivier David, président de l’Université Rennes 2 et Marcel Le Lamer, président de l’association des Amis de Thersi inauguraient hier midi l’exposition consacrée à Michel Thersiquel qui se tient à la Chambre claire jusqu’au 23 mars.

expo Thersi rennes

C’est son séjour de huit ans à Pont-Aven, qui va transformer Michel Thersiquel en Thersi. En 1966, il s’installe, près du pont. Sous les toits, une verrière orientée nord-ouest. C’est là que ce fils de photographe-horloger de Bannalec va produire les portraits qui immédiatement vont le rendre célèbre. C’est dans la cité des Peintres, au frottement des chanteurs-écrivains-poètes en pleine création, qu’il se forge une solide culture artistique. Et qu’il se construit un style, un nom et un renom. Encensé par ses pairs tout jeune, des expos vont suivre, en Bretagne, à Paris et à l’étranger.

photo Thersi

Pendant plus de quarante ans, Thersi va magistralement photographier la matière bretonne en plein renouveau. Les artistes, ses amis, bien sûr, mais aussi et surtout les humbles, les oubliés de l’histoire : paysans, marins-pêcheurs, artisans, dames du pays bigouden… Des milliers de témoignages, une inouïe saga de son pays.

THERSI

 

Michel Thersiquel ne s’est jamais laissé enfermer dans un localisme étroit, une mystification touristique ou un passéisme mélancolique. « Mon pays, je l’invente », écrivait le poète Xavier Grall. Thersiquel aussi ! Qui pourrait ajouter : et je construis son avenir en célébrant son remuement présent. Et encore : je vois l’universalité de l’humaine condition dans la célébration de sa culture propre. Ainsi, oui, « Bretagne est univers », comme le clamait Saint-Pol-Roux, le poète de Camaret.

photo Michel Thersiquel

Infos pratiques : Exposition Mon pays, je l’invente, la Bretagne dans l’objectif de Thersi, 23 janvier au 23 mars 2018, Galerie la Chambre claire (hall du bât. Présidence, campus Villejean, Université Rennes 2).

Un petit catalogue est édité par le service culturel à cette occasion avec des textes de Jean-Michel Le Boulanger et Marcel Le Lamer.

Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 17h.

THERSI
Marie-Jeanne LE GUELLEC, épouse BRIEC, « Ar Menez ». Pouldreuzic

 

THERSI : L’ÂME A L’ŒIL
Disparu à 63 ans, Michel Thersiquel laisse une œuvre de plus de quarante ans et plus de 70 000 clichés en héritage. Une œuvre construite les yeux dans les yeux.
Fils d’un photographe-horloger de Bannalec, Michel met très tôt les mains dans les fixateurs et autres bains, avant de faire des études d’horloger. Mais il retourne rapidement dans la chambre noire après un passage dans le pays bigouden chez Nicole et Félix Le Garrec. De ses débuts d’horloger, il gardera la précision et un haut niveau d’exigence comme aime à le souligner, le journaliste Yves Quentel : « L’exigence. Si je dois retenir un seul mot de Thersi, c’est celui-là. Il choisissait sa lumière et faisait poser les gens. »
En 1966, il ouvre une galerie à Pont-Aven et devient l’ami de Xavier Grall, Glenmor et Georges Perros. Comme eux, il ne veut pas d’une Bretagne carte postale et se démarque des images convenues et folkloriques. Il se plonge dans le quotidien de ses sujets à la recherche de la vérité des visages et des gestes. Il ne prend jamais les gens de dos. « Le peuple mérite d’être regardé de face, en face. Sans affront, sans effronterie. Les anonymes ont le droit de nous offrir leurs désarrois et leurs bonheurs », comme le souligne son ami Marcel Le Lamer.

Texte de la biographie :

THERSI
ASSOCIATION DES AMIS DE MICHEL THERSIQUEL
au Port-musée – Place de l’enfer – 29100 Douarnenez

DANS KONBINI SAYAKA MURATA REVENDIQUE LE DROIT À LA DIFFÉRENCE

Malgré ses succès littéraires, Sayaka Murata, auteure japonaise de 36 ans, continue à travailler dans un konbini, petite supérette japonaise ouverte 24h sur 24. Avec Keiko Furukura, le personnage principal de Konbini, elle pousse la singularité beaucoup plus loin pour mieux revendiquer le droit à la différence.

KONBINI

Dès l’enfance, Keiko affirme sa pensée, celle qui lui paraît évidente sans aucune censure inhérente aux règles de la société. Pourquoi ne pourrait-on manger un oiseau mort comme un poulet, pourquoi ne peut-on assommer à coups de pelle deux garçons qui se bagarrent ou dénuder l’institutrice pour obtenir le silence.

KONBINI
En première année de fac, Keiko travaille à temps partiel dans un konbini. Les konbinis sont ces petites supérettes japonaises ouvertes 24h/24. Des cubes de verre illuminés aux tintements familiers qui fonctionnent essentiellement avec des étudiants, des femmes au foyer ou des jeunes en recherche d’emploi.

Arubaito boulot japon jov
Dix-huit ans plus tard, nous retrouvons au même poste Keiko Furukura, toujours célibataire et à temps partiel. Ses amies de fac, sa soeur sont mariées, ont des enfants.

Les gens perdent tout scrupule devant la singularité, convaincus qu’ils sont en droit d’exiger des explications.

Mais Keiko est heureuse dans son konbini. Ses odeurs, ses bruits, ses couleurs forment le cocon dont elle a besoin pour vivre. Elle doit toutefois prétexter une santé fragile pour défendre sa position auprès des autres.

Rien que ces deux dernières années, on m’a demandé quatorze fois : « Pourquoi tu ne te maries pas ? » Et douze fois : « Pourquoi toujours ce petit boulot ?. » Autant commencer par éliminer la première question.

Elle va se mettre en couple avec Shiraha, personnage asocial venu travailler au konbini dans l’espoir de trouver une femme et rapidement licencié à cause de son comportement. Une association qui rassure sa famille, son entourage, mais qui montre toute la perversité de la société.
Rien n’a changé depuis le Moyen âge (depuis l’ère de Jômon pour Shiraha).

Les êtres inutiles à la communauté sont éliminés. Les hommes qui ne chassent pas, les femmes qui ne produisent pas d’enfant. La société moderne a beau mettre en avant l’individualisme, toute personne qui ne contribue pas est écartée, neutralisée, et pour finir mise au ban de la communauté.

L’auteure maîtrise son sujet et sa passion pour ces supérettes se perçoit immédiatement et tout au long du récit. Sayaka Murata décrit à merveille ces endroits, faisant appel à tous nos sens.

MURATA KONBINI

Ce court roman japonais nous offre un dépaysement total. Et pourtant, derrière cette histoire singulière, l’auteur y évoque un dilemme universel et intemporel. Comment rester soi-même, affirmer ce que l’on est, ce que l’on veut faire de sa vie, vivre sa différence en résistant aux pressions de la société. Derrière cette légèreté apparente, ce texte qui fait sourire n’en est pas moins un vibrant appel au droit à la différence.

Konbini de Sayaka Murata, Denoël, 11 janvier 2018,160 pages, Prix : 19,50 euros, ISBN 9782207137208

Titre original : Konbini Ningen

Traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon

Sayaka Murata, née en 1979, est une romancière japonaise.
En 2009, elle remporte le prix Noma des nouveaux écrivains pour Gin’iro no uta, le prix Mishima en 2013 pour Shiroiro no machi no, sono hone no taion no . En 2016, elle est lauréate du prix Akutagawa (équivalent japonais du Goncourt) pour Konbini Ningen.

EN AIR FORCE ONE DONALD TRUMP SE POSE À DAVOS COMME UN CHEVEU

Donald Trump est arrivé à Davos dans l’avion présidentiel Air force one. La piste 16 de l’aéroport Kloten (ZH) de Zurich a été fermée à son profit. Un membre du Secret Service était dans la tour de contrôle pour superviser l’atterrissage d’Air Force One.

Les membres de son cabinet sont arrivés à l’avance. Objectif : renforcer le nouveau discours de Donald Trump : « Nous voulons une grande prospérité et nous voulons une grande paix ». « L’Amérique d’abord n’est pas l’Amérique seule », a déclaré le conseiller économique principal de la Maison Blanche, Gary Cohn. Trump a rencontré le Premier ministre britannique Theresa May après avoir annulé une visite au Royaume-Uni plus tôt ce mois-ci. Le président et le Premier ministre se sont serré la main après avoir réaffirmé la « relation spéciale » entre leurs deux nations. Trump a déclaré qu’il « se battrait » pour la Grande-Bretagne et a déclaré que les rumeurs d’une fracture dans les relations étaient fausses. Trump, qui n’a jamais invité en tant qu’homme d’affaires, est le premier président à assister à Davos depuis Bill Clinton en 2000. Le président n’était pas accompagné de son épouse Melania, qui s’est retirée du voyage après un court préavis suite à des rumeurs selon lesquelles il aurait eu une liaison avec une star du porno. Ambiance…

davos trump
Donald Trump est arrivé à Davos dans l’avion présidentiel Air force one.

VIP FEMMES À RENNES, ROSELYNE LEFRANÇOIS

Roselyne Lefrançois est l’invitée du Carré VIP (VieillePie), l’émission de radio dédiée aux femmes de plus de 50 ans (mais pas exclusivement !). Codiffusée par RCF Radio Alpha et Unidivers.fr, retrouvez Marie-Christine Biet et ses invitées deux fois par mois à la radio et sur le web.

 

 

La VIP du 24 janvier est Roselyne Lefrançois. née à Saint-Malo, ell est venue à Rennes 1 faire des études de Sciences économiques.

« J’ai été professeur de Commerce international pendant 30 ans, ce qui m’a permis de rester en contact avec des étudiants et de mesurer à la fois la richesse de transmettre et de partager des connaissances. Je crois profondément à la formation d’un esprit critique : la pédagogie et le débat sont essentiels. Je me suis engagée dans la vie associative dans une école de musique, Arpèges en 1985, et aussi à la Maison Internationale de Rennes en 1989.

En 1995, Edmond Hervé m’a proposé de rejoindre son équipe municipale. J’ai été élue adjointe au Maire de Rennes, déléguée aux relations internationales et aux affaires européennes, fonction que j’ai occupée pendant 19 ans (1995/2014).J’ai été députée européenne de 2007 à 2009 et ai eu aussi le bonheur de travailler aux Relations internationales à la Présidence de Rennes 2.

Aujourd’hui je poursuis mes deux passions au sein d’engagements associatifs :
– L’Europe en tant que présidente du Mouvement européen Ille-et-Vilaine et vice-présidente du Mouvement européen France et membre élue du Mouvement européen international.
– La musique en tant que secrétaire de l’association de l’Orchestre Symphonique de Bretagne.
Mes invitées, Anne et Estelle, sont liées à mes engagements et aux valeurs que je partage dans les responsabilités qui sont les leurs ».

La « déclaration » de Roselyne Lefrançois va à Anne Boubila, responsable de l’action culturelle à l’Orchestre symphonique de Bretagne.

« Après une dizaine d’années passées à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc où je m’occupais de la programmation des spectacles jeunes publics, des projets avec les établissements scolaires et les quartiers, j’ai rejoint l’OSB en mai 2015 pour occuper le poste de responsable de l’action culturelle.

Moi qui ne viens pas du monde de la musique symphonique et pouvais comme beaucoup avoir l’image d’un milieu élitiste, j’ai découvert que c’était tout le contraire : l’action culturelle fait partie de l’ADN de l’Orchestre. Chaque musicien, permanent ou invité, est très soucieux de rendre la musique accessible. Autour des concerts programmés à Rennes et en région, tout un maillage d’actions se tisse avec les classes, les écoles de musique, des centres d’accueil pour personnes handicapées, le centre pénitentiaire de Vezin… L’idée poursuivie est bien celle d’amener la musique partout et pour tous.

Pour donner quelques chiffres, l’action culturelle de l’Orchestre c’est :
– plus de 5000 élèves touchés chaque année dans toute la Bretagne,
– 17 concerts pédagogiques pour les scolaires et les familles.
– Plus de 1700 élèves inscrits sur un parcours En route vers le concert.

Pour mettre en œuvre cette mission, je travaille avec les responsables de structures culturelles et associatives, les référents de l’Education Nationale, la DRAC et les collectivités territoriales pour imaginer des projets qui correspondent aux attentes des publics.

Par exemple nous avons imaginé un jumelage sur trois années avec Dinan Agglomération. Dans le cadre de ce jumelage, nous avons invité notre compositeur associé Benoît Menut — Grand Prix SACEM 2016 — à s’installer pendant cinq semaines sur Dinan pour écrire des œuvres musicales avec les élèves de trois classes de CM1/CM2 mais aussi pour des classes de l’école de musique intercommunale. L’ensemble des pièces musicales constitueront un portrait de la grande océanographe Anita Conti. L’hommage musical que Benoît Menut écrit pour l’OSB sera présenté au Couvent des Jacobins à Rennes en avril.

Travailler au sein d’un orchestre est un levier incroyable pour aller à la rencontre des gens et créer du vivre-ensemble, j’ai beaucoup de chance ! »

Le coup de cœur de Roselyne Lefrançois va à Estelle Beuve, étudiante à Saint-Brieuc, très investie au sein de Jeunes d’Europe dont l’objectif est de parler d’Europe et de citoyenneté européenne dans la perspective des élections de mai 2019 avec notamment des actions de rue. Estelle a participé à l’organisation d’un séminaire en octobre à Saint-Jacut-de-la-Mer et à l’Université d’automne à La Rochelle. Son groupe sera particulièrement actif lors de la Fête de l’Europe le 9 mai.
www.jeunes-europeens.org/

Les choix musicaux de Roselyne Lefrançois illustrent ses deux passions et son ouverture sur le monde.
– Les Dissonances d’Astor Piazzola, les 4 saisons de Buenos Aires. L’automne.
– l’Ode à la joie, remixée, Ode to joy by David Adu-Appeagyei (Remix Europe)
– Le génie de la kora, Zal Sissoko (Mama chérie)

Roselyne Lefrançois
Roselyne Lefrançois au Carré VIP

BEAU LIVRE, DÉTROMPEZ-VOUS AU PAYS DE BABAR !

Dans son nouveau livre Au pays de Babar, Isabelle Nières-Chevrel, chercheuse spécialisée dans la littérature d’enfance et de jeunesse, procède à une analyse détaillée de l’œuvre de Jean de Brunhoff. Une séduisante invitation à redécouvrir Babar, celui qui devint le roi des éléphants

au pays de babar

Avant que Babar ne devienne une star internationale qui ornera les cartables et les serviettes de bains de plusieurs générations d’enfants et dont la musique rythmera les goûters d’anniversaire des plus petits, Babar fut avant tout l’œuvre d’un jeune peintre des années 1930, Jean de Brunhoff, passionné d’art et inspiré par son environnement et ses enfants.

Bercé dans le monde de l’édition et de la presse pendant son enfance, Jean de Brunhoff persévère lui dans l’idée de devenir artiste. Mais vivre de son art n’est pas chose aisée et ce sont les albums du Roi des éléphants qui révéleront pleinement son talent. Dès le début, l’auteur puise son imagination dans ce qu’il voit, ce qu’il entend et ce qu’il vit. L’histoire de Babar trouve d’ailleurs probablement son origine dans une lettre envoyée à Cécile de Brunhoff par sa cousine ; cette lettre faisait référence à l’ambassadrice de Belgique au Kenya qui avait recueilli un jeune éléphant dont la mère avait été tuée. La chasse à l’éléphant qui se déroulait à l’époque dans les colonies dont certains safaris peuvent encore faire écho aujourd’hui, constitue sûrement le point de départ de la saga Babar.

au pays de babar

Les cinq albums éléphantesques sont marqués par leur époque et se déroulent en partie au cœur de la bourgeoisie des années 30 tout en relatant une histoire dont les thèmes sont universels : l’éducation, la détention du pouvoir politique, la nature ou en encore l’amour. Les ouvrages sont ponctués de nombreuses références à la société française de l’entre-deux-guerres. Babar va, par exemple, découvrir la mode et se vêtir tel un bourgeois de l’époque. Son sacre est animé par un jazz band, groupes de musique populaires à Paris dans les années 30. Babar se retrouvera face à un paysage dévasté par la guerre, paysage qui rappelle bien sûr ceux de la France après la Grande Guerre. Mais Jean de Brundhoff joue aussi avec les époques. Les jardins de Célestville avec les escaliers à balustrades de pierre, le bassin de Neptune avec jets d’eau font penser aux aménagements réalisés par Le Nôtre dans le parc de Versailles.

Jean de Brunhoff réussit à conter l’histoire de Babar, l’éléphant anthropomorphe de l’enfance jusqu’à l’âge adulte, le jeune orphelin devient roi puis père. Histoire de Babar, le petit éléphant dépeint la ville comme un véritable lieu d’éducation à la culture française. Le jeune éléphant est en quête d’identité suite à la mort de sa mère et à l’absence de son père. Après avoir fui la savane pour la ville, Babar rencontre la vieille dame qui endosse le rôle de donateur pour le petit orphelin. Elle aide le jeune éléphant à trouver sa voie entre l’enfance et l’âge adulte, entre son identité d’éléphant et d’être humain.

au pays de babar

Le voyage de Babar narre le voyage de noces du Roi des éléphants et de sa femme Céleste. La confrontation à la civilisation va être plus brutale que dans le premier album et les deux nouveaux mariés vont se heurter à la condition animale en France. De nouveau considérés comme des animaux, ils vont, par exemple, être enrôlés dans un cirque et privés un temps de leur liberté avant de s’enfuir. Les péripéties sont nombreuses et appellent à réfléchir sur l’actualité des années trente mais aussi sur des faits de société plus larges, toujours présents dans notre société aujourd’hui.

Après l’aventure, Le Roi Babar met en scène la sédentarisation de l’éléphant-roi et la construction de Célestville comme projet civilisateur. Une véritable « utopie politique à l’intention des jeunes enfants » et ses quelques paradoxes nous est présentée (Nières-Chevrel). A travers ce troisième album, les enfants se voient décrire une société idéale permettant d’amoindrir les malheurs mais où les douleurs personnelles ne sont cependant pas totalement évincées. Jean de Brundhoff va même jusqu’à représenter le travail et l’échange marchand, ce qui est novateur dans la littérature enfantine.

au pays de babar

Après les péripéties de Babar, le petit singe Zéphir fera l’objet d’un album entier. Les Vacances de Zéphir sont comme une pause entre les histoires de Babar. Cet ouvrage qui s’apparente sur bien des aspects à un conte merveilleux sera « le temps du présent des émotions » et d’une histoire amoureuse pour le clown-musicien. Jean de Brunhoff décède de la tuberculose, à l’âge de trente-sept ans, le 16 octobre 1937 et les deux derniers albums de Babar seront des œuvres posthumes. Babar en famille raconte la paternité et les étapes de la petite enfance ce qui est inédit alors dans l’album pour enfants (Nières-Chevrel). L’ouvrage suivant et le dernier de la saga, Babar et le Père Noël, est l’album qui ressemble le moins aux précédents. L’auteur met en avant le monde ouvrier qui fonctionne sur une relation de « don et contre-don » comme l’a théorisé l’anthropologue Marcel Mauss en 1923-1924.

L’univers de Babar aussi bien emprunté à l’univers du récit initiatique qu’au conte merveilleux et au roman d’aventure est mis en image par Jean de Brunhoff de façon brillante. L’artiste et écrivain n’est pas un illustrateur. Images et textes sont pensés préalablement comme un ensemble et les images ne viennent pas seulement illustrer le texte. Elles donnent « l’épaisseur émotionnelle et temporelle à chaque étape de la vie de Babar » (Nières-Chevrel). Réalisés à l’aquarelle puis à l’encre de chine, l’artiste joue avec les couleurs et manifeste un goût prononcé pour le miniaturisme et les détails qui rendent ses images très réalistes. Plusieurs paysages sont d’ailleurs le reflet de lieux où Jean de Brunhoff vivait ou passait ses vacances. C’est le cas, par exemple, des bords de Marne ou de la station de ski à Vermala. Après la guerre, le nouvel éditeur de l’auteur, Hachette, va réorienter sa politique d’édition en visant d’abord le grand public. Les albums vont être réadaptés et l’esthétique initiale imaginée par Jean de Brunhoff va perdre de son originalité, au grand regret de la famille de Brunhoff.

 babar

Très vite Babar va être repris et transformé en produits de consommation ce qui lui vaudra un succès planétaire. Pourtant, « c’est en vain que sa veuve, Cécile de Brunhoff, tentera un temps de résister et de faire respecter l’œuvre de son mari ». Mais rien n’y fait, la popularité de Babar est lancée et les produits dérivés autour de l’œuvre de Jean de Brunhoff se multiplient. Jouets, publicités, dessins animés, draps de bain, housses de couette, trousses, cartables, seaux de plage… Babar est partout.

Aujourd’hui, Babar est parfois critiqué pour être la représentation d’un monarque jouant de son pouvoir avec autorité. Pour certains, il met en avant le colonialisme et le racisme tout en véhiculant des images sexistes de façon implicite. Pour Adam Gopnik, Babar reflète l’image qu’un étranger ou qu’un Français peut se faire de la France : urbaine, ordonnée, hédoniste. Les albums de Babar présentent pour Isabelle Nières-Chevrel le droit aux loisirs et au rêve.

roi babar

L’auteure Isabelle Nières-Chevrel passe ainsi au crible l’œuvre de Jean de Brunhoff et nous révèle de façon passionnante toute la symbolique et la portée de ce récit qui traversa trois générations de lecteurs faisant de lui un « classique international de la littérature enfantine » (Nières-Chevrel).

babar

Au pays de Babar Isabelle Nières-Chevrel, PUR, décembre 2017, 322 pages, 35€, ISBN : 978-2-7535-5673-7

Illustrations :

Histoire de Babar, le petit éléphant 1931
Le voyage de Babar 1932
Le voyage de Babar 1932
Le roi Babar 1934
Le roi Babar 1934
Le roi Babar 1934
Babar par Michel Heffe

LA REVUE DESSINÉE, L’ACTUALITÉ EN BANDE DESSINÉE

Comprendre et analyser la complexité de notre monde par la Bande Dessinée tel est le challenge réussi d’une revue trimestrielle La Revue Dessinée qui associe journalistes et dessinateurs. Quand le dessin devient un moyen d’information efficace et ludique.

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Jean Jullien

À Unidivers, on préfère tourner sa plume sept fois dans l’encrier plutôt que de se jeter à corps perdu dans les réactions épidermiques, quand la plume ne sert qu’à gratter. On a ainsi loué les qualités de Polka qui traite de l’actualité photographique à travers le photo-journalisme ou America qui décrypte les États-Unis grâce aux textes d’écrivains. Il était temps de rejeter un coup d’oeil approfondi sur autre trimestriel, dont nous avions salué le lancement (voir notre article), qui cherche lui aussi à traiter l’actualité avec du recul en utilisant cette fois-ci la bande dessinée comme support : la Revue Dessinée.

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Lorenzo Mattotti revue #3

 

Plus jeune que Polka, mais plus ancienne qu’America, La Revue Dessinée a désormais plus de quatre ans d’âge et 18 numéros à son compteur. Tirée à plus de 20 000 exemplaires et avec 6 000 abonnés, sa réussite a donné raison à son créateur Franck Bourgeron, auteur de BD, qui décida de créer en septembre 2011 la Revue Dessinée deux ans avant la parution du premier numéro.

« L’information en bande dessinée » tel est le surtitre de la couverture, mots simples pour définir le concept de la revue que complète l’édito du numéro 17 : « le lieu de la découverte, des contrepieds, et plus que jamais un espace d’indépendance et de vigilance » . Sans oublier un moteur des débuts : permettre aux auteurs de BD de se prendre en main. Et ils sont nombreux ceux qui ont participé à ce challenge, de Davodeau en passant par Kris, Nicoby, Kokor, Stassen, Bourhis et tant d’autres.

 

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Brecht Evens revue #8

C’est que cette belle revue, plus proche du livre que du magazine, offre un espace inédit de liberté à ces créateurs, celui de raconter et de dessiner la vie d’aujourd’hui à travers essentiellement des reportages de longue haleine, associés à un journaliste enquêteur pointu et reconnu. La BD révèle alors tout son potentiel : raconter de manière pédagogique, mais aussi accessible des enquêtes parfois complexes, utiliser la concision du dessin, rendre vivants des faits peu lisibles, toucher un public plus large.
Ce plaisir de lecture est accru par la diversité des styles des auteurs qui juxtaposent des dessins inspirés de la ligne claire à des couleurs de comics américains. Comme si dans une revue littéraire se côtoyaient la fluidité de Philippe Besson et la flamboyance de Patrick Grainville.

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Catherine Meurisse revue #9

 

Le premier intérêt de la Revue Dessinée est donc bien dans ce plaisir et cette facilité de lecture qui permettent d’appréhender et de comprendre aisément d’importants dossiers qui, en une quarantaine de pages, éclairent notre quotidien et les problèmes essentiels de notre temps. Le phénomène Uber ou la fuite économique en avant des hypermarchés n’auront plus de secrets pour vous, avec parfois à l’appui des synthèses dessinées en double page d’une limpide clarté pédagogique. Ludique, mais sérieux, approfondi et documenté, une rubrique « en savoir plus » conclue la BD en exposant les conditions notamment de l’enquête et son « making of ». Ces articles d’investigation privilégient le traitement des scandales écologiques, humains, politiques comme les dangers mortels des algues vertes en Bretagne, la carrière politique des Balkany ou encore la dangerosité des parafoudres pour les salariés de France Telecom. C’est le monde qui nous entoure, sans exclusive thématique, qui est ainsi revisité souvent grâce aux témoignages d’anonymes, fils conducteurs des investigations. La revue, sans aucune exclusive, porte aussi son regard sur la musique, le cinéma, la médecine ou les faits de société. Comme un retour distancié sur « La Manif pour tous ».

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Patrice Killoffer revue #6

Avec cette ligne éditoriale originale, que garantit une indépendance financière résultant de l’absence de publicités et une parution trimestrielle qui la dégage d’un traitement rapide et superficiel de l’événementiel, la politique rédactionnelle s’ancre essentiellement dans l’actualité, mais en faisant un petit écart de côté qui permet de regarder les faits avec recul, un esprit critique documenté, loin de toute pensée militante où ces faits se plieraient à une idée initiale.
Au reproche parfois fait d’une lecture trop noire de notre monde, le trimestriel essaie d’offrir progressivement un peu d’air et de nombreuses courtes rubriques innovantes proposent une respiration agréable. On apprécie ainsi l’analyse et le commentaire de «L’ Instantané » qui décryptent par le dessin une photo comme celle de Simone Veil fatiguée sur les bancs de l’Assemblée Nationale en 1974 lors de la fin du débat sur la légalisation de l’avortement. Même démarche « hors du temps » pour la rubrique « C’est notre rayon » qui met en valeur des BD hors du contexte commercial quotidien et n’hésite pas à louer des ouvrages parus il y a plusieurs mois déjà.
Ce concept rédactionnel fort et réussi a trouvé d’ailleurs un prolongement logique avec la création de la collection « L’histoire dessinée de la France » coéditée avec la Découverte (voir notre article) qui revisite l’histoire mythique et officielle de notre pays pour y substituer, en associant là aussi historien et dessinateur, une vision documentée et non fantasmée de notre nation. La duplication historique de La Revue Dessinée.

Se dégager de l’information instantanée, souvent dévoyée par les réseaux modernes d’information, est une volonté choisie par de plus en plus de médias papier. Suivant ce principe, la BD a trouvé avec « La Revue Dessinée » un support idéal accessible par tous les types de lecteurs. Un vrai coup de coeur de la rédaction.

La Revue Dessinée N° 18. Parue en décembre 2017. Prochain numéro Mars 2018. 226 Pages. 15€. Disponible en Maison de la Presse et dans toutes les bonnes librairies.

FRANCK BOURGERON

Franck Bourgeron

Né en 1963. Après l’École d’Animation des Gobelins, Franck Bourgeron travaille en tant que story-boarder et réalisateur pour de nombreuses séries de dessins animés.
En 2003, il décide de se consacrer à la BD. Parution d’ « Extrême-Orient » (tomes 1 et 2) aux éditions Vents d’Ouest. Adaptation du roman « Aziyadé » (de Pierre Loti), paru aux éditions Futuropolis en février 2007. Parution en 2010 de « L’Obéissance » d’après le roman de François Sureau aux éditions Futuropolis.

RICHARD MALKA, TYRANNIE, LA DÉMOCRATIE ET L’AVOCAT

Tyrannie de Richard Malka est un premier roman qui ne laissera pas le lecteur indifférent en cette rentrée littéraire d’hiver… Raphaël Constant, avocat respecté et reconnu par ses pairs se trouve en situation de défendre un homme aux assises, en apparence, totalement démoli, Oscar Rimah, personnage quasiment aphasique.

tyrannie richard malka
Tyrannie de Richard Malka

Pour présenter Tyrannie de Richard Malka, il est primordial de signaler tout de même que l’histoire de Rimah est bien peu commune. Il a assassiné un des sbires du dictateur qui règne sur son pays, « l’Aztracie« , (dictature religieuse, philosophique et politique) a perdu parents, femme et enfants, s’est enfui et a réussi à gagner la France en réclamant l’asile politique. Mais il se retrouve quand même face à la justice pour répondre de son crime.

Raphaël Constant va donc devoir construire la défense de son client et faire face au talent de l’avocat de la partie adverse, Édouard Chenon, une sommité dans le monde feutré des juristes, à l’avocate générale, Édith Carbonnier, au président de la Cour, Ezéchiel. Il va tenter aussi de convaincre les jurés afin d’obtenir leur clémence pour éviter le pire à Rimah.

En parallèle de ce procès qui s’annonce comme marquant et historique, Raphaël Constant va rencontrer la magnifique, mais troublante Amalia, elle-même réfugiée de la dictature des « Aztrides ». Est-ce une coïncidence, un hasard ?

Il faudra suivre toute l’ingéniosité de Richard Malka afin de comprendre pourquoi cette sirène se trouve sur son chemin en ces circonstances.

Un travail d’auteur remarquable qui n’est pas sans rappeler George Orwell. Tyrannie, roman qui fait honneur à l’éloquence obligée des avocats, des habitués des prétoires, est construit comme un polar où la tension et le suspense sont permanents. À chaque chapitre quasiment un rebondissement ; du coup, on ne lâche rien, tellement impatients restons-nous d’en savoir un peu plus.

Peut-être Richard Malka dans Tyrannie jongle-t-il aussi avec notre côté voyeur, toujours enclins à en savoir, à en voir davantage, rejoignant là l’assistance qui semble avide de sensations ? C’est aussi une remarquable réflexion sur le sens d’une démocratie, d’une dictature, les frontières entre Bien et Mal, du libre et du tyrannique, du juste et du coupable. L’auteur nous met face à nous-mêmes, entre doutes et certitudes.

En refermant la dernière page, on se surprend à espérer une adaptation cinématographique ce premier roman de Richard Malka tant ce coup de maître est terriblement visuel et musical.

Richard Malka Tyrannie, Éditions Grasset, janvier 2018, 390 pages, 22€.

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INDE, LA DANSE THÉÂTRE KATHAKALI TOURNE AU TRIANGLE ET RENNES 2

Le kathakali, c’est un voyage au cœur de l’Inde ! Embarquement au Triangle et à l’Université Rennes 2 pour une plongée dans la tradition du théâtre indien – dans le rêve et la magie, dans le somptueux et le spectaculaire. Sur scène, la troupe de huit artistes indiens et de la compagnie Prana (Rennes) invitent à la découverte d’une danse-théâtre ancestrale (XVIIe siècle) : le Kathakali.

Le Triangle et l’Université Rennes 2 invitent la Compagnie Prana pour une semaine de présentation, conférence, démonstration et représentation de Kathakali, le théâtre dansé du Kerala (Inde du Sud).

Sans l’ornementation rituelle liée au spectacle, Michel Lestréhan de la Compagnie Prana présente le Kathakali dans son contexte historique et symbolique. La démonstration s’oriente sur l’aspect technique de la danse : frappes de pieds en rythme, déplacements circulaires, spirales du corps. La danse indienne utilise les mudra, langage des mains, en relation avec l’abhinaya, expressions du visage, pour raconter et illustrer les légendes héroïques. Des extraits du répertoire dansés par Kottakkal Krishnadas accompagné par le chanteur Sadanam Jyothish Babu complètent la démonstration.

Le Kerala, région du Sud ouest de l’Inde, est le berceau des arts traditionnels tels que le théâtre dansé kathakali, le théâtre sanscrit kudiyattam, l’art martial kalaripayatt et la danse féminine Mohini Attam. Perpétuant l’ancien théâtre rituel des temples hindous, le kathakali met en scène les dieux, héros et démons de la mythologie des grandes épopées classiques : Mahabharata & Ramayana.

kathakali

De style tandava (dynamique), le Kathakali est traditionnellement dansé par les hommes, après qu’ils aient suivi un entraînement physique rigoureux, appris le langage des mudra et développé le jeu des expressions du visage. Les différents maquillages, véritables peintures sur visage, rehaussent les mimiques et les mouvements des yeux, suivant le caractère des personnages aux costumes somptueux.

La musique qui accompagne chaque mouvement et intention de l’acteur-danseur est jouée par deux chanteurs et deux percussionnistes.

Michel Lestréhan est spécialisé dans le théâtre dansé Kathakali et l’art martial Kalaripayatt. Il danse, enseigne ces formes et développe une démarche de création où se rencontrent Orient et Occident, tradition et modernité. En 1995, il fonde à Rennes avec Brigitte Chataignier la compagnie Prana, PRANA qui signifie, en sanskrit, le souffle vital qui anime tous les êtres…

Ils partagent chacun leur temps entre la France et l’Inde. Leur univers artistique se constitue d’une recherche chorégraphique contemporaine ainsi que d’une pratique des arts traditionnels – la danse, le théâtre et la musique du Kérala (Inde du Sud) qu’ils exercent depuis 1987, auprès des plus grands maîtres.

Infos pratiques :

Du lundi 22 au mardi 30 janvier au Triangle, exposition des photographies de Georges Dussaud Dans la lumière du kérala et des vidéos de Michel Lestréhan.

Lundi 29 janvier 2018 à 20h, auditorium Le Tambour, Université Rennes 2,  Conférence/démonstration de Kathakali, gratuit.

Mercredi 24 janvier 12:45 (Université Rennes 2 – salle Pina Bausch), pause théâtre avec Michel Lestréhan.

Mardi 30 janvier à partir de 18:00 au Triangle, ouverture exceptionnelle de la séance de maquillage traditionnel sur inscription à l’accueil du Triangle 18:00, 18:30 ou 19:00.

Mardi 30 janvier à 20h au TriangleKathakali Torana Yudha (la guerre du portail), Compagnie Prana (Inde-France), Spectacle surtitré en français. Tarifs : 16€ plein, 12€ réduit, 6€ -12 ans, SORTIR 4€ / 2€, PASS Triangle : 12€ plein, 9€ réduit, 7€ -30 ans, 5€ -12 ans.

Noms des acteurs et rôles :

Hanuman, général de l’armée des singes : Kalamandalam Soman / Ravana, roi-démon de Lanka : Peeshappilly Rajeev / Prahasta, son ministre : Kottakkal Krishnadas / Lankalakshmi, démone gardienne de Lanka : Michel Lestréhan / Sita, épouse du prince Rama : Brigitte Chataignier / Lankasree (forme divine de Lankalakshmi) & Mandodari, épouse de Ravana : Djeya Lestréhan / Chant : Nedumpally Ram Mohan & Sadanam Jyotish Babu / Tambour chenda : Kottakkal Maneesh / Tambour maddalam : Kalamandalam Unnikrishnan / Maquillage : Kalamandalam Sudheesh / Sur-titrage : Brigitte Chataignier et Louba Schield / Lumières : Benjamin Bouin / Régisseurs de loge : Joaquim Pavy & Melvin Coppalle

Inde, Durga Puja, une fête artistique et engagée (photoreportage)

AR SEIZ BREUR, SEPT FRÈRES OU UN ART BRETON DEMI-SEL

Mouvement d’art décoratif breton d’inspiration moderne, les Seiz Breur (ou Sept Frères) investirent le paysage artistique de Bretagne de 1923 à 1947. Après avoir été oubliés pendant plus de trente ans, les prolifiques artistes bretons proches de la mouvance autonomiste font l’objet d’un regain d’intérêt depuis les années 1980. Pascal Aumasson leur consacre un beau livre documenté intitulé Seiz breur, pour un art moderne en Bretagne.

ar seiz breur sept frères

À l’instar des sept saints d’un conte gallo recueilli par Jeanne Malivel, artiste bretonne du début du XXe siècle et membre du mouvement Ar Seiz Breur, les « Sept Frères » du mouvement des arts décoratifs bretons ont eu comme ambition de transformer la Bretagne en un « pays moderne » (Pascal Aumasson). Il s’agissait pour ces artistes de magnifier le quotidien à travers des compositions artistiques novatrices pour l’époque en prenant appui sur le mobilier ancien.

ar seiz breur sept frères

Meubles, textiles, céramiques, peintures, gravures…les techniques artistiques sollicitées par les Seiz Breur ont été diverses et les supports variés. Cette volonté esthétique ne va pas sans rappeler le mouvement des Arts déco développé à la même époque en France ou le Bauhaus en Allemagne. L’exposition des arts décoratifs et industriels de 1925 à Paris à laquelle les Seiz Breur participeront sera à ce titre une grande source d’inspiration pour le groupe d’artistes. Pour autant, le mouvement Ar Seiz Breur met bien en exergue des singularités et un style qui lui est propre.

À l’occasion de cette exposition, les sept Bretons réalisent « l’Osté », composition qui s’apparente aux maisons traditionnelles du pays Gallo (Haute-Bretagne). L’objectif des Seiz Breur est de reconstituer un intérieur de campagne et cela est très réussi. La presse s’enthousiasme et le jury aussi : les artistes bretons vont obtenir les félicitations du jury et remporter la médaille d’or pour l’ensemble de leur création. Jeanne Malivel reçoit spécifiquement un diplôme d’honneur pour ses céramiques décorées. Les Bretons seront également à l’Exposition universelle de 1937 où ils présenteront une salle commune des fermes traditionnelles bretonnes aux meubles robustes. À l’occasion, René-Yves Creston concevra une mappemonde d’un diamètre de 1 mètre 60, d’une hauteur de 3 mètres qui lui aura demandé cinq mois de travail et un four spécial.

ar seiz breur sept frères

Le mouvement des arts décoratifs breton se fonde autour de plusieurs grands principes. La « bretonnerie » et ses décors surchargés sont rejetés et taxés de « salles à manger pour millionnaires célibataires » (Aumasson). À la recherche de formes davantage épurées, s’ajoute la volonté de reconnaître les richesses du passé. Georges Robin, un des fondateurs du mouvement expliquait : « étudier le passé n’est nullement revenir en arrière, nullement être « réactionnaire », comme beaucoup le croient, et ce n’est pas non plus contraire à l’esprit moderne ». Il ajoutait que la décoration ne peut être uniquement composée de formes géométriques ; elle doit également mettre en lumière la faune, la flore et même des personnages. Concilier l’ancien et le moderne, tel est le précepte du groupe d’artistes. Leur art se veut également en opposition à l’émulation artistique qui a lieu à Paris. Populaire et celtique, le mouvement des Seiz Breur s’inscrit dans la lignée de l’art gallois et irlandais et les premiers Seiz Breur s’intéressent à la représentation du sacré. René-Yves Creston, président du Seiz Breur, s’impressionne aussi en 1929 de l’art slave et de ses « sujets empruntés au folklore national et traduits avec des moyens et une technique si purement raciale » (Aumasson).

ar seiz breur sept frères

Notre esprit est de constituer un ensemble bien en harmonie dans toutes les branches et qui soit : premièrement breton, deuxièmement moderne, troisièmement populaire (Jeanne Malivel)

ar seiz breur sept frères

L’alliance de l’ancien et du moderne se retrouve dans les créations textiles de Jeanne Malivel, Suzanne Candré-Creston et Georges Robin ainsi que dans les techniques utilisées. Le mouvement veut « adapter les techniques d’autrefois à la vie d’aujourd’hui ». Cette volonté va s’accompagner de l’ouverture de l’atelier Nadoziou qui permet aux filles de Bretagne (Merch’ed Breiz) de renouer avec l’activité textile/l’aiguille qu’elles manient avec talent. Le châle va devenir un vêtement moderne. Étant également pratique, une clientèle urbaine sera vite à son affût et passera déjà commande à distance.

ar seiz breur sept frères

L’attrait pour le mobilier des « Sept Frères » ne sera pas tout de suite significatif. En effet, si dans les années vingt, les fermes bretonnes désirent renouveler leur mobilier, les foyers bretons se rendent davantage dans les grands magasins que chez les artisans locaux. Le menuisier Joseph Savina rejoint bientôt le mouvement, en 1929 et prône la création de meubles « qui incarnent une identité » (Aumasson). Il collaborera ensuite avec Le Corbusier, célèbre architecte et urbaniste français qui contribua à plusieurs publications d’extrême-droite fascistes et antisémites entre 1920 et 1944.

ar seiz breur sept frères

Particulièrement représentatif de l’art des Seiz Breur, les dents de scie et les spirales qu’ils modernisent ornent les meubles et arts graphiques du mouvement. Les artistes bretons vont travailler les signes graphiques celtiques tels que les triskels ou les hermines afin de faire évoluer leur visuel et leur donner une image plus moderne. Leur façon de procéder s’inspire bien de la typographie Art déco. Les « expressions non figuratives » utilisées par Suzanne Candré-Creston sur ses tissus et faïences quant à elles font penser aux œuvres de Kandinsky, un des fondateurs de l’art abstrait qui prend naissance au début du XXe siècle également.

ar seiz breur sept frères

Les Seiz Breur développent une conscience identitaire qui les rapproche de l’Emsav, mouvement breton qui rassemble « les groupes politiques, confessionnels ou culturels soucieux du redressement de la Bretagne » (Aumasson). Selon l’auteur, cette conscience a parfois été pointée par certains comme l’illustration d’une affinité avec la mouvance nationaliste ou séparatiste. René-Yves Creston et Pierre Péron créeront, par exemple, des bagues, bracelets ou coupe-papier avec des slogans nationalistes. Les Seiz Breur mettront leur typographie au service de publications militantes. L’emblème solaire, « motif giratoire composé de quatre branches coudées ou courbées » (Aumasson) utilisé par les artistes bretons sera ainsi repris par le parti autonomiste breton en 1925.

ar seiz breur sept frères

La création artistique n’est jamais politiquement neutre ni indifférente aux intérêts de classe, là où une culture se sent dominée (Michel Denis, historien)

ar seiz breur sept frères

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le mouvement des Sept frères prend un nouveau tournant. Désormais l’artisanat est encouragé par le gouvernement de Vichy. À la foire de Rennes a lieu, du 27 avril au 3 mai 1942, une exposition sous la houlette du gouvernement en place. « Commerce, promotion et investigation ethnographiques » animeront cette exposition. De 1940 et 1944, le secrétaire de l’abbé Perrot de Pont-L’Abbé, Herri Caouissin, adhère au Seiz Breur et réalise de nombreuses bandes dessinées bretonnes dont la visée est clairement partisane. Objectif : « créer pour répondre au désir du maréchal Pétain de renforcer la France dans l’épanouissement des provinces » (Aumasson). Cependant l’auteur indique que : « en tant qu’organisation, la fraternité n’est mêlée ni à des alliances avec l’autorité allemande ni à des accords politiques avec le gouvernement de Vichy. Les enrôlements chez l’Occupant sont individuels et n’engagent pas directement le mouvement Seiz Breur ». Parmi les Seiz Breur, certains ont résisté à l’occupant et seront emprisonnés et/ou internés comme ce fut le cas pour Pierre Péron.

ar seiz breur sept frères

Lorsque Xavier de Langlais succède à René-Yves Creston à la présidence des Seiz Breur, la transparence au sein du mouvement devient le maître-mot. Néanmoins, le comportement de treize des Seiz Breur pendant la guerre désole une partie des artistes du mouvement qui vont s’absenter des assemblées. Dans ce contexte, les avancées se font d’autant plus difficiles que la création artisanale se réalise désormais davantage au sein de la Société des Artistes décorateurs et de l’Union des Artistes modernes. Le mouvement des Seiz Breur va s’essouffler après presque vingt-cinq ans de créations artistiques innovantes et abondantes.

ar seiz breur sept frères

Pascal Aumasson Seiz breur, pour un art moderne en Bretagne 1923 1947, Éditions Locus Solus, décembre 2017, 192 pages couleur, 25€

René-Yves Creston
René-Yves Creston, dessin de Michel Heffe tiré de Bretagne en tête à tête

CUISINE, LA SUISSE INTERDIT L’ÉBOUILLANTAGE DES HOMARDS

Ô marre de l’ébouillantage des crustacés ! À compter du 1er mars 2018, le gouvernement suisse interdit la pratique culinaire qui consiste à plonger un homard vivant dans de l’eau bouillante. Motif retenu : cruauté envers les animaux.

Les cuisiniers helvètes devront étourdir les crustacés avant de les cuisiner. En outre, le standard de conservation et de transport des homards par les importateurs et les poissonniers est revu à la hausse.

« La pratique consistant à plonger les homards vivants dans l’eau bouillante, commune dans les restaurants, ne sera plus autorisée […] Les homards devront désormais être étourdis avant d’être mis à mort », précise l’ordonnance émise par le gouvernement fédéral dans le cadre d’une révision des lois relatives à la protection des animaux. Selon la télévision publique RTS, seuls les chocs électriques ou « la destruction mécanique du cerveau » seront autorisés. En outre, les crustacés ne pourront également plus être transportés sur de la glace, mais maintenus dans leur « environnement naturel ».

Une étude menée par l’Association suisse des vétérinaires cantonaux (ASVC) relative à la pêche, le transport, la détention et la mise à mort de homards destinés à être consommés démontre que la façon de traiter les homards contrevient au droit en vigueur : « D’après les connaissances actuelles, ces crustacés solitaires disposent d’un système nerveux complexe et sont sensibles à la douleur. Ils sont attrapés par milliers, plusieurs mois avant d’être consommés, et sont ensuite stockés provisoirement dans des entrepôts frigorifiques, sans eau ni nourriture. Confinés dans des espaces étroits, ils sont condamnés à souffrir sans pouvoir bouger. Leur vie connaît ensuite une fin atroce dans un bain d’eau bouillante. Ni le goût, ni l’hygiène ne justifient le fait que les homards soient importés vivants. »

En France, l’ébouillantage du crustacés se pratique toujours. Pire, certaines recettes consistent non à plonger le homard dans l’eau bouillante, mais à le découper vivant. Dans les années 50, la télévision diffusait ces images qui rappellent que notre rapport à la sensibilité animale a considérablement évolué…

CULTURE CLUB TVR, DÉCOUVREZ LE BEST OF 2017

L’émission Culture Club animée par Thibaut Boulais en compagnie de Ronan Le Mouhaër et Nicolas Roberti est tournée chaque mois dans un lieu emblématique de la Métropole de Rennes. TVR, Canal B et Unidivers – 3 regards culturels en 1 pour le même prix (gratuit). Etant donc qu’essayer Culture Club, c’est l’adopter, quoi de mieux que de revoir les bons moments de 2017 !

REVUE AMERICA MAG, UN AN DÉJÀ ! (BILAN)

Il y a un an Donald Trump était élu. Il y a un an, la revue America faisait paraître son 1er numéro (voir notre article). Avec la parution en janvier 2018 du 4e numéro, notre rédaction a trouvé intéressant de faire un bilan de cette publication qui nous avait tant séduits.

« Les écrivains nous entraînent dans un autre monde, le vrai très probablement », ce principe rédactionnel de départ, énoncé dans le premier numéro de la revue a bien été celui retenu lors des parutions d’America, toutes basées sur une structure éditoriale figée mais efficace, portée par de grandes signatures de la littérature contemporaine. Ainsi défini, le trimestriel a su éviter le piège d’un « anti trumpisme » facile, évident et justifié, pour essayer de comprendre la société américaine, responsable en toute connaissance de cause, de l’élection à sa tête de celui que Marc Dugain a qualifié de « clown ».

america

Certes, la chronique du « Poisson Rouge », enfermé dans son bocal du bureau ovale, est mordante et de plus en plus violente, mais elle est atypique et n’est là que pour rappeler l’existence du personnage présidentiel en l’accompagnant d’une simple chronologie effarante et glaçante des événements politiques du trimestre passé. Mais, la revue America donne aussi la parole à des auteurs plus conservateurs comme l’interview remarquable de James Ellroy, ou ce mois-ci le récit jubilatoire d’une rencontre improbable avec les écrivains « un peu réactionnaires » que sont Gay Talese et Tom Wolfe.

La plupart des intellectuels américains pensent qu’on ne peut être profond qu’en s’indignant. Alors ils sont perpétuellement indignés.

Si la revue America veut éviter un manichéisme trop facile en fustigeant à longueur de pages le comportement irresponsable de Trump – qui est quand même à l’origine de la création de la publication – les rubriques cherchent pour l’essentiel implicitement les causes de l’élection du milliardaire.

Trump est le visage de l’Amérique. Certainement pas celle que nous voulons, mais celle que nous méritons.

À ce titre, le dernier numéro est l’un des plus réussis et des plus exemplaires. L’entretien majeur où interviennent les liens personnels très forts liés depuis longtemps par François Busnel, avec les plus grands auteurs américains, est un pur moment d’intelligence et de réflexion. Paul Auster, puisque c’est de lui qu’il s’agit, s’interroge sur le rôle de l’écrivain dans la société américaine, analyse le profil de l’électorat du président, « N°45 sait communiquer dans ce pays avec ceux qui sont en colère » et questionne l’histoire de leur nation.

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Cette histoire nationale est le fil conducteur du magazine America depuis un an. Tous les auteurs tracent un constat ; ce pays, leur pays, a été créé sur la violence, le racisme et sur une réécriture de leur passé. Ce triptyque on le retrouve dans ce dernier numéro. La violence, vue notamment par le prisme de la détention des armes à feu, est décrite avec un talent remarquable par Stephen King, qui en 6 chapitres et un épilogue, raconte minutieusement le processus inéluctable provoqué par le deuxième amendement de la Constitution qui permet la détention et l’utilisation personnelle d’armes à feu. Sans diatribe mais avec une écriture froide et précise, l’auteur de romans fantastiques démontre le caractère inéluctable des fusillades qu’égrènent chaque mois les faits divers américains (le texte a été écrit pourtant en 2013).

Sous chaque pile d’ouvrages de droit, aussi lourde qu’elle puisse être, on ne trouve qu’une seule chose : une arme à feu.

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Véronique Ovalde, a choisi pour sa part d’ausculter la ville « aux 70 000 gangs (…) la ville la plus meurtrière des États-Unis » : Chicago. Elle le fait en rapportant les propos d’anonymes, qu’elle complète de ses observations. La violence traverse cet article comme ce racisme dont Toni Morrison disait, dans un numéro précédent, qu’il avait pour fondement la volonté des classes supérieures de diviser artificiellement les pauvres blancs et les pauvres noirs. Ce racisme latent, permanent est décrit encore par Benjamin Whitmer qui dénonce et démontre ce mois-ci, la ségrégation originelle d’un pays bâti sur la haine de l’autre, celle des Indiens. L’auteur atteint un double objectif dans un article en racontant comment la fête de Thanksgiving Day – qui repose sur le massacre des Indiens Pequot – a été réécrite pour transformer ce crime en fête dédiée à la bienveillance et à la tolérance des premiers colons du May Flower. Comme toute nation, les Américains ont écrit une histoire nationale qui gomme les aspérités de la réalité des faits, qui transforme le massacre originel des Indiens en glorieuse conquête de l’Ouest. Une mythologie toujours en cours aujourd’hui, socle indéniable d’une grande partie de l’électorat républicain.

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Avec une mise en page et une maquette soignées, un papier de qualité, la revue America apporte ainsi quelques pièces à un gigantesque puzzle qui, lorsqu’il sera terminé (à la fin du mandat du 45e président) donnera une image nette et précise de la société américaine, cette société qui nous exalte ou nous fait fuir. Un pays créé sur le racisme qui élit un noir pour choisir huit ans plus tard un blanc xénophobe.

Avec des écrivains porteurs de littérature, nous quittons le domaine du factuel, du quotidien, de l’événementiel, du bon mot, omniprésents dans nos moyens d’information traditionnels pour celui du « vrai, très probablement ». Le succès de ce « mook » si original démontre que la presse papier a encore un bel avenir devant elle, si elle choisit le fond et la qualité. Un constat réconfortant.

America Mag, trimestriel. Sorti en janvier 2018 du numéro 4 sur 16 numéros prévus. 194 pages. 19€. Ean 9791097365042. Disponible dans les librairies, Maison de la Presse ou par abonnement (01.44.70.00.05 ou abo@america-mag,com)

 

MUSIQUE, LE GROUPE OBSCUR ILLUMINE LA SCÈNE RENNAISE

Le Groupe Obscur ? Cinq Rennais qui envoûtent par leur musique pop psychédélique dans un imaginaire qui fait écho à l’écriture visuelle d’Erik Satie (c’est lors de la représentation d’un de ces ballets que le mot surréalisme fut créé), Stravinsky, bien sûr, Mayakovsky, et, plus proche de nous, Cocteau Twins ou Einstürzende Neubauten. Le Groupe Obscur, un voyage pagano-hypnotique, une immersion poétique au profit d’un art magique. Rencontre avec la chanteuse Delamore, une séduisante oiseau de feu qui nous emporte vers des cieux clairs-obscurs à la manière symbolique d’Alkonost, Sirin et Gamaïoun…

Le Groupe Obscur définit sa création comme de la pop-rêveuse. Comment décririez-vous le songe dans lequel vous emmenez votre public depuis 2012 ?

Le Groupe Obscur – C’est vrai que, musicalement, on se sent proches du courant dream pop anglais des années 80, étymologiquement moins, dans le sens où l’on ne prône pas une invitation à la rêverie et à la déconnexion. Bien sûr l’onirisme existe chez LGO, mais on considère le rêve non pas comme une rupture, mais comme une prolongation de notre perception. L’inspiration, c’est le réel ; le réel, c’est le rêve. Et notre traduction du réel se fait à l’aide du mystique. La musique a ce pouvoir d’immersion indicible et précieux, et tout le monde est à la recherche d’un phénomène qui le dépasse. Aussi avec Le Groupe Obscur, on partage notre quête d’immersion à l’aide de tous les moyens possibles ; et ça peut durer toute une vie.

Votre voix est pure, claire, ce qui contraste avec le nom du groupe. Pourquoi avez-vous choisi ce nom de scène et qu’évoque-t-il pour vous ?

Le Groupe Obscur – Le nom du Groupe Obscur est tombé si spontanément qu’on l’a tout de suite adopté. Par la suite, comme un message que l’on ne saisit pas immédiatement, il a libéré des secrets qui allaient se marier parfaitement avec notre formation. Nous sommes vraiment un groupe, une alliance homogène constituée de personnages spéciaux. Et l’obscurité on s’y reconnaît totalement pour ce qu’elle évoque : le mystère, la noirceur, la mélancolie aussi. Mais nous avons une philosophie qui consiste à toujours faire appel à la totalité des choses, et à trouver son équilibre dans un tout. Aussin qui dit obscurité dit lumière, et utiliser l’une comme l’autre dans notre univers est à notre sens indispensable pour parvenir à exprimer des sensations entières et profondes.

Groupe Obscur
Delamore, chanteuse du Groupe Obscur

Vous vous mettez en avant votre puissance impulsive et d’impulsion. Comment se réalise le processus de création ?

Le Groupe Obscur – Il y a dans notre processus de création une essence empirique très prégnante dont on tire liberté et spontanéité. Cela nous permet d’avoir une large palette de possibilités dont on redéfinit les contours ensemble, selon les goûts et aspirations de chacun. Les impulsions premières sont souvent individuelles, mais elles sont immédiatement relayées et remodelées par le reste du groupe, que ce soit la musique, les costumes ou autres trucs que je fabrique : il est essentiel pour nous que chacun s’empare pleinement de la musique comme du reste même s’il n’en est pas à l’origine. Je fais beaucoup dans LGO, mais on ne peut pas transmettre un univers si on ne s’en sent pas part intégrante, de fait chacun est donc indispensable pour ce qu’il est et ce qu’il propose. À la base on est quand même tous de bons gros bricoleurs, alors avec le temps chacun entrevoit davantage de façons de s’investir et de greffer ses idées au projet.

groupe obscur rennes

Votre création n’est pas uniquement instrumentale et vocale ; vous créez aussi vos propres costumes et un langage « obscurien ». D’où est partie cette initiative ? Que représente pour vous cet univers singulier ? Pouvez-vous nous donner un exemple de principes structurant cette langue ?

Le Groupe Obscur – Si la musique est la fondamentale du Groupe Obscur, elle n’est pas un carcan qui nous cantonnerait à une expression sonore. Elle est un moteur qui naturellement nous fait passer par de nombreux médiums. Ce recours à la diversité n’affaiblit pas notre création : nous ne nous dispersons pas, nous convergeons. Nous tenons à cette multiplicité, car elle est le témoin d’envie et d’ouverture. La musique est une force invisible, et tout ce que l’on crée autour est comme un ensemble de totems, générant un champ énergétique propice à son émission comme à sa réception.
Les costumes sont la démonstration la plus évidente de cette invocation musicale. Ils nous installent dans un univers commun dont on devient les messagers.

L’Obscurien est d’abord un langage pour une musique : la nôtre ! Elle rassemble des sonorités qui conviennent à notre façon de chanter, à l’énergie que l’on transmet et à nos goûts personnels : beaucoup de voyelles antérieures et ouvertes, beaucoup « l », de « x » de « t » de « ȼ », permettant des combos de syllabes propices aux mélismes comme à la prononciation précise et incisive d’un texte. À une époque où tous les codes de la pop ou du rock ont été largement explorés, les essais de langage ne sont finalement pas si courants, cela sûrement dû au fait qu’une musique populaire doit être reçue, entendue. L’Obscurien est une langue voulue construite, ayant un sens. Elle se dessine progressivement avec les chansons et les présages que j’écris, et c’est un grand projet, car définir une langue c’est se questionner sur toute une manière de penser – tout évolue donc beaucoup et constamment. Les principes de l’Obscurien doivent être en accord avec notre philosophie : souples, propices à l’interprétation et à la métaphore. Un de nos prochains objectifs est de le rendre accessible grâce à des ressources en ligne ou des publications papier par exemple. Et puis enfin, façonner l’Obscurien est encore une autre manière de se stimuler et de créer des ponts, de multiplier les entrées, et surtout de rappeler que si on a envie de faire quelque chose et bien on le fait.

Selesȼa nexȼlata, phonemen olemeliam. Selesȼa phonem, pardemen polinaris.
Salutations aux ténèbres, continuités de la nuit. Salutations à la nuit, prémices de la mort.

groupe obscur

Que désirez-vous transmettre à votre public à travers vos représentations mystérieuses, planantes et « hypnotiques » ?

Le Groupe Obscur – Ce que l’on cherche à transmettre, c’est notre vision du monde et notre façon de l’appréhender : un engagement continu contre la peur, les évidences et les limites. Nous prônons le bizarre, le doute et la possibilité qui sont omniprésents dans notre univers en perpétuel renouvellement. Mais surtout on s’amuse, on aime faire ce qu’on fait et on le donne aussi naturellement que possible. Si on n’attend pas de réaction en particulier de notre public, on constate généralement une grande attention de sa part, une hypnose presque intimidante. Ça donne envie de repousser encore nos capacités pour émaner et partager de la sensation brute, c’est-à-dire dépasser l’attention pour toucher à cette sensation.

le groupe obscur

Pouvez-vous nous expliquer l’univers musical et artistique dans lequel le groupe évolue et quelles sont vos influences ?

Le Groupe Obscur – Nos influences sont multiples, et c’est la manière que l’on a de les réunir qui fait-office de liant : le lien, c’est le prisme LGO ! Le fait-maison que nous revendiquons est très visible chez LGO, nous pensons que les défauts, les failles qu’il génère sont un apport sensible puissant et communicatif.

L’univers général du Groupe Obscur est un agglomérat de vocabulaires intemporels : astral, occulte, divinatoire, gothique ; d’esthétiques relatives à la sorcellerie ou encore à la biologie. Nous avons convenu d’un code de non-couleurs qui nous permet d’unifier cet univers (or/noir/argent/blanc) lui-même symptomatique de notre volonté de mettre de la lumière dans la nuit, et de complémentariser les forces. Personnellement, je suis très intéressée par les traditions de costumes et de masques, les figurines également.  C’est prenant de se risquer soi-même à la reprise de supports universels appropriés par chaque culture.

On aime la musique, alors on écoute vraiment de tout ! Nous faisons souvent référence à la Dream Pop et au label 4AD lorsqu’on se présente (Dead Can Dance, Cocteau Twins, Spoonfed Hybrid), où à d’autres groupes de New Wave / Alternative qui ont su faire vivre un clair-obscur extraordinaire, comme The Cure, Talk Talk, Siouxsie And The Banshees, Depeche Mode ou Smashing Pumpkins, mais la part rock est aussi très présente dans LGO, qui compte ses adeptes de grunge, de neo metal comme de rock californien. La playlist de tournée peut donc sans problème faire enchaîner Elton John, Kyuss, Planxty, Blink 182 et Type O Negative. Et Kyary Pamyu Pamyu en ghost track.

groupe obscur

Avez-vous des productions musicales en cours et des concerts à venir ?

Le Groupe Obscur – Nous serons le 2 février prochain au Supersonic à Paris, et sommes à la recherche d’un label intéressé pour travailler avec nous. Nous composons, et fabriquons des trucs en continu, ce qui laisse présager encore plein d’aventures pour 2018 !

groupe obscur

Photos : Lise Dua

AÉROPORT NOTRE-DAME-DES-LANDES, LA ZAD À SAINT-AIGNAN ?

Le choix du gouvernement d’abandonner le projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes au profit d’un agrandissement de l’aéroport Nantes-Atlantique (et peut-être celui de l’aéroport Rennes-Bretagne…) laisse l’avenir en suspens.

L’expulsion par la force des zadistes n’aura lieu que si tous les occupants illégaux refusent de partir d’eux-mêmes avant le 30 mars a déclaré Édouard Philippe. À qui la patate chaude maintenant ? Au maire de la petite commune de Saint-Aignan (2500 habitants), coincée entre le bout des pistes de l’aéroport de Nantes-Atlantique et la réserve protégée du lac de Grand-Lieu. L’agrandissement de l’aéroport mettra les pistes à 500m des maisons de la commune… Sans parler de la situation intenable des crapauds et des salamandres des zones humides voisines. Une nouvelle Zone à Défendre ?

aéroport nantes

BD DE BASTIEN VIVES, UNE SOEUR OU L’ÉVEIL À LA SENSUALITÉ

L’année 2017 a révélé quelques pépites en matière de BD. Une Sœur de Bastien Vivès, qui raconte l’éveil à la vie et à la sensualité d’un adolescent de 13 ans fait partie de ces petites merveilles. Séance de rattrapage.

Une soeur Bastien Vivès

Décidément la BD est un art exceptionnel quand elle est pratiquée avec talent. Une Sœur le dernier roman graphique de Bastien Vivès, vient le confirmer. À la lecture de la dernière page de cet ouvrage, on se met à imaginer les milliers de mots nécessaires à un roman écrit pour traduire tous les sentiments qui éclatent dans cette seule bande dessinée. La BD permet tout et notamment les silences. Les silences assourdissants. Les silences sombres. Les silences sur le fil du rasoir. Et ces silences l’auteur de Polina n’a pas son pareil par son dessin léger, subtil, en noir et blanc, pour les rendre éloquents et porteurs de mots.

Une soeur Bastien Vivès

Dans cet ouvrage les mots ne sont là que pour l’accessoire. Tout est dans le dessin, les visages colporteurs uniques de l’émotion au point même que, lorsque les personnages n’ont rien à partager de fort ou de particulier, Bastien Vivès noie leurs traits dans une ombre réductrice. Par contre, lorsqu’il s’agit de traduire des sentiments forts et intenses, le trait se fait précis et les regards et expressions éloquents. Sans exagération. Sans caricature. Le dessin épuré laisse la place à l’essentiel. L’essentiel ce sont les premiers émois amoureux, sexuels, d’un garçon de 13 ans, Antoine, amené à partager de manière impromptue sa chambre avec Hélène, jeune fille de 17 ans, le temps des vacances d’été.

BD Une soeur Bastien Vivès

Antoine découvre ainsi pour la première fois de sa vie le galbe d’un sein lors d’un rapide déshabillage. Et l’émotion et le trouble profond qui en résultent. On le comprend, Bastien Vivès nous emmène dans l’intime, car ses personnages ne sont pas des caricatures d’adolescents en mal de sexe ou de voyeurisme. Antoine s’éveille à la vie, à celle des adultes, à celle de ses parents qui lui disent par exemple pour la première fois qu’il aurait pu avoir une sœur, si sa mère n’avait pas fait une fausse couche. Dans cet univers familial réaliste, le dessinateur s’attarde sur les relations d’Antoine avec son petit frère Titi, voix de l’enfance qu’Antoine est en train de quitter avec un décalage que les situations agrandissent, creusant un fossé d’incompréhension, mais aussi de grande tendresse.

Une soeur Bastien Vivès

Les regards d’Antoine, objets même de la BD, sont inoubliables et vous transpercent de leur vérité et de leur sincérité. Ils sont faits d’étonnement, de doutes, de malaises : il est difficile de grandir, de renaître une seconde fois, sans l’aide des parents cette fois-ci, qui ne sont plus que des ombres inconsistantes et lointaines.

Sur un sujet déjà traité, Vivès évite la caricature et Hélène, plus âgée, n’est pas cette habituelle jeune fille, délurée, sans peur, initiatrice de plaisirs à un garçon niais. Un peu plus mure, elle aussi a ses fêlures, ses doutes et le dessinateur sait avec son talent de distanciation lui donner un corps mature, mais aussi empêtré dans des peurs nouvelles. Les heures silencieuses et solitaires passées sur le portable à la plage se transforment en baignades et en dialogues. Le corps d’Hélène a quitté l’adolescence, mais n’a pas encore pénétré le monde des adultes. Antoine et Hélène sont en transit.

BD Une soeur Bastien Vivès

Tout est vrai, ou ressenti comme vrai, car l’auteur raconte avec justesse les détails du quotidien : première goulée d’alcool, première « taffe » de cigarette, premier contact avec la peau de l’autre, premier désir. Alors pour que ce quotidien soit percutant, Vivès retire tout détail superflu. Le dessin vire à l’épure, sans détails, les décors se noyant dans le blanc ou le noir selon les situations. Ainsi guidé, le lecteur n’a pas le choix. Il ne peut se détourner de ce que le dessinateur veut lui montrer : les émotions. Comme le dessin de la dernière page. Magnifique et pur. Point final d’une BD formidable.

BD Une sœur Bastien Vivès, Éditions Casterman, 3 mai 2017, 216 pages, 20 €

Scénario : Bastien Vivès
Dessin : Bastien Vivès
Lettrage : Jean-François Rey

RENNES, À RÉGNIER, L’ISOLEMENT PSYCHIATRIQUE TISSE SA TOILE

Depuis le 7 novembre 2017, les salariés de l’hôpital psychiatrique Guillaume Régnier de Rennes étaient en grève ; grève qu’ils ont suspendue le mardi 16 janvier 2018*. Leur revendication ? Davantage de moyens humains. En raison de budgets insuffisants, patients et encadrants voient leur environnement se précariser.

« On est cloîtrés. » Quand il parle, Dominique fixe le vide. Les yeux du patient sont braqués au-delà de ses interlocuteurs, perdus quelque part dans l’enceinte de l’hôpital psychiatrique. Pendant plus de deux mois, le centre hospitalier Guillaume Régnier a été touché par une grève menée à l’initiative du syndicat Sud Santé. Au plus fort du mouvement, un quart des salariés avait arrêté le travail. Le patient s’interrompt, mange un morceau de sa galette saucisse achetée auprès des grévistes, puis reprend : « on est pris pour des chiens. Et les soignants aussi. »

Depuis sa jeunesse, Dominique est suivi par les différents services psychiatriques du département. Âgé de 56 ans, il a vu évoluer le milieu. Il se rappelle : « avant, il y avait un jardin, on allait à la piscine de Cesson, c’était formidable. Il n’y a plus ça maintenant ». Autour de lui, les infirmiers grévistes approuvent. Sorties restreintes, recours élargi à l’isolement : ils dénoncent un enfermement accru pour les patients, le recours à certaines méthodes asilaires et pointent, comme causes de ces restrictions, le manque de moyens financiers et humains.

guillaume régnier

Le centre hospitalier Guillaume Régnier est pourtant vaste. Il faut plus de dix minutes pour traverser le parc où sont dispersés les différents bâtiments. Sous le visage grimaçant tagué sur le mur de béton de l’unité de soin G4, un patient fume, assis sur un banc, tandis qu’un autre l’observe depuis le hall. Plus loin, une femme se presse sur les allées goudronnées, engoncée dans son pull de polaire bleue. « Dans les années 1990, tout le monde circulait dans l’hôpital », explique Patrick Richard, infirmier délégué CGT, le premier syndicat sur le site. « Maintenant, il y a deux trois patients à l’extérieur, mais quasi aucune blouse blanche. »

grève CHGR
Devant l’unité de soin G4 de l’hôpital Guillaume Régnier.

D’après le cégétiste, certains patients passent jusqu’à une semaine, voire deux, sans s’aérer à l’extérieur des bâtiments. « On avait un patient, quand ça allait mal, il allait courir un ou deux kilomètres dans l’enceinte de l’hôpital, ça le calmait », se souvient-il. Les équipes étaient suffisamment fournies pour permettre d’accompagner à l’extérieur les patients pour lesquels une présence était requise. « Maintenant, tout est à l’intérieur. »

En pédopsychiatrie, les différentes unités de soins ont été rassemblées en un seul bâtiment, en 2015. Une manière de mutualiser les moyens entre ces unités… et, donc, de réduire les coûts. « Dans ce nouveau bâtiment, on n’a qu’une petite cour, les jeunes ne peuvent plus jouer au foot pour se défouler », déplore Jacques Mény, infirmier délégué Sud Santé.

À la retraite après avoir travaillé à Guillaume Régnier, Yves Thébault confirme : « regrouper tous les enfants a créé une cocotte-minute ». Cet enfermement a des conséquences. Le 3 janvier dernier, un jeune a tiré sur les cheveux d’une infirmière, avant de lui donner des coups sur la nuque. Résultat : deux vertèbres fracturées. Pour Frédéric Thuloup, qui travaille dans ce même service, l’incident avec ce patient aurait pu être évité. « On voit les prémices de ses crises d’habitude, il lui suffit de déambuler pour se calmer… »

GREVE GUILLAUME REGNIER

La direction du centre hospitalier Guillaume Régnier relativise ces témoignages. 80% des patients sont suivis à l’extérieur de l’hôpital, dans des centres médicaux psychologiques (CMP), qui leur assurent consultations et suivi. À l’intérieur du centre, la liberté de déplacement est maintenue. « L’hôpital psychiatrique est un lieu ouvert, les patients ont la possibilité d’aller et venir dans les allées », soutient la directrice adjointe Anaïs Jehanno.

Sauf quand les médecins indiquent qu’une personne doit être accompagnée. « On a un patient, il faut mobiliser trois ou quatre hommes pour qu’il puisse faire du foot, ça s’organise donc difficilement », témoigne Roselyne Monnier. Ces moments sont pour lui l’occasion de sortir de l’isolement, explique l’infirmière. Mais ils se font rares, par manque de personnel.

Pour les sorties à l’extérieur du centre hospitalier, les choses se compliquent davantage. « C’est très individualisé », souligne Anaïs Jehanno. Façon de dire que si certains peuvent partir seuls, ce n’est pas le cas de tous, pointe quant à lui Patrick Richard. « On ne peut plus faire de sorties en ville », assure l’infirmier. Pourtant, explique-t-il, c’est important afin d’aider les patients qui en ont le plus besoin à se réintégrer dans la société. « Il peut arriver qu’il y ait parfois des difficultés pour l’accompagnant », concède la directrice adjointe de l’hôpital.

grève CHGR

Et pour cause. La psychiatrie est le parent pauvre de l’hôpital public, lui-même confronté à des difficultés budgétaires. À Guillaume Régnier, les dotations budgétaires sont longtemps restées fixes, alors même que les coûts de fonctionnement et les salaires augmentaient chaque année jusqu’en 2017 qui a vu le budget diminuer de 532.000 euros. « On évolue dans un cadre budgétaire restreint », résume sobrement Anaïs Jehanno.

Conséquence de ces restrictions, les services n’arrivent pas à remplacer le personnel absent. Ainsi, pendant huit jours, une unité a dû se passer d’agent de service. « Le pool de remplacement a été diminué », déplore Yves Thébault. Dans les différentes unités, les soignants ont donc l’impression de travailler souvent en sous-effectifs. Certains soins et toilettes sont retardés, les sorties et activités sont les premières sacrifiées. « Ça fait trois semaines que les patients ne sont pas allés en balnéothérapie », illustre Roselyne Monnier. Elle va sacrifier une journée de repos afin d’assurer cette activité. « On trouve des solutions malgré tout, affirme-t-elle. On est un hôpital qui sait soigner ses patients. »

guillaume régnier

« Comme il n’y a plus d’activités, les patients se referment sur eux-mêmes », témoigne pour sa part Josiane Roy. Aux côtés de l’infirmière, ses yeux clairs toujours dans le vague, Dominique précise : « on reste à ne rien faire, dans notre lit, on s’occupe comme on peut ». Plus loin, Patrick Richard confirme ces témoignages : « les personnes qui veulent se faire discrètes y arrivent très bien, et on finit par s’en rendre compte trop tard ». Il est difficile de remarquer une personne qui se contente de rester calmement sur une chaise, dans son coin, explique le cégétiste. Et donc de la soigner.

Les infirmiers et aides-soignants sont d’autant plus débordés que l’hôpital est saturé. Du 1er au 25 novembre 2017, le centre Guillaume Régnier a été considéré « en tension » pendant 183 jours : la totalité des lits disponibles était occupée. Pendant 27 jours, il a même fallu ajouter des lits supplémentaires dans les services. « Quand un patient part en permission pour quelques jours ou se trouve placé en isolement, un nouveau patient vient prendre son lit », témoigne Yves Thébault. « Virtuellement, on peut s’occuper de 30 personnes au lieu de 25. » Face à cette situation, les médecins renoncent parfois à voir une personne dont ils savent qu’ils n’auront plus la charge dans quelques jours…

guillaume régnier rennes

Pris en tenaille entre des effectifs insuffisants et des unités saturées, les infirmiers ne peuvent parfois pas répondre à toutes les sollicitations des patients. « Quand on demande quelque chose, la seule réponse est : non, on n’est pas assez, on ne peut pas », témoigne Dominique. Le patient s’éloigne un moment, échange avec les infirmiers grévistes. Puis revient, résolu. « Il n’y a pas assez de personnel », assure le cinquantenaire devant le portail de l’établissement. « Quand ils arrivent, c’est trop tard, c’est la crise de nerfs. Alors ça fait de la casse sur les patients, sur les soignants. »

En décembre dernier, après avoir été changé de chambre trois jours d’affilée, un patient craque. « Il a fracassé les collègues contre un mur », raconte le délégué syndical de Sud Santé, Jacques Mény. « On ne peut plus les accompagner, et ça occasionne de la violence. » En réponse à ces déchaînements, les infirmiers ont recours à la « camisole chimique », comme en témoignaient sous couvert d’anonymat plusieurs infirmiers auprès de France 3 Bretagne. « Pour compenser le manque de sorties, on utilise plus de médicaments, on endort », indique Frédéric Thuloup. Un usage plus fréquent, qui s’explique aussi par l’usage de sédatifs moins puissants qu’auparavant. On reste, malgré tout, éloigné des clichés de patients shootés pour être réduits à la passivité, assure la section CFDT de l’hôpital.

grève guillaume régnier

Dans les situations plus dures, les patients sont mis à l’isolement, dans une chambre vide avec un sommier scellé au mur. S’ils considèrent que ce n’est pas une solution, les infirmiers reconnaissent cependant que c’est la seule dont ils disposent parfois. « Quand je suis arrivé à Guillaume Régnier, en 1986, on se demandait ce qu’il se passait quand quelqu’un était en chambre d’isolement – explique de son côté Patrick Richard – maintenant, quand elle est vide, c’est la surprise. »

Depuis quelques années, indique la direction de l’hôpital, le recours à l’isolement est stable. En 2016, il y a même eu une petite diminution des mises à l’isolement. « On veut diminuer ce recours », assure la directrice adjointe. Mais elle-même concède que « de manière générale, le recours aux pratiques d’isolement et de contention a été jugé trop important. » Contactée, l’Agence Régionale de Santé assure néanmoins que c’est là « un non-sujet ».

guillaume régnier rennes

« Si on pouvait parler plus tôt avec les personnes qui deviennent violentes, on pourrait éviter ça », soutient Patrick Richard. « À Toulouse, ils avaient choisi de refuser les chambres d’isolement pour avoir plus de personnel, assure de son côté Jacques Mény. Et ça marchait parfaitement. »

Pour les infirmiers, ce retour à des techniques asilaires n’est pas seulement dû au manque de moyens. « La société demande à ce qu’on enferme les gens, pour être plus tranquille », déplore Frédéric Thuloup. Une évolution sécuritaire globale auquel l’hôpital psychiatrique n’échappe pas. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le psychiatre Lucien Bonnafé avait dénoncé les atrocités dont avaient été victimes les patients psychiatriques. À Guillaume Régnier, les infirmiers reprennent ses mots : « On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous. »

*La grève a été suspendue mardi 16 janvier à l’annonce, par le cabinet de la ministre de la Santé du déblocage d’une somme de 1 648 000 euros mais, comme le souligne le syndicat Sud Solidaires Santé Sociaux, « le ministère n’a pas encore répondu à la demande d’ouverture de 20 lits supplémentaires et à la création de 15 emplois sur le pool de remplacement ». Un cas à suivre donc…

 

guillaume régnier

Centre hospitalier Guillaume Régnier
Rue du Moulin de Joué, 35700 Rennes
Horaires : ouvert 24h/24
Service d’urgences : 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7
Type : Centre hospitalier spécialisé
Spécialité(s) : Psychiatrie; Addictologie; Gériatrie; Handicap
Téléphone : 02 99 33 39 00
Nombre de lits : 776 (sanitaire)

Pour se documenter : le film de Depardon sorti au mois d’octobre filme de l’intérieur un hôpital psychiatrique (celui de Lyon).

QUAND DIEU APPRENAIT LE DESSIN, PATRICK RAMBAUD DANS L’EUROPE MÉDIÉVALE

Quand Dieu apprenait le dessin : un titre assez énigmatique pour le dernier roman du satiriste Patrick Rambaud. L’histoire de ce livre prend place sur la route commerciale reliant Mayence, Venise ainsi qu’Alexandrie à l’époque médiévale de Louis le pieux, fils de Charlemagne…

QUAND DIEU APPRENAIT LE DESSIN

«  Nous étions à l’âge des ténèbres. Le palais des doges n’avait pas encore remplacé la lourde forteresse où s’enfermaient les ducs. Les Vénitiens étaient ce peuple de marchands réfugiés dans les lagunes, pour se protéger des barbares. Ils ne voulaient pas affronter des ennemis mais cherchaient des clients  : aux uns, ils vendaient des esclaves, aux autres du poivre ou de la soie. Leur force, c’étaient les bateaux – dans une Europe encore aux mains des évêques et des Papes.  »

On se retrouve donc plongé dans différentes cultures et religions, catholique et musulmane au 9e siècle, c’est-à-dire dans une Europe encore ténébreuse, peu évoluée et engluée dans un archaïsme quasi primitif contrairement à la partie méridionale du continent à savoir la future cité des Doges, plus évoluée.

QUAND DIEU APPRENAIT LE DESSIN
Enlèvement de Saint-Marc, Tintoretto (1562-1566), Huile sur toile, Galerie de l’Accademia, Venise

Rustico, tribun vénitien et négociant en armes, épices et esclaves, de retour de Mayence, se voit confier une mission périlleuse : se rendre à Alexandrie afin de subtiliser aux Coptes la relique de Saint Marc dans le but de conférer une autorité et une légitimité à la ville de Venise face à l’hégémonie de Rome. Avant d’entreprendre ce périple, Rustico s’était rendu chez les Germains où il fit la rencontre de frère Thodoald, moine anciennement apothicaire, très penché sur la boisson et ne respectant pas vraiment ses vœux de chasteté ni d’obéissance… Patrick Rambaud dépeint le mode de vie des religieux au sein du royaume de Louis le débonnaire (Louis Le pieux) : les religieuses se prostituent, les moines passent avec elles du bon temps tout en ripaillant et buvant sans limites…

QUAND DIEU APPRENAIT LE DESSIN
Un moine avec sa maîtresse. BNF Gallica

Quand Dieu apprenait le dessin ou quand ses créatures étaient profondément imparfaites, aux traits et attitudes grossiers. « Ce qu’il voit dans la chapelle nue le désarme. Il imaginait quelque chose d’angélique, qui corresponde à ces voix de paradis. La foule qui se presse et chante devant l’autel a de quoi estomaquer n’importe quel voyageur averti par la laideur de la réalité. Un éclopé, à quatre pattes, lève sa main sèche et roucoule. Un bossu se couche comme il peut sur le dos et regarde le plafond en extase. Ils ont des peaux de batraciens craquelées et vertes, langés dans des morceaux de lin sale. Accroché à ce pilier, un aveugle couvert de croûtes bat la mesure. Une énorme femme échevelée berce un enfant mort et mange les poux de sa tignasse. Ils chantent. »

QUAND DIEU APPRENAIT LE DESSIN
Transport de la relique de Saint Marc figurant sur la basilique à Venise

Les deux compagnons vivront des aventures sur la route de Mayence à Venise puis embarqueront ensemble sur un navire en direction d’Alexandrie. Le doge Justinien, plus haute autorité de Venise commanditaire de cette mission, apparaît comme un homme peu scrupuleux : « Porté au pouvoir par un complot, le doge imagine qu’un autre complot risque de le renverser : pour avoir l’âme en paix, il aurait dû tuer son frère Jean. Il le regrette. Quand on espère bâtir une république durable, il ne faut pas être trop civilisé. »
Après plusieurs semaines de trajet, les embarcations atteignent la légendaire cité d’Alexandrie, ville immense, dix fois grande comme Mayence ou Rome ; carrefour d’échanges commerciaux entre Européens (notamment vendeurs d’esclaves slaves), Indiens, Iraniens, Grecs, Bédouins de Tripolitaine. Rustico et ses acolytes devront user d’un bon stratagème afin de récupérer la relique de Saint Marc dans l’église copte tenue par deux religieux vivant des dons des visiteurs. Tout comme dans la première partie du livre, le tribun marchand et Thodoald avaient échangé un os de porc avec le coude momifié d’une sainte dénommée Werentrude en contrepartie de services hospitaliers fournis par les prélats de l’abbaye de Saint-Gandulf où l’équipée avait fait halte. Personne ne s’est aperçu de la supercherie et Louis le pieux se prosternera non pas devant une relique de sainte, mais face à un vulgaire os de jambonneau… (Comme quoi tout est bon dans le cochon). C’est justement grâce à des porcelets dont la viande est déjà à cette époque jugée impure par les musulmans d’Alexandrie que Rustico, accompagné d’un autre tribun, essaiera d’acheminer la dépouille de Saint Marc jusqu’à Venise. Patrick Rambaud mêle éléments historiques et fictifs, souvent avec un esprit farceur, ironique, et embarque le lecteur dans une époque méconnue et fondatrice de la célèbre cité lacustre.

Quand Dieu apprenait le dessin de Patrick Rambaud, Éditions Grasset, 10 janvier 2018, 288 pages, 19 €

Lire un extrait

DOMINIQUE PLIHON, « LA MONNAIE EST UN INSTRUMENT POLITIQUE »

Entretien avec Dominique Plihon, professeur à l’université Paris XIII et porte-parole d’ATTAC. Avec les économistes atterrés, il a publié un manuel critique d’économie – La Monnaie, un enjeu politique – qu’il présente avec sa consœur Esther Jeffers aux Champs Libres de Rennes le 20 janvier 2018.

LA MONNAIE UN ENJEU POLITIQUE

Unidivers. Vous avez publié le 11 janvier dernier avec les économistes atterrés un manuel d’économie critique, qui pointe le rôle de la monnaie dans les crises du capitalisme. Pourquoi choisir de s’emparer de ce thème en ce moment ?

Dominique Plihon – La monnaie est quelque chose qui est omniprésent. Tout le monde l’utilise tous les jours, mais peu de gens ont conscience de son importance politique. De leur côté, les théories économiques dominantes sous-estiment le rôle de la monnaie dans l’économie. On a éprouvé le besoin d’écrire ce livre pour préciser ces rôles de la monnaie dans la société.

U. Quelles fonctions la monnaie remplit-elle aujourd’hui dans notre société ?

Dominique Plihon – La monnaie est une institution sociale, c’est une construction avec ses règles, ses autorités. Quand on fait une étude anthropologique, quand on regarde comment elle fonctionne dans d’autres sociétés, on constate qu’il y a toujours eu de la monnaie. C’est un facteur de lien social, de cohésion, de rapprochement, voire de solidarité entre membres d’une même communauté. Que l’on soit dans un village, une île du pacifique, ou dans la zone euro, c’est un trait d’union important entre les personnes.

De leur côté, les économistes présentent surtout la monnaie par ses fonctions économiques traditionnelles. C’est un instrument d’échange, un instrument de réserve, pour pouvoir épargner, et c’est une unité de compte, à laquelle on se réfère pour fixer les prix. Ces fonctions existent, mais le rôle de la monnaie ne se réduit pas à ça. Dans notre livre, on tente d’expliquer les difficultés actuelles de l’euro et ses risques de disparition par le fait que ceux qui ont conçu l’euro ont voulu lui donner un rôle purement économique d’instrument pour le marché économique et financier. Ils ont oublié la dimension sociale et politique de la monnaie. C’est pour cela que l’euro est une monnaie incomplète, et cela explique pourquoi l’euro est contesté.

DOMINIQUE PLIHON MONNAIE

U. Vous défendez l’idée d’un contrôle démocratique de la monnaie. Quels liens entretiennent la démocratie et la monnaie ?

Dominique Plihon – Dans nos sociétés, la grande majorité des gens adhèrent à une vision démocratique. On doit admettre que la monnaie, qui est un des rouages de la société, doit aussi procéder d’une manière démocratique. Il faut donc qu’elle soit créée dans l’intérêt de la majorité.

Or, on constate qu’aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Le pouvoir de création monétaire a été privatisé pour les intérêts de quelques-uns. Les banques commerciales créent de la monnaie dans l’intérêt de leurs actionnaires. De même, la Banque Centrale européenne est dirigée par d’anciens banquiers, qui gèrent l’euro dans l’intérêt du système bancaire, et pas du tout dans l’intérêt de la population. Il faudrait donc que les banques commerciales et centrales soient contrôlées démocratiquement.

monnaie

U. Mais ce contrôle démocratique a-t-il déjà existé ?

Dominique Plihon – Il y a aujourd’hui en France ou ailleurs des banques qui fonctionnent démocratiquement, comme les vraies banques coopératives. Elles sont gérées dans les intérêts de leurs sociétaires : salariés, clients, et détenteurs du capital. C’est un modèle de banque qui s’approche de l’idéal démocratique.

Il y a d’autres possibilités. En France, dans le passé, on a tenté à plusieurs reprises de nationaliser les banques : pendant le Front Populaire, en 1936, avec l’application du programme du Conseil National de la Résistance, après la Seconde guerre mondiale, puis avec le programme commun de la gauche en 1981. Ces expériences qui avaient pour ambition de reprendre le contrôle ont été dévoyées : les banques nationalisées ne se sont pas forcément comportées de manière démocratique. On peut prendre l’exemple du Crédit lyonnais, nationalisé en 1981, qui a eu des comportements de corruption…

U. Pourquoi l’absence de contrôle démocratique sur l’origine et la circulation de cet argent pose-t-il problème ?

Dominique Plihon – Quand on regarde fonctionner ces banques, on constate que leur objectif est d’obtenir le rendement maximum sur leurs fonds propres. On veut que l’argent apporté par les actionnaires rapporte au maximum. Or, quand on pratique ce genre de politique, on prend des risques élevés. On va sur des opérations spéculatives plutôt que sur des investissements de long terme, sociaux et écologiques. C’est pour nous quelque chose d’insupportable, puisque ça crée de l’inégalité et de l’instabilité. La crise des subprimes [en 2007] est née dans le monde bancaire anglo-saxon, mais s’est propagée très vite, à cause de ce comportement actionnarial des banques privées, et par ces prises de risques excessifs qui ont conduit à cette catastrophe.

monnaie galleco

U. Les nombreuses révélations suite aux scandales financiers (Luxleaks ou encore Panama Papers) ont montré que les banques échappaient sans problème à tout contrôle, parfois avec la complicité des États. Comment peut-on rétablir le moindre contrôle dans ce contexte ?…

Dominique Plihon – Il y a un rôle et une responsabilité considérables des pouvoirs publics, des autorités élues. Il faut que les gouvernements édictent des règles pour redonner un contrôle strict de la finance, puisqu’il y a eu des moments où les banques étaient très réglementées. Mais aujourd’hui nous sommes dans un monde néolibéral avec des gouvernements qui ne veulent pas imposer de règles aux systèmes bancaire et financier qui permettraient que la monnaie redevienne un bien public.

Puisque les gouvernements ne prennent pas ces responsabilités, nous considérons que le mouvement social et citoyen a un rôle crucial à jouer pour créer un nouveau rapport de force et sensibiliser l’opinion publique. Par exemple, la campagne menée par beaucoup sur l’évasion fiscale en particulier s’inscrit dans ce rôle-là.

U. On recherche aujourd’hui des alternatives aux systèmes monétaires « traditionnels » : d’un côté les monnaies électroniques ; de l’autre, les monnaies locales

Dominique Plihon – Les expériences monétaires alternatives sont très intéressantes : si elles se développent, c’est que le modèle dominant n’est pas satisfaisant. Il y a une idée de relocaliser les activités. La monnaie locale vise à reconstruire une société plus territorialisée, plus locale et environnementale.

BITCOIN

Pour les cryptomonnaies, elles se développent en se fondant sur les progrès technologiques. Comme tout progrès technique, il peut être bon ou mauvais, il peut permettre de faire mieux fonctionner la monnaie, mais il peut aussi permettre le pire. Le bitcoin est un système complètement dévoyé par rapport à ce que devrait être une monnaie à part entière : c’est devenu une monnaie spéculative qui sert à faire du blanchiment d’argent puisqu’elle échappe à tout contrôle et des gens peu scrupuleux l’utilisent. Mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, ce n’est pas parce que le bitcoin est un échec démocratique que toutes les cryptomonnaies sont un mauvais modèle. S’il y a un contrôle démocratique, de la transparence, des principes, cela peut avoir un intérêt très fort.

De nouvelles expériences peuvent être plus démocratiques. On peut avoir par exemple des monnaies locales sous la forme de cryptomonnaies. Le numérique n’est qu’une modalité d’organisation monétaire qui correspond à un processus de dématérialisation des instruments utilisés pour faire circuler la monnaie, c’est une évolution normale. Mais le plus important est de comprendre que la monnaie n’est pas qu’un instrument technique, c’est une institution politique.

La monnaie un enjeu politique avec Esther Jeffers et Dominique Plihon. Samedi 20 janvier à 15h30, Les Champs Libres, salle de conférences, 10, cours des Alliés, Rennes. Gratuit. Contact : 02 23 40 66 00.

La Monnaie Un Enjeu politique par Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers, Jonathan Marie, Dominique Plihon et Jean-François Ponsot pour le Collectif des Economistes atterrés, Le Seuil, collection Points Economie, 240 pages, 8,30 euros, parution le 11 janvier 2018.

Esther JeffersEsther Jeffers est professeure d’économie à l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV). Ses domaines de recherche sont l’économie bancaire et la politique monétaire.

RENNES, L’OSB INVESTIT LA SALLE DE CONCERT DU COUVENT DES JACOBINS

L’Orchestre symphonique de Bretagne (OSB) a investi sa nouvelle salle de concert au Couvent des Jacobins. Il nous aura fallu faire preuve de patience avant que les travaux qui rendaient impossible toute circulation dans cette partie historique du centre-ville de Rennes s’achèvent. C’est fait : les mélomanes rennais ont pu accéder mercredi 10 et jeudi 11 janvier à la salle de concert qui accueille désormais l’OSB dans ses œuvres. Présentation.

Nous voilà dans la nouvelle salle de concert de l’OSB sise au Couvent des Jacobins. Tout n’est pas terminé, quelques détails restent à régler, mais avec le temps et l’addition d’un peu de vie, l’impression de froideur de ces grands espaces blancs très éclairés s’estompe au profit d’une foisonnante et chaleureuse activité.

concerts osb rennes

La soirée commence avec l’hymne gallois Hen Wlad Fy Nhadau immédiatement suivi de l’hymne breton Bro Gozh ma Zadou dont il serait difficile de nier qu’ils sont à peu de choses près copie conforme. On ne peut s’empêcher de les relier musicalement à des œuvres comme celle que propose Sir Edward Elgar dans ses Pomp and circumstances, notamment Land of hope and glory.

C’est ensuite avec une œuvre du peu connu musicien anglais Ralph Vaughan Williams Serenade to music que se poursuivait ce programme inaugural. Ce sont de bien belles mélodies, pleines de douceur et d’intériorité, qui permettent au premier violon, Fabien Boudot, récemment recruté, de s’exprimer face à son nouveau public. Il n’est pas seul, car plus de 150 choristes donneront de la voix et dessineront dans ce nouvel auditorium un paysage musical apaisé et lyrique.

osb couvent jacobins

Entrent en lice les solistes. La soprano Helen Kearns impressionne par la sûreté vocale dont elle fait preuve, distillant des aigus périlleux et parfaitement dominés. Nous ne serons pas moins touchés par la voix du baryton Duncan Rock, qui, avec ses faux-airs de Prince Harry, impose une présence et des sonorités convaincantes. L’œuvre n’est pas longue, mais elle enchante et prépare l’assistance d’une salle pleine jusqu’au dernier strapontin, au morceau de bravoure qui suivra : la symphonie avec chœur n° 9 de Ludwig Van Beethoven.

concerts osb rennes

Le public frémit d’impatience à l’idée d’entendre l’orchestre symphonique de Bretagne, au grand complet et plus encore, donnant la répartie à pas moins de cinq ensembles – le chœur Vibrations, l’ensemble vocal Résonance, le chœur de chambre Kamerton, le chœur du conservatoire à rayonnement régional Prolatio et l’ensemble Mélismes. Gildas Pungier réussit le tour de force de fédérer ces ensembles et offre un chœur final aussi puissant que bouleversant. Impossible de souhaiter mieux pour une soirée d’inauguration.

En plus des solistes déjà cités, nous retrouverons la charmante mezzo-soprano française Virginie Verrez qui impose ses belles qualités vocales avec beaucoup de conviction. Une bien belle rencontre. Il convient également de remercier le ténor Thomas Piffka venu remplacer au pied levé Xavier Moreno malheureusement souffrant. Bref une soirée marquante !

concerts osb rennes

Mais portons sur cette nouvelle installation un regard plus critique. Premier élément positif : les allées sont larges et les fauteuils confortables (c’est heureux pour tous les mélomanes dont le poids tutoie le quintal et à qui certains lieux de concerts imposent une double peine). Quant à l’acoustique, nous nous sommes appuyés sur les remarques d’un consultant de luxe, en la personne du pianiste François Dumont, qui était venu accompagner son épouse la soprano Helen Kearns. Ses conclusions sont favorables : il a constaté durant les répétitions que les sons se répartissent sans déformation ou échos désagréables en différents points de la salle. Son relevé conforte nos propres constatations et apporte un réel soulagement tant il va sans dire que l’acoustique est essentielle. C’est Damien Guillon, chanteur et créateur de l’ensemble de musique baroque Le banquet céleste, qui parachève d’un avis expert cette appréciation générale.

osb couvent jacobins rennes

L’Orchestre symphonique de Bretagne, sous la direction de Grant Llewellyn et sans doute inspiré par ses nouveaux locaux, offre une prestation de haut niveau. La partition leur en offrant l’occasion, Eric Bescond et sa flûte aérienne, Marc Mouginot au basson et Christine Fourrier et sa clarinette ont offert à l’entame de cette année 2018 ce que la musique peut offrir de mieux.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BRETAGNE // DIRECTION : GRANT LLEWELLYN // CHEF DE CHOEUR : GILDAS PUNGIER // : CHŒUR DE L’ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BRETAGNE // : BBC NATIONAL CHORUS OF WALES // SOPRANO : HELEN KEARNS // MEZZO-SOPRANO : VIRGINIE VERREZ // TÉNOR : THOMAS PIFFKA //BARYTON : DUNCAN ROCK

Photos : Laurent Guizard

AVEC LES LOYAUTÉS DELPHINE DE VIGAN RENOUE AVEC LA FICTION

Deux romans autobiographiques (Rien ne s’oppose à la nuit et D’après une histoire vraie) ont permis aux lecteurs de comprendre la force et la sensibilité de Delphine de Vigan. Avec Les loyautés, l’auteure renoue avec la fiction et la compréhension des fragilités adolescentes (No et moi, 2008) et des doutes des adultes (Les heures souterraines, 2009).

LOYAUTÉS DELPHINE DE VIGAN

Ici, plus que jamais, d’un regard sensible et percutant, Delphine de Vigan nous interpelle sur l’enfance maltraitée.

Hélène est professeure de sciences dans un collège. Battue dans son enfance par un père sadique, elle est particulièrement sensible aux petits signes silencieux des enfants en détresse. Elle voit tout de suite en Théo un adolescent en souffrance.

« C’était quelque chose dans sa façon de se tenir, de se soustraire au regard… »

Sa révolte obsessionnelle et son obstination la poussent alors à dépasser ses droits. Pour tenir les promesses de l’enfant qu’elle fut, elle veut absolument en savoir plus et sauver ce garçon.

DELPHINE DE VIGAN
DELPHINE DE VIGAN

Aucune trace de coups sur le corps de Théo. C’est ailleurs que s’immisce le mal résultant d’un divorce mal vécu. Sa mère reporte son dégoût d’un mari déserteur sur son fils. Le père, entraîné dans une mauvaise spirale renonce à la dignité. Taisant ses hontes et ses souffrances, Théo boit de l’alcool comme s’il voulait en mourir, descendre du train de cette vie humiliante.

Dans cette folie, le jeune garçon entraîne Mathis, son unique ami.

« Jusqu’où peut-on être complice de l’autre ? »

À qui se confier lorsqu’on est adolescent ? Les adultes sont loin et se débattent aussi dans leur propre misère. Cécile, la mère de Mathis, est en pleine confusion en découvrant la vraie personnalité de son mari. Ce grand homme de belle famille qui lui a tant reproché son modeste milieu de naissance se révèle être une énigme.

Dans ce roman choral, chacun est victime de l’autre et chacun se débat en solitaire cachant sa honte et ses blessures. Lumineuse, volontaire, Delphine de Vigan croit pourtant à cette solidarité humaine qui peut sauver les autres en se sauvant soi-même.

Car ces loyautés, que définit l’auteur en incipit, nous les avons au fond de nous.

« Les loyautés.

Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres — aux morts comme aux vivants —, ce sont des promesses que nous avons murmurées et dont nous ignorons l’écho, des fidélités silencieuses, ce sont des contrats passés le plus souvent avec nous-mêmes, des mots d’ordre admis sans les avoir entendus, des dettes que nous abritons dans les replis de nos mémoires. »

Le roman Les Loyautés tant attendu en cette rentrée littéraire tient ses promesses. Delphine de Vigan porte un regard sensible et juste sur les douleurs intimes que l’on cache au plus profond de soi par honte ou par respect du lien que l’on veut garder avec l’autre.

Les Loyautés Delphine de Vigan, JC Lattès, 3 janvier 2018, 208 pages, 17 euros, 9 782 709 661 584

LOYAUTÉS DELPHINE DE VIGAN

Biographie de Delphine de Vigan
2001 : Jours sans faim, éditions Grasset (sous le pseudonyme de Lou Delvig)
2005 : Les Jolis Garçons, éditions Jean-Claude Lattès
2005 : Un soir de décembre, éditions Jean-Claude Lattès
2007 : No et moi, éditions Jean-Claude Lattès
– Prix des libraires 2008
– Prix du Rotary International 2009
2008 : Sous le manteau, éditions Flammarion (ouvrage collectif)
2009 : Les Heures souterraines, éditions Jean-Claude Lattès
– Prix des lecteurs de Corse, 2010
– Prix du roman d’entreprise, 2009
2011 : Rien ne s’oppose à la nuit, éditions Jean-Claude Lattès
– Prix du roman Fnac 2011
– Prix Roman France Télévisions 2011
– Prix Renaudot des lycéens 2011
– Prix des lectrices de Elle
2015 : D’après une histoire vraie, éditions Jean-Claude Lattès
– Prix Renaudot 2015
– Prix Goncourt des lycéens 2015

RENNES, LA VEILLÉE REVIENT AUX ATELIERS MUNICIPAUX EN JANVIER 2018

Après avoir créée La Veillée pour le festival 2014 des Tombées de la Nuit aux Étangs d’Apigné, la compagnie OPUS (Office des Phabricants d’Univers Singuliers) revient à Rennes présenter La Veillée dans un lieu insolite peu connu des Rennais. Le retour de Mme Champolleau et de Mr Gauthier a lieu du 19 au 21 janvier 2018 aux ateliers municipaux de la DVPF rue Jean-Marie Huchet

LA VEILLÉE OPUS

Échappés depuis 2009 du spectacle La Quermesse de Ménetreux, les deux Anciens ont pris de l’indépendance et de l’autonomie dans l’univers de la compagnie de Pascal Rome et Chantal Joblon. Toujours originaires de Ménetreux, l’un toujours factotum et l’autre indélébile pensionnaire volubile, ils sont cette fois logés dans une maison de retraite locale au cours d’un voyage organisé. Pour la dernière soirée, ils vont inviter leurs hôtes autour d’un feu pour partager une soupe à l’oignon. Mr Gautier alimente le feu du brasero, Mme Champolleau se charge de la conversation. Ils vont être rejoints par Guillaume, animateur de la maison de retraite.

LA VEILLÉE OPUS

Au cours de cette causerie, il sera question de point de croix, de carnaval, de Brigitte Bardot, mais aussi d’extraterrestres, d’épluchage d’oignons, de toréador et d’« assemblage sur pied ». On parlera d’amour, de vie, de mort et de boudin maison. On prendra les vessies pour des lanternes et les rêves pour des réalités…

LA VEILLÉE OPUS

On ne devrait pas déflorer une création d’OPUS, leurs inventions pour mettre le réel de traviole et cul par-dessus tête. Au-delà du burlesque et de l’humour décapant, ce théâtre aussi tendre qu’irrévérencieux, mêle écriture dramaturgique, textuelle, non textuelle et improvisation, en instituant une connivence unique avec le public. Interactive, déformable et une nouvelle fois marquée par ces « objets phabriqués » si chers à OPUS, LA VEILLÉE est un grand moment de théâtre populaire et exigeant.

LA VEILLÉE

En ayant abordé ce spectacle comme un formidable moment partagé, avec du rire, de l’étonnement, de la tendresse, fait de la richesse des relations humaines et d’authentique simplicité, nous nous sommes offert la chance de sensations vraies, au-delà des artifices du théâtre.

La Compagnie Opus présente à Rennes La Veillée dans le cadre des Tombées de la Nuit du 19 au 21 janvier 2018 aux Ateliers Municipaux rue Jean-Marie Huchet.

VEN 19 JANVIER 2018
20:00 > 22:00

SAM 20 JANVIER 2018
20:00 > 22:00

DIM 21 JANVIER 2018
16:00 > 18:00

10€ / Réduit 8€ / Carte Sortir 4€

https://vimeo.com/13265428

RENNES. L’ÉCRIVAINE INDIENNE MILITANTE ARUNDHATI ROY AUX CHAMPS LIBRES

Récompensée par le prestigieux Prix Booker en 1997, Arundhati Roy revient avec une fiction politique Le ministère du bonheur suprême. L’écrivaine indienne, militante pacifiste, donnera une conférence aux Champs Libres à Rennes le 17 janvier 2018 à 18h30. À travers sa fiction, l’auteure nous livre un cinglant portrait politique et social de l’Inde d’aujourd’hui.

On ne fera pas un monde différent avec des gens indifférents  – Arundhati Roy

ARHUNDATI ROY PRIX BROOKER

Depuis son premier Prix Booker en 1997, prestigieux prix littéraire anglo-saxon, reçu pour son livre Le Dieu des petits riens (The God of Small Things), Arundhati Roy n’a cessé son combat en faveur des droits humains, de l’écologie et de l’altermondialisme. Elle s’est également engagée en faveur de nombreuses causes en Inde, son pays d’origine auquel elle a consacré de nombreux essais polémiques qui ont suscité de l’animosité voire parfois bien pire …

Dans ce roman (paru aux éditions Gallimard), l’écrivaine dépeint une Inde bien moins édulcorée que l’image relayée par les médias nationaux. Derrière les films bollywoodiens se dissimule une société franchement inégalitaire où le système de caste perdure. Les Intouchables ou Dalits sont au service des classes supérieures et la mobilité sociale reste figée. Comme le précise Mediapart, la quatrième puissance mondiale est un pays très violent : « 2 millions de femmes sont assassinées chaque année, 600 millions de personnes sont malnutries ». La nation de Gandhi se dispute également toujours le Cachemire avec le Pakistan, depuis maintenant près de trente ans. Cette guerre a fait « des dizaines de milliers de morts, principalement des civils » selon La Libre. C’est cette sombre facette de son pays qu’Arundhati Roy a voulu traduire le plus justement possible dans son roman Le ministère du bonheur suprême.

Gaëlle Fonlupt de l’association pour les droits des Dalits (Echoway) indique, en effet, que « 50 % des Dalits vivent sous le seuil de pauvreté contre 30 % pour la population totale ». Concernant le respect des droits des femmes en Inde, il est en train de sacrément fléchir : en 2017, le pays se plaçait au « 108e rang (sur 144) du classement des pays respectant le droit des femmes, selon un rapport publié par le World Economic Forum alors que le pays occupait la 87e position en 2016 (Mashable, France 24). L’Inde compte également 490 000 femmes transgenres (hijras) dont 30 000 à Delhi (Vice). Celles-ci sont 49 fois plus susceptibles de vivre avec le VIH que les autres adultes (WHO). Quant aux hommes transgenres, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) indique que les données sur le sujet sont peu nombreuses. Sur le plan religieux, le pays constitue le troisième foyer de musulmans au monde avec 170 millions pratiquants (Rfi). Leur taux d’emploi est inférieur à celui des Dalits (Patheos). Il est respectivement de 48 % chez les hommes musulmans et 9% chez les femmes musulmanes contre 53 % et 23 % chez les Dalits. Enfin, « les musulmans représentent 11 % de la population indienne et 40 % d’entre eux sont en prison ».

ARHUNDATI ROY

Dans un entretien pour Outlook, la romancière explique : “Au Cachemire par exemple, les reportages de journalistes ou les rapports sur les droits de l’homme ne disent pas vraiment la vérité sur ce qui se passe. Le roman est le seul moyen de dire, ou d’essayer de dire, ce que signifie vivre sous un régime militaire, ce que cela a comme impact sur l’esprit et les sentiments des gens.” Arundhati Roy a donc fait le choix d’utiliser une nouvelle fois la fiction pour décrire le quotidien d’une partie de la population indienne par l’intermédiaire de personnages en marge de la société, opprimés ou en rébellion contre l’État qui vont se rencontrer et se parler.

À travers deux personnages principaux Anjum, hijra, Tilo, universitaire – et de nombreux personnages secondaires, mais tout aussi essentiels au roman –, l’écrivaine emporte le lecteur dans un voyage au cœur des quartiers du Vieux Delhi, dans la vallée du Cachemire, mais aussi des forêts de l’Inde centrale. Les destins des nationalistes hindous, de guerriers maoïstes ou, encore, d’un tortionnaire vont se croiser avec ceux d’une communauté de hijras et d’une universitaire qui évolue dans un univers profondément sexiste…

Les rencontres sont multiples et souvent insolites; les relations furtives ou durables, mais toujours pleines de sens et riches d’enseignement. Elles sont des témoignages fictifs, certes, mais indéniablement représentatifs du quotidien des populations discriminées en Inde, quel que soit le motif de leur différence. Les échanges entre les personnages se déroulent dans un contexte de violence et de guerre à travers lequel l’auteure retrace l’histoire de l’Inde de ces vingt dernières années. Ce roman Le ministère du bonheur suprême n’est cependant pas dénué d’espoir et de solidarité : l’amour vient éclairer le sombre portrait de l’Inde qui nous est présenté.

Alors, pour faire plaisir à Zainab, Anjum commença à se réécrire une vie plus simple, plus heureuse qu’elle l’avait été et, en retour, le processus fit peu à peu d’Anjum une personne plus heureuse et plus simple.

Arundhati Roy s’inspire ainsi d’une réalité qu’elle connaît bien et qu’elle cherche à faire évoluer à travers son action militante. Le ministère du bonheur suprême conjugue avec talent fiction et réalité dans un roman qu’elle revendique comme une véritable « arme politique » (Courrier International).

Le Ministère du Bonheur Suprême, ARUNDHATI ROY, 4 janvier 2018, Collection Du monde entier, éditions Gallimard. 544 pages, traduit de l’anglais (Inde) par Irène Margit.

Titre original : The Ministry of Utmost Happiness

Rencontre à Rennes avec Arundhati Roy Mercredi 17 janvier aux Champs Libres à 18h30, salle de conférences, 10 cours des Alliés. Gratuit. Contact : 02 23 40 66 00.

Autres dates de rencontre :

ARUNDHATI ROY À L’OPÉRA DE STRASBOURG : Le 20 Janvier 2018 de 15h à 17h

ARUNDHATI ROY AU THÉÂTRE GARONNE À TOULOUSE : Le 19 Janvier 2018 à 18h

https://www.youtube.com/watch?v=jic7qWikf4g

Arundhati Roy commence à écrire son premier roman, Le Dieu des Petits Riens (The God of Small Things) en 1992. Elle le termine en 1996 : le livre est inspiré de sa vie et une grande partie est basée sur ses expériences d’enfance au Kerala.

La publication du Dieu des Petits Riens rend Roy célèbre à travers le monde. Le livre reçoit le prix Booker en 1997 et fait partie de la liste des livres remarquables du New York Times la même année. Le livre est également un succès commercial : publié en mai, il est vendu dans 18 pays dès juin et il atteint la quatrième place sur la New York Times Best Seller list pour la fiction indépendante.

LES DÉCLINAISONS DE LA NAVARRE, SPECTACLE D’HUMOUR DANSÉ AU TRIANGLE

Après une représentation qui a enthousiasmé le festival off d’Avignon, le Collectif PJPP (Claire Laureau et Nicolas Chaigneau) pose ses bagages à Rennes le 17 janvier 2018 à 20h. Le couple de danseurs bien frappé joue au Triangle Les Déclinaisons de la Navarre, un spectacle de danse bourré d’humour. Décalé, tout en finesse et en légèreté. Réjouissant.

LES DECLINAISONS DE LA NAVARRE

Votre spectacle mêle danse, théâtre et humour. Depuis combien de temps votre duo et votre collectif PJPP existent-il ? Avez vous toujours exercé ces différentes disciplines ?

Claire Laureau : Nicolas et moi nous sommes rencontrés fin 2012, nous étions interprètes sur le spectacle « Madison » de la Bazooka. Nous avons monté notre association en 2014 afin d’accompagner notre premier projet, Les Déclinaisons de la Navarre.
Nicolas a un parcours peu conventionnel ayant fait de l’équitation à haut niveau et les beaux arts à Rouen avant de danser. Très entreprenant, il a monté des chorégraphies assez tôt dans sa carrière de danseur et a également fait du théâtre avec un collectif marseillais. De mon côté, j’ai eu la chance de croiser des chorégraphes m’initiant à l’humour au plateau comme Laura Scozzi, La Castafiore et la Bazooka. Notre collaboration se nourrit de ces expériences. Nous touchons ainsi au théâtre et à l’humour à travers la danse sans forcément l’avoir cherché au départ. C’est surtout l’humour qui nous a rapprochés et donné envie de créer ensemble.

« Les Déclinaisons de la Navarre » met en scène une conversation amoureuse entre Henry de Navarre et la future Reine Margot sans être une pièce historique. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Claire Laureau : La scène de téléfilm que nous déclinons pendant le spectacle est un prétexte à jeu, le contexte historique ne nous intéresse effectivement pas.
Au début nous nous amusions avec une scène du Seigneur des Anneaux, au texte grandiloquent et à la poésie abstraite; sortie de son contexte n’importe quelle scène de cinéma peut devenir totalement absurde. C’est cette absurdité qui nous a plu et avec laquelle nous jouons.
La scène de téléfilm que nous utilisons dans la pièce est un savoureux dialogue amoureux suivi d’une scène plutôt coquine. Cela nous a paru être un bon support à jeu, un bon support à l’absurde.

https://vimeo.com/195308493

Où puisez-vous votre inspiration pour jouer un même texte de façon différente et originale sans jamais ennuyer le spectateur ?

Claire Laureau : La position du spectateur nous a beaucoup préoccupés pendant la création de cette pièce. Au début, nous pensions que cela ne ferait marrer que nous, que tout ça n’était que des bêtises d’adultes pas tout à fait adultes.
Ce qui est réjouissant entre Nicolas et moi, c’est que les choses rebondissent constamment. Quand j’ai une idée, cela en fait venir une autre à Nicolas et vice-versa. Nous avons donc construit la pièce avec ce souci du décalage constant permettant de toujours alimenter la scène en tant qu’interprète. Nous ne jouons jamais deux fois de suite le texte de la même façon et donnons une grande importance aux petits détails.
Nous nous appuyons sur le corps, sur la voix mais aussi beaucoup sur le «temps» afin de créer des nuances et tenter d’éviter l’essoufflement.

LES DECLINAISONS DE LA NAVARRE

D’où est venue l’idée de réaliser un spectacle sur ce thème au ton décalé ? Vous parlez dans votre teaser d’une envie de départ : la générosité ! Avez-vous sollicité d’autres ingrédients pour créer votre mets amoureux ?

Claire Laureau : Nous n’avions pas, au départ, l’ambition de créer un spectacle. Simplement de passer du temps en studio ensemble, et de créer des petites formes. Nous n’avions donc aucun thème de prédilection. C’est vraiment la scène que nous utilisons qui nous a inspirés. Et très naturellement, l’envie de la répéter nous est venue, un peu à la manière des Exercices de style de Raymond Queneau, mais en s’appuyant le plus possible sur le corps.
Nous parlons effectivement de générosité dans notre teaser, mais plutôt au 3e degré ! (dans la mesure où ça nous semble évident qu’un spectacle se construit avec générosité). Et le principal ingrédient utilisé pour ce spectacle est le jeu.

LES DECLINAISONS DE LA NAVARRE

Raymond Queneau, romancier et poète français (1903-1976)

Vous déclarez que votre univers s’apparente sur certains aspects à celui des Monty Python. Quels sont les principaux procédés comiques de votre spectacle ?

Claire Laureau : Là où nous nous retrouvons dans l’univers des Monty Python est dans leur capacité à faire le plus sérieusement possible les choses les plus débiles. Cependant, nous sommes également attachés dans le spectacle à ne pas tout faire sur le même ton. Nous n’avons pas cherché à faire rire le plus possible, mais plutôt de teinter cette scène de plein d’humeurs différentes, parfois abstraites, parfois plus poétiques et parfois vraiment absurdes.

https://www.youtube.com/watch?v=kb7pvaJ2aVg

Sketch « Les pilotes d’avion » par les Monty Python

Le spectacle s’adresse aussi bien aux enfants de plus de dix ans qu’aux adultes. Quels sont les messages que vous souhaitez traduire à travers votre représentation ?

Claire Laureau : Aucun message, juste le plaisir du jeu !

Les déclinaisons de la Navarre, Le Triangle, Rennes, Mercredi 17 janvier 2018, 20h.

Le teaser qui donne le ton du spectacle de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau :

Tarifs
16€ plein
12€ réduit
6€ -12 ans
4€ / 2€ SORTIR !
PASS Triangle :
12€ plein
9€ réduit
7€ -30 ans
5€ -12 ans